« Sur les “nouveaux OGM”,
la Commission européenne
foule aux pieds
le principe de précaution »
La proposition de réglementation de la Commission européenne est scandaleuse car elle ouvre un boulevard aux OGM nouvelle génération, sans aucune analyse indépendante de leur toxicité, s’indignent, dans une tribune au « Monde », l’eurodéputé et l’ancien eurodéputé écologistes Benoît Biteau et José Bové.
Les organismes génétiquement
modifiés (OGM) ont été inventés au début des années 1990,
essentiellement pour résister aux herbicides et en particulier au
Roundup [de Bayer (Monsanto)], c’est-à-dire au glyphosate, substance
classée « cancérogène probable » par le Centre international de
recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé.
A l’échelle mondiale, l’utilisation du glyphosate, devenu la molécule
la plus utilisée au monde, a été multipliée par quinze depuis
l’introduction, en 1996, des cultures génétiquement modifiées pour
résister à cet herbicide.
Cette orientation de l’agriculture nous confronte à un double danger.
D’une part, l’empoisonnement des agriculteurs et de la population :
pour mémoire, Bayer, selon son rapport annuel 2022, a fait provision de
6,4 milliards de dollars (environ 5,9 milliards d’euros) pour faire face
aux nombreux procès qui lui sont intentés pour cette raison depuis
2018.
D’autre part, la pollution génétique avec le risque
d’extinction des espèces sauvages et domestiques, matrice de toute la
vie végétale. Et, bien sûr, la mort immédiate des végétaux aspergés de
glyphosate.
Technologies mortifères
Au début des années 2000, face à cette double menace, les paysans et les
citoyens se sont mobilisés contre les OGM en France et dans de nombreux
pays européens. Malgré une répression massive, la bataille a été
remportée. Aux responsabilités syndicales ou associatives que nous
avions, nous avons limité les dégâts sur l’environnement, réduit les
atteintes contre la biodiversité, protégé l’alimentation et la santé de
nos concitoyens en bloquant les OGM. Ces technologies mortifères de
manipulation du vivant sont pourtant de retour.
Deux
multinationales, Bayer et Corteva, ont vendu des semences interdites en
Europe sous le regard complaisant de la Commission européenne et du
gouvernement français. La Cour de justice de l’Union européenne a en
effet jugé dans son arrêt du 25 juillet 2018 que les produits des
techniques de mutagenèse (connus sous l’appellation de « nouveaux OGM »)
« constituent des OGM et sont en principe soumis aux obligations
prévues par la directive sur les OGM », à condition qu’ils relèvent de
techniques « apparues postérieurement » à l’adoption de cette directive.
Nous en déduisons que ces semences ont été mises sur le marché en
violant la loi européenne sur les OGM. Pour autant, Bayer et Corteva
n’ont pas été condamnés. Au contraire, ces sociétés ont demandé à
l’Union européenne d’adapter sa législation à leurs besoins, pour
continuer leur commerce principal, les herbicides, cheval de Troie du
glyphosate. Les services de la Commission européenne se sont mis au
travail et ont proposé en juin 2023 une nouvelle réglementation, ouvrant
un boulevard aux OGM nouvelle génération.
Des milliers de chômeurs en perspective
Le premier acte est de désinformer pour convaincre les députés : on ne
parle plus d’OGM mais, comme aux Etats-Unis, de « nouvelles techniques
génomiques » (NTG), au prétexte que l’on modifie maintenant le génome
avec d’autres outils, tel Crispr-Cas9, présenté comme un « ciseau
génétique » dont la soi-disant précision reste à démontrer tant ses
résultats peuvent être surprenants, voire inquiétants.
Le
second acte est de franchir la ligne de la vérité. La Commission
européenne présente ces techniques comme naturelles : les manipulateurs
du vivant réaliseraient plus rapidement et plus efficacement ce que la
nature « aurait dû faire » ou « devrait faire ». Tout aussi
« naturellement », ces multinationales devraient pouvoir breveter leurs
inventions, histoire d’étouffer définitivement la concurrence des PME
européennes qui fournissent des variétés de semences appréciées des
paysans et des jardiniers. Des milliers de chômeurs en perspective.
La proposition de la Commission européenne est inacceptable. Elle foule
aux pieds le principe de précaution. Ces nouveaux OGM ne subiraient
aucune analyse indépendante de leur toxicité au nom de l’argument éculé
de l’« équivalence en substance ». Vieux bobard pseudo-scientifique
américain justifiant de faire passer le faux pour du vrai.
Pour
être dans l’air du temps, la communication des géants de la chimie
parle de combat contre la faim, la malnutrition et de lutte contre le
réchauffement climatique.
Court-circuiter la démocratie
La proposition de la Commission européenne est scandaleuse. Ces
semences sont très majoritairement génétiquement modifiées pour résister
aux herbicides, ce qui laisse prévoir une utilisation accrue de ces
poisons, en contradiction avec le projet du Pacte vert européen de
réduire de 50 % l’utilisation des pesticides en Europe (autant pour la
santé que pour la biodiversité et le climat). En fait, ce projet de
règlement de la Commission sur les nouveaux OGM explique la stupéfiante
décision de prolonger de dix ans l’autorisation du glyphosate.
La proposition de la Commission européenne est contaminante. Certains
députés européens, relais efficaces de l’industrie, déposent des
amendements inquiétants : suppression de la traçabilité et de
l’étiquetage, labellisation bio des cultures OGM. Au Parlement européen,
le projet avance à marche forcée.
On pousse les députés à
voter plus de six cents amendements dont certains n’ont pas été traduits
dans toutes les langues, les calendriers sont bousculés, les réunions
se succèdent à un rythme effréné. Tout doit être bouclé avant le mois de
mars. Un empressement qui vise à court-circuiter le débat public, et
donc la démocratie, dans chaque pays.
L’agriculture et
l’alimentation pèsent autour de 25 % d’empreinte carbone et demeurent le
premier budget européen. On ne peut pas entraver avec des pesticides et
des OGM la transition agroécologique et ses enjeux : atténuation des
émissions de gaz à effet de serre et adaptation au climat, partage des
ressources en eau, souveraineté alimentaire, restauration de la
biodiversité. Il n’y a de bonnes solutions que celles qui s’accordent
avec les dynamiques du vivant. La Commission ouvre la campagne
électorale en renonçant à la pourtant urgente transition agricole.
Benoît Biteau (Député européen du groupe des Verts) et José Bové (Ancien député européen du groupe des Verts)
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