Au cœur d’un abattoir
bloqué par des activistes
7 juillet 2025
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Les activistes de 269 Libération animale ont bloqué l'abattoir de veaux de Boulazac, en Dordogne. - © Nnoman Cadoret / Reporterre |
Six abattoirs du groupe néerlandais VanDrie ont été bloqués par une action européenne coordonnée d’activistes antispécistes. Une offensive contre « les responsables et décisionnaires » de « l’exploitation animale ».
Boulazac (Dordogne)
Il n’est pas encore 1 heure du matin quand 27 activistes du collectif 269 Libération animale enjambent le portail de l’abattoir Sobeval [1], à Boulazac (Dordogne), dans la nuit du 6 au 7 juillet. La petite équipe traverse le site, cherche une entrée, parvient à rejoindre la zone d’abattage et s’enchaîne au matériel. En quelques minutes à peine, l’activité du site se retrouve bloquée.
Ici, mais pas que : au même moment, d’autres activistes se déployaient et bloquaient également l’abattoir Tendriade à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine) et quatre autres aux Pays-Bas. Tous appartiennent au groupe néerlandais VanDrie, leader mondial dans le secteur de la viande de veau.
Après avoir franchi le portail du site, les militants se sont dirigés vers la zone d’abattage. © Nnoman Cadoret / Reporterre« Pour la première fois, ce sont six abattoirs qui [ont été] bloqués simultanément la même nuit », a revendiqué 269 Libération animale dans un communiqué. Le collectif, créé en 2015, est une organisation antispéciste radicale — il s’oppose au « spécisme », la domination et la discrimination sur la base de l’appartenance à l’espèce.
« Infliger un sérieux dommage économique »
« L’idée de ce blocage, c’était de bloquer l’intégralité des abattoirs d’un même groupe d’exploitation animale, pour lui infliger un sérieux dommage économique, le paralyser complètement », explique Tiphaine Lagarde, cofondatrice et porte-parole de l’organisation.
Dès leur arrivée sur la zone d’abattage, les activistes se sont enchaînés aux machines. © Nnoman Cadoret / ReporterreLe groupe VanDrie ciblé par les activistes est à la tête de 29 entreprises. Il est implanté aux Pays-Bas, en France, en Belgique, en Allemagne et en Italie. Il produit de la viande de veau et de bœuf, mais aussi des peaux de veaux, des aliments pour animaux et des matières premières laitières.
À lui seul, il répond à 28 % du marché européen et son chiffre d’affaires annuel s’élève à plus de 3 milliards d’euros. « Nous sommes pragmatiques et terre-à-terre et assumons la responsabilité de notre impact sur les personnes, les animaux et le climat », peut-on lire sur le site de VanDrie.
Leur arrivée s’est faite à la lumière des lampes frontales. © Nnoman Cadoret / ReporterreEn Dordogne, les activistes — originaires principalement d’Italie, d’Espagne et d’Allemagne — qui bloquaient l’abattoir Sobeval attachés aux tonneaux d’abattage et aux tapis roulants ont été délogés par la police dans la matinée du 7 juillet. 27 personnes ont été placées en garde à vue pour « violation de domicile et dégradations en réunion », a annoncé le procureur de la République de Périgueux, rapport le journal Sud-Ouest. Aux Pays-Bas, l’abattoir Ameco n’a été bloqué que deux heures. Les autres (Esa, T. Boer & zn, Ekro) sont toujours hors service. En tout, une centaine de militantes et militants se sont mobilisés.
« Nous devons montrer où les animaux meurent »
Avec cette action, 269 Libération animale affirme qu’ils ne veulent pas cibler les individus mais bien « les responsables et décisionnaires, c’est-à-dire les sociétés qui dominent aujourd’hui le secteur économique ». « On s’attaque aux plus grands groupes de l’exploitation animale dans une logique politique. Pour politiser la question animale, on a besoin de montrer l’adversaire, de le nommer, de montrer qui il est », a déclaré Tiphaine Lagarde. Laura [*], militante pour l’organisation depuis trois ans, présente à l’un des blocages aux Pays-Bas, abonde : « Il faut les exposer aux yeux du public. »
« Nous devons montrer où les animaux meurent », dit aussi une activiste espagnole, depuis la salle d’abattage aux murs blancs carrelés de l’abattoir Sobeval. Autour d’elle plane une odeur de mort qui rappelle que des veaux sont abattus quotidiennement là où elle s’est attachée.
Employés de l’abattoir et policiers regardent les militants enchaînés. © Nnoman Cadoret / Reporterre
« Je me sentais impuissant. Ici, j’ai l’impression d’être au bon endroit pour lutter pour les droits des animaux », déclare de son côté Ciccio [*], un militant italien accroché à une machine suspendue au-dessus du sol. Il confie avoir ressenti un choc en croisant le regard des veaux, qui patientaient dans un camion sur le parking, avant d’entrer dans l’abattoir. Il sait toutefois qu’à la minute où le blocage sera levé, ces animaux reprendront leur place dans la chaîne d’abattage.
Un combat international
Si les activistes ont choisi de participer à ce mode d’action, c’est aussi pour « être plus efficace ». « Les manifestations informent les citoyens, le public lambda, mais ça ne fait pas peur aux grands groupes industriels, aux éleveurs ou aux directeurs d’abattoirs, estime Dona, militante pour 269 Libération animale depuis cinq ans, qui participe aussi à un des blocages aux Pays-Bas. Là, en s’attaquant à eux, on leur montre qu’on est là, on leur fait perdre de l’argent. Le message est d’autant plus fort. »
« Des actions de cette ampleur européenne n’ont jamais été faites, on passe à un niveau supérieur », se réjouit Laura. « C’est important de montrer que l’exploitation animale ne concerne pas qu’un seul pays. La force de cette action est de montrer de manière très concrète que c’est un combat international », dit Tiphaine Lagarde.
Le temps du blocage, les veaux ne peuvent pas entrer dans la zone d’abattage. © Nnoman Cadoret / ReporterreDebout à l’entrée de la zone d’abattage de Sobeval, des salariés se succèdent pour regarder les activistes. Excédé, un éleveur et transporteur argue que la viande industrielle permet de nourrir à bas prix la population. Que les protéines animales sont nécessaires à la bonne santé humaine. Que les antispécistes sont pour « l’extermination de la race bovine ». « Mais sans vaches, sans veaux, sans prairies, il n’y aurait que des forêts en France ! s’exclame-t-il. C’est ça qu’ils veulent ? C’est du délire ! »
« Un système normalisé qui exploite des milliards d’êtres sensibles »
« Il faut assumer une nécessaire conflictualité avec l’ordre établi », affirme 269 Libération animale dans son communiqué, rappelant que le collectif ne lutte pas seulement contre la cruauté de certains employés d’abattoirs ou contre les défaillances des services vétérinaires, mais bien contre le principe même d’élevage et d’abattoirs industriels, un « système normalisé qui exploite des milliards d’êtres sensibles et nous impose un modèle de société ainsi qu’un certain rapport aux animaux ».
L’organisation fait ainsi le lien avec la lutte écologiste. « Ces industries [d’exploitation animale] broient des vies et tout ce qu’il y a sur leur passage. En Bretagne, les déjections des animaux entassés dans des hangars d’élevages industriels se retrouvent à polluer les champs, les terres jusqu’aux côtes, ce qui provoque le phénomène des algues vertes », dénonce Dona.
Le groupe VanDrie ciblé par les activistes a un chiffre d’affaires annuel de plus de 3 milliards d’euros. © Nnoman Cadoret / Reporterre« Le lien entre l’exploitation animale dans sa forme capitaliste et la destruction de nos écosystèmes n’est plus à démontrer, et pourtant je suis toujours surprise de voir combien la question animale demeure controversée et peu pensée dans l’écologie politique contemporaine, dit Tiphaine Lagarde. C’est un terrible échec selon moi. »
La porte-parole plaide pour « réfléchir à la construction d’alliances » pour s’attaquer à un ennemi principal : « l’élevage et l’abattoir industriel, l’industrie agroalimentaire et donc le mode de production capitaliste ».
Contacté, le groupe VanDrie n’avait pas répondu à nos questions au moment de la publication de l’article. De son côté, le directeur de l’abattoir Sobeval n’a pas souhaité y répondre.
Notes
[1] En février 2020, l’association L214 avait révélé des images filmées dans l’abattoir Sobeval. On y voyait des employés rater leur tir d’étourdissement sur des veaux. Les animaux reprenaient alors conscience avant ou pendant la saignée, sans qu’aucun étourdissement d’urgence ne soit pratiqué. Une fuite de mails avait suggéré que le ministère de l’Agriculture reconnaissait des non-conformités en privé, alors qu’il maintenait en public que le « bien-être animal » était respecté. L’abattoir avait fermé ses portes quelques jours, avant d’être rouvert.
[*] Le prénom a été modifié à sa demande.
Notre reportage en images :
Source : https://reporterre.net/Au-coeur-d-un-abattoir-bloque-par-des-activistes
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