Geneviève, gravement blessée
par la police niçoise :
un procès 5 ans après
Retour sur une affaire d’État
Les images avaient choqué la France : des policiers lourdement équipés qui piétinaient une vieille dame aux cheveux blancs, tenant le drapeau arc-en-ciel de la paix, au point de lui provoquer de graves blessures à la tête. C’était à Nice, le 23 mars 2019 lors d’une manifestation de Gilets Jaunes, et la militante se nomme Geneviève Legay. Le procès du commissaire Rabah Souchi, qui avait ordonné la violente charge policière, s’est enfin tenu à Lyon ce jeudi 11 et vendredi 12 janvier 2024.
Le commissaire est poursuivi devant le tribunal correctionnel de Lyon pour des faits de « violences volontaires aggravées ». La porte parole d’Attac et militante Gilet Jaune Geneviève Legay, alors âgée de 73 ans, était gravement blessée, victime d’une hémorragie et de plusieurs fractures au crâne et au coccyx ainsi que de côtes cassées après avoir été projetée au sol par un policier.
Comme dans toutes les affaires de violences policières médiatisées, malgré les vidéos et les témoignages accablants, la parole de la victime est étouffée, culpabilisée au plus vite par l’institution policière et judiciaire, bien souvent relayée par la presse et jusqu’au plus haut sommet de l’État. Ainsi, dès le surlendemain, le président de la république lui-même déclarait honteusement que « Cette dame n’a pas été en contact avec les forces de l’ordre ». Le procureur de la République de Nice niait également tout contact physique des policiers avec la victime, avant d’être grillé par les vidéos de surveillance et les témoignages, l’obligeant à revenir sur ces déclarations.
Mais comment justifier un tel mensonge de la part du représentant du Ministère Public ? Jean-Michel Prêtre, procureur de la république de Nice, affirme en toute normalité qu’il voulait « éviter de mettre le président de la République en difficulté » révèlent nos confrères du Monde. Logique : si le Président avait menti, le magistrat alignait sa version sur le mensonge. Un scandale d’État. Un haut fonctionnaire, magistrat, dissimulant la vérité pour protéger les crimes policiers et ne surtout pas froisser le Président de la République. Qui peut encore parler de séparation des pouvoirs, d’État de droit et de démocratie ?
L’indécence ne s’arrête pas là, Emmanuel Macron va jusqu’à inverser la responsabilité des faits afin de culpabiliser la victime en déclarant : « Quand on est fragile, qu’on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on ne se met pas dans des situations comme celle-ci », avait commenté le chef de l’État, lui souhaitant « peut-être une forme de sagesse ». Traduction : « elle l’a bien cherché ». Des propos ignobles qui s’inscrivent dans une stratégie bien connue de culpabilisation des victimes, particulièrement utilisée dans le cas de crimes policiers mais également de crimes sexistes et sexuels. C’est cohérent : personne ne peut aujourd’hui nier le soutien de Macron aux hommes violents en uniforme et aux agresseurs sexuels renommés.
Et dans la continuité du traitement judiciaire odieux de cette affaire, Mediapart révèle dès le 8 avril 2019 que Jean-Michel Prêtre, ce même procureur de Nice, a confié l’enquête préliminaire à la compagne du commissaire Rabah Souchi, mis en cause dans l’affaire, et elle-même impliquée dans le maintien de l’ordre de cette manifestation. Le gouvernement s’enfonce alors toujours plus loin dans le mensonge et le ministre de l’Intérieur d’alors, Christophe Castaner, allait jusqu’à récompenser, le 16 juin 2019, Rabah Souchi et sa compagne Hélène Pedoya. On pourrait croire à une blague des plus sordides mais non, l’institution judiciaire et policière va toujours plus loin dans l’indignité. On se demande chaque jour comment ces gens peuvent encore se regarder face à un miroir….
En juillet 2019, face à ces révélations successives, toutes plus honteuses les unes que les autres, la Cour de Cassation ne peut que faire droit à la demande de dépaysement du dossier, c’est-à-dire éloigner l’enquête des magistrats niçois, lourdement compromis. L’affaire est donc transmise au Tribunal de Lyon.
Nous voilà donc au Tribunal de Lyon, près de 5 ans après les faits. Le procès s’est tenu sur deux jours. Geneviève Legay dénonce les propos humiliants tenus par le Président à son encontre : « ce qui m’a beaucoup blessée c’est Macron. Qu’il dise qu’on doit être sage à mon âge, ça m’a beaucoup choquée ! ». La militante décrit également les séquelles permanentes provoquées par les violences qu’elle a subi : la perte d’une partie de sa vue et de son audition, qui ont des répercussions particulièrement importantes dans son quotidien.
L’avocat de Geneviève pointe les mensonges pour protéger le policier jusqu’au plus haut sommet de l’État, rappelant que « le commissaire a été soutenu par le Président, Christian Estrosi, Eric Ciotti et le procureur de la république de l’époque » et dénonce « un scandale judiciaire, un scandale d’État, un mensonge d’État qu’on ne doit pas voir dans une démocratie comme la nôtre ».
Le commissaire Souchi, quant à lui, droit dans ses bottes, dénué de tout remords, sollicite la relaxe. Ses avocats plaidant « l’exemplarité » du policier dans ses fonctions, déclarant comme à l’habitude de chaque policier violent pris en flagrance : « vous n’allez pas juger un délinquant ! » La défense classique des agents violents : puisque les policiers ne sont jamais condamnés, ils sont par définition innocents, et réciproquement. Gagnants à tous les coups.
Le procureur Alain Grellet requiert une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis à l’encontre du policier, estimant que « cet ordre a été donné de manière ni nécessaire, ni proportionnelle, ni conforme à la réglementation ».
Pour autant, dans l’attente de ce procès, le policier mis en cause n’a absolument pas été inquiété et est resté à son poste jusqu’à la fin 2023. Il attend même la réponse à sa candidature pour un poste de directeur adjoint à la police municipale de Nice.
Il s’agit d’un procès déterminant également pour les milliers d’autres victimes de la violence policière lors du mouvement historique des Gilets jaunes. Un soulèvement qui a été écrasé par une violence d’État alors jamais vue depuis des décennies contre un mouvement social. Plus de 10.000 arrestations. Des milliers de peines de prison. Des centaines de milliers de munitions tirées. Des mutilations à vie. Vingt-quatre personnes éborgnées. Cinq mains arrachées. Une morte, Zineb Redouane à Marseille. Une violence d’État sanglante pour étouffer cette vague de colère légitime qui a soulevé la France pendant plus d’un an. 5 ans après, AUCUN policier n’a encore été condamné pour ces violences. Mais la brutalité d’État, aussi puissante soit-elle, ne fera jamais taire la révolte face à l’oppression.
Le jugement a été mis en délibéré ce vendredi 12 janvier et sera rendu le 8 mars 2024.
Sources :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire