Présidentielle 2022 :
derrière la question
des pesticides,
deux visions antagonistes
de l’agriculture
La ligne de front est nette entre les candidats de gauche, qui s’engagent vers une sortie des pesticides à plus ou moins long terme, et ceux de droite, pour lesquels la nécessité de « produire plus » passe avant cet enjeu de santé publique et environnementale.
Des sacs de semences de maïs enrobées de pesticides sur le point d'être semées par un agriculteur dans le Calvados, en mai 2021. |
En 2017, le candidat Emmanuel Macron promettait de « placer la France en tête du combat contre les pesticides », reconnaissant qu’ils étaient « l’une des principales causes de l’augmentation de cancers des enfants depuis vingt ans », et annonçait la sortie du glyphosate en 2021. Cinq ans plus tard, l’herbicide controversé est encore utilisé, l’agriculture française toujours aussi dépendante des produits phytosanitaires de synthèse et le président candidat appelle à « produire plus » sans jamais mentionner la question des pesticides dans son programme. Pas un mot non plus, ou presque, dans les grands débats télévisés de la campagne électorale.
La réduction de l’usage des pesticides est pourtant un enjeu majeur de santé publique. Cancers, lymphomes, troubles anxiodépressifs, érosion des capacités cognitives et maladies neurodégénératives, troubles du développement de l’enfant, pathologies respiratoires, perturbations hormonales… : les publications scientifiques sont légion qui documentent les multiples pathologies liées à leur exposition et, a contrario, les effets protecteurs d’une alimentation à base de produits issus de l’agriculture biologique.
Remise en cause du Green Deal
« La question des pesticides, et plus largement des liens entre santé et environnement, devrait être centrale dans la campagne, estime le toxicologue André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé. La crise sanitaire a rappelé que nous faisons face à ce que l’Organisation mondiale de la santé qualifie d’épidémie de maladies chroniques [obésité, diabète…]. » Avec une cinquantaine d’experts, scientifiques et responsables politiques, il a lancé, le 19 mars, l’« appel de Grenoble pour la création d’un “GIEC” de la santé environnementale », sur le modèle du groupe d’experts internationaux qui conseille les gouvernements dans la lutte contre le changement climatique.
« En 2017, Emmanuel Macron assurait que la santé environnementale serait une priorité de son quinquennat. Cinq ans plus tard, pas une ligne dans son programme, c’est proprement stupéfiant », déplore André Cicolella. Au diapason de Marine Le Pen (Rassemblement national) et de Valérie Pécresse (Les Républicains), Emmanuel Macron a entamé un autre virage, sur le plan de la politique agricole : plus question de produire moins. Lors de la présentation de son programme devant la presse, le 17 mars, il a clairement indiqué son intention de revoir à la baisse les objectifs de la stratégie européenne Farm to Fork (« de la ferme à la fourchette »).
Le volet agricole et alimentaire du Green Deal porté par la Commission européenne fixe un cap à l’horizon 2030 : réduire de moitié l’usage des pesticides, de 20 % celui des engrais et atteindre 25 % de surfaces agricoles utiles cultivées en bio. Le chef de l’Etat invoque la crise agricole provoquée par la guerre en Ukraine pour justifier la remise en cause d’une stratégie qui reposait, selon lui, sur « un monde d’avant-guerre en Ukraine [prévoyant] une diminution de la production de 13 % ». Aussi, pour le chef de l’Etat, « ces objectifs doivent être revus, car, en aucun cas, l’Europe ne peut se permettre de produire moins ». Première conséquence, la publication de la très attendue nouvelle directive sur l’usage durable des pesticides, principal outil législatif de la stratégie Farm to Fork, initialement prévue le 23 mars, a été reportée.
Si le candidat Macron propose, dans un doux euphémisme, d’« adapter » la stratégie européenne à la nouvelle donne internationale, Marine Le Pen, l’autre favorite des sondages pour accéder au second tour de l’élection présidentielle, promet, elle, de la combattre : « Je m’opposerai résolument à cette folle stratégie pour éviter [le] désastre. » Pour la présidente du RN, ladite stratégie « menace gravement la souveraineté alimentaire » des pays membres de l’Union européenne. A l’instar d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen reprend les arguments du principal syndicat agricole, la FNSEA, et se réfère implicitement dans son programme aux résultats controversés d’études financées par les géants de l’agrochimie : une diminution du recours aux pesticides de synthèse pourrait entraîner jusqu’à 20 % de baisse pour certaines productions et donc rendre l’agriculture européenne plus dépendante des importations.
A droite, Valérie Pécresse se pose également comme la candidate qui dit « non à la décroissance agricole » et à l’« agribashing ». Dans son programme, elle promet de « mettre fin aux normes excessives » et de « refuser la stratégie zéro phyto en l’absence d’alternative ». Les alternatives ? Pour la candidate LR, elles passent par un « choc de recherche » et les « nouvelles technologies ». Une croyance partagée par Emmanuel Macron, qui plaide pour « un investissement massif dans l’innovation » : robotique, numérique, développement de nouvelles plantes transgéniques… A l’extrême droite, Eric Zemmour (Reconquête !) veut lui aussi « financer l’innovation en robotique agricole » dans le but de « réduire la dépendance à l’utilisation des produits phytosanitaires » et… « à la main-d’œuvre étrangère ».
Des propositions enfouies dans les programmes
La question des pesticides trace une ligne de front nette entre les candidats de droite (en y incluant le président en exercice) et de gauche. De Fabien Roussel (Parti communiste) à Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts), tous s’engagent vers une sortie des pesticides. Mais le calendrier n’est pas le même. Le plus ambitieux est sans surprise celui du candidat écologiste. Il prône la « sortie complète des pesticides en 2030 » à l’échelle européenne et promet de diviser par deux l’usage des pesticides (et engrais) de synthèse en France lors du quinquennat. Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) fixe cet objectif à 2030 et promet d’atteindre un système agricole 100 % biologique au plus tard en 2050. Anne Hidalgo (Parti socialiste) veut sortir de « manière rapide » de l’usage des produits les plus toxiques et du glyphosate, et souhaite interdire celui des néonicotinoïdes dans les cent premiers jours de son quinquennat.
Ces insecticides « tueurs d’abeilles » sont interdits depuis 2018 en raison de leur dangerosité. Mais le gouvernement a accordé des dérogations aux betteraviers pour qu’ils puissent continuer à les utiliser au moins jusqu’en 2023. Concernant les néonicotinoïdes, mais également le glyphosate, les fongicides SDHI et de manière générale tous les pesticides cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction et perturbateurs endocriniens, dangereux pour la santé et la biodiversité, Yannick Jadot promet une « mesure d’urgence » afin de les interdire « dès 2022 » par voie réglementaire. Fabien Roussel, lui, s’engage plus timidement sur une « sortie de l’usage des produits chimiques s’ils n’ont pas fait la preuve de leur innocuité écologique », sans donner de date.
Tous, à gauche, assurent vouloir refondre le très décrié processus d’autorisation des substances mises sur le marché. Anne Hidalgo appelle à une « gouvernance scientifique et démocratique renouvelée », Jean-Luc Mélenchon à évaluer « la toxicité à long terme des formulations complètes », Fabien Roussel à créer une « agence européenne d’homologation des alternatives naturelles aux pesticides ».
En termes d’encadrement des épandages, Jean-Luc Mélenchon propose d’établir des zones tampons excluant les pesticides à moins de 200 mètres des habitations et des établissements recevant du public (écoles ou hôpitaux). Une proposition qui reprend les distances prônées ces dernières années par les maires à l’origine d’arrêtés antipesticides – tous annulés en justice – et les associations environnementales. Deux cents mètres, c’est beaucoup plus que les distances retenues par l’exécutif (entre 3 mètres et 20 mètres maximum pour les plus dangereux) et jugées insuffisantes par le Conseil d’Etat qui a déjà demandé deux fois au gouvernement de revoir sa copie pour « mieux protéger la population ». Une proposition qui, comme les autres mesures des candidats pour réduire la dépendance et l’exposition aux pesticides, reste enfouie dans les programmes, en marge du débat public, à quelques jours du premier tour de la présidentielle.
Stéphane Mandard
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