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mardi 8 juillet 2025

A69 : « Nous devons faire le deuil de l’État »

A69 : 

« Nous devons faire 

le deuil de l’État »

 

Au moins un millier de personnes se sont rassemblées ce week-end contre le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres, malgré l’interdiction de l’évènement. L’acharnement des pouvoirs publics à la construire crée incompréhension et colère chez les militants.

Jade Lindgaard

6 juillet 2025


" Il y avait un gendarme, quand j’ai vu tout l’équipement qu’il avait, ça m’a fait trembler."
Élise, une opposante à l’A69 
 
« L’État, ce n’est pas ce que je pensais. Normalement, l’État, c’est l’intérêt général. Et là, on démolit des arbres, tout un territoire, le cadre de vie ; des gens sont expropriés alors qu’il n’y en avait pas besoin. Tu arrangeais la nationale actuelle, ça suffisait. Elle était gratuite et pour tout le monde. C’était ça l’intérêt général. » 
 
« il y a presque un deuil à faire vis-à-vis des institutions qu’on a appris à respecter à l’école. L’État et les maires mentent sur tout : les gains de l’autoroute, le désenclavement, le coût de l’alternative ferroviaire… C’est presque un deuil à faire de l’État. Alors que dans le collectif, on est tous des ingénieurs, enseignants, personnes dans la culture qui respectent la loi. » 
 
MorensMorens-Scopont (Tarn).–

Une file de personnes portent des cabas de supermarchés et tiennent leurs papiers d’identité à la main. En face, des gendarmes les contrôlent et les fouillent, une à une.
 
On se croirait à un poste-frontière. Mais nous sommes dans le Tarn, à 500 mètres du château de Scopont, une bâtisse de style médiéval dont le propriétaire accueille pendant trois jours un rassemblement contre l’A69, cette autoroute contestée entre Toulouse et Castres. 
 
« Alpha ! Vous vous mettez en position, on va faire une chicane », crie un chef. Têtes tournées du côté des humains, des milliers de tournesols semblent regarder sans mot dire cette scène insolite de check-point en plein champ.La préfecture du département avait interdit la « turboteuf » contre l’A69 qui s’est tenue du 4 au 6 juillet. Routes fermées, fêtes de village interdites, survols d’hélicoptères et de drones, plus de 1 500 gendarmes : l’État n’avait pas lésiné sur les moyens pour « préserver l’ordre républicain » et intimider les « individus identifiés » précédemment sur « des manifestations ultraviolentes », que le préfet Laurent Buchaillat assure, samedi matin, avoir repérés sur le camp des opposant·es.
 
Face à un tel déploiement de forces, comment résister à l’envie de braver l’interdit ? Samedi en fin d’après-midi, quelques centaines de personnes ont manifesté sur la route nationale, et certaines ont poussé jusqu’aux travaux de l’un des « ouvrages d’art » de l’A69 en construction.
 
Jets de pierre contre pluies de lacrymo, Bella Ciao à la fanfare sous le vrombissement d’un hélico : la « guérilla » annoncée par la préfecture a finalement pris la forme d’une scène mille fois vue où, de part et d’autre des blindés Centaure, chaque participant·e a joué son rôle habituel.

Malgré leur aspect routinier, les face-à-face entre anti-A69 et forces de l’ordre commencent pourtant à laisser des traces. « Trois hélicos, 200 forces de l’ordre en plus que lors du précédent rassemblement : chaque fois c’est plus gros, avec une escalade dans les propos de nos ministres et certains élus locaux », regrette Karen Erodi, députée (LFI) du Tarn présente au rassemblement, ceinte de son écharpe tricolore.
Quelques minutes plus tôt, elle a dû intervenir pour qu’une batucada soit autorisée à rejoindre le campement. « On en est au quatrième préfet et, chaque fois, c’est l’escalade. C’est problématique, on a quand même le droit de s’exprimer et de manifester. »

Élise, salariée d’une association et membre de La voie est libre (LVEL), le principal collectif d’habitant·es opposé à l’autoroute, a été palpée et son véhicule longuement fouillé en arrivant au campement, après que son passager a demandé à voir la réquisition autorisant le contrôle d’identité : « Il y avait un gendarme, quand j’ai vu tout l’équipement qu’il avait, ça m’a fait trembler. » Elle voulait suivre la visite naturaliste du parc du château, où se trouvent une zone humide et une fleur protégée, la jacinthe d’eau, menacées par les travaux. « C’est ça, le sens de ce week-end, l’attention au vivant, et on l’a ratée à cause de la fouille. »

Vendredi, premier jour du campement, Melissa*, jeune militante de LVEL, soupire devant « tous ces discours du préfet, alors qu’on est des hippies dans un champ. Avec des revendications politiques quand même ». Née et grandie dans le Tarn, elle observe ces « passages en force de toutes ces institutions qui nous rappellent qu’elles sont toutes-puissantes ». À quelques centaines de mètres du chantier si ardemment défendu par les gendarmes, elle ajoute : « Jamais je ne me suis battue pour gagner. Vu leur force, s’ils veulent la faire cette autoroute, ils la feront. Ce qu’on a gagné, ce sont les liens entre nous. »

Un « foulard jaune à pois » saisi par la police


Samedi soir, la préfecture a annoncé la saisie de 257 armes et « objets pouvant constituer des armes par destination ». La veille, elle avait envoyé aux journalistes des photos de boules de pétanques, d’une hache, des sécateurs et pieds de biche, une gamme de masques et trois bidons d’essence trouvés dans les véhicules des manifestant·es.
 
Une habitante de Toulouse rencontrée sur le campement n’en revenait toujours pas : elle venait de se faire saisir un « foulard jaune à pois », comme en atteste la « fiche de mise à l’écart d’objet interdit » vue par Mediapart. Les gendarmes craignaient qu’il ne lui serve dans les lacrymos. La retraitée pourra le récupérer dans quelques jours.

Sur le site du camp, autour du château recouvert d’un immense drapeau palestinien, vendredi et samedi l’ambiance était champêtre et alternative : brochures anti-répression, cartes postales d’oiseaux dessinées par une ancienne habitante de l’éphémère ZAD anti-A69, stands pour une alternative ferroviaire ou anti-OGM, vêtements gratuits au free-shop, atelier graphique, « coin toutou » pour faire boire ses animaux.
 
Quelques parapluies et K-Way noirs, beaucoup de visages masqués sous des tee-shirts à trous, masques à paillettes, voile noir ou colorée ne laissant voir que les yeux. Mais surtout des personnes qui épluchent des légumes, changent les tireuses à bière, discutent, font de la prévention contre les violences sexistes et sexuelles, vident les seaux des toilettes. Au regard des communiqués de la préfecture sur les graves menaces à l’ordre public, le décalage est complet.

Reprise des travaux malgré l’annulation de l’autoroute – grâce au sursis à exécution décidée par la justice –, loi de validation en cours de vote : l’acharnement des pouvoirs publics à faire construire l’autoroute crée de l’incompréhension chez les militant·es que Mediapart a rencontré·es. Voire de la colère. Une militante associative, parfaitement « insérée dans la société », comme elle se décrit, dit : « Je rêverais de cramer des engins, je ne le ferai pas. Mais être face à des murs, ça crée de la violence en nous. »

L’administration a de fait observé de nombreuses illégalités sur le chantier, notifiées aux entreprises par des rapports de manquement administratif. Selon de nouveaux documents que Mediapart a pu consulter, des pompages illégaux d’eau ont été observés à plusieurs reprises. « La quantité de règles non respectées sur ce chantier est colossale », explique Mo*, hydrologue de formation résidant à proximité de l’autoroute, qui se livre à une veille citoyenne de ces problèmes et alerte régulièrement gendarmes et administration. « Mais la flotte, c’est hyper complexe et ça n’intéresse pas grand monde. »
 
Pendant ce temps, des personnes qui avaient grimpé dans les arbres pour en empêcher l’abattage attendent toujours d’être jugées. « On va avoir encore cinq à dix ans de procès pour les occupations d’arbres contre le chantier. Dans ma tête, ce n’était pas long comme ça, dit Melissa. Des gens montés dans les arbres en 2024 vont être jugés en première instance en 2026. Toutes les personnes qui ont engagé leur corps en ont encore pour longtemps. » Et dans la crainte qu’à la fin de cette odyssée judiciaire, l’A69 soit déjà construite depuis longtemps."
 
Jade Lindgaard
 

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