Primaire des écolos :
Mais pourquoi les Verts
se foutent-ils du climat ?
C’est l’heure de la grande primaire zécolo, qui se tiendra à partir du 16 septembre. Batho, Rousseau, Governatori, Jadot, Piolle ? À quoi bon s’intéresser à un (mauvais) casting, quand il est mille fois plus avantageux de regarder derrière le rideau de scène ? Les Verts, trente ans d’indifférence pour la crise climatique. Trente ans de passion pour la première place sur la photo.
Attention, préhistoire. Avant, vers 1988, il y a Antoine Waechter, propulsé au sommet par un certain Guy Cambot, énigmatique secrétaire national des Verts, après une carrière de secrétaire de syndicats patronaux en Afrique noire, dans les années 1960. Sans Cambot et un groupe plein d’allant dont les membres s’appellent entre eux « La Famille », pas de Waechter. C’est l’heure du « ni droite ni gauche », que Cambot en sa tambouille a changé en « ni gauche ni gauche ». En 1994, dix ans après la création du mouvement, Dominique Voynet devient reine, et Waechter se tire, créant le météore Mouvement écologiste indépendant (MEI). En 1997, Voynet triomphe en compagnie de ses amis socialistes et devient ministre de l’Environnement de Lionel Jospin, alors Premier ministre, après la célèbre dissolution chiraquienne. Que va-t-elle faire ? Rien.
En cette année 1997, la messe est dite depuis près de dix ans : le dérèglement climatique est là. Pour ne prendre qu’un exemple, le scientifique James Hansen – il dirige l’Institut Goddard des sciences spatiales de la Nasa – déclare devant le Sénat américain, le 23 juin 1988 : « L’effet de serre est détecté et il modifie déjà notre climat. » Le New York Times et le Washington Post en font leur « une », et le monde entier embraie. Pas Les Verts. Nommée ministre, Voynet ne propose rien. Aucune mesure, à peine quelques mots, aussitôt engloutis. Jospin, cornaqué par son ami de trente ans Claude Allègre, est, sans oser le clamer, climatosceptique. Depuis 1995 – année du deuxième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) –, Allègre ne cesse d’affirmer, dans ses chroniques du Point ou de L’Express, qu’il y a complot. Des lobbies, des scientifiques en mal de crédit, des journalistes ont inventé le changement climatique.
C’est d’autant plus éclairant que lorsque Jospin reçoit Voynet pour lui proposer un ministère, en juin 1997, il est justement accompagné – comme cela tombe bien – par Allègre. Voynet semble s’en moquer éperdument et siégera sans problème à la table du Conseil des ministres pendant quatre ans, à deux fauteuils du grand imposteur. Yves Cochet prend la place de Voynet à l’été 2001, et il suivra scrupuleusement la ligne : pas un mot sur le climat. Celui qui annoncera plus tard le collapsus et l’effondrement, suivis du retour des carrioles à chevaux, raconte alors d’autres fadaises. Le 24 juillet 2001, rendant compte d’une réunion internationale aussitôt oubliée, il lâche : « C’est le plus grand accord de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique qu’on ait vu depuis le Sommet de la Terre à Rio, en 1992. » Pardi, il en était.
Sans qu’on le sache encore, une autre équipe se prépare dans les starting-blocks : les Thénardier, ainsi qu’on finira par les surnommer dans le parti vert lui-même. Par ordre d’apparition, Jean-Vincent Placé et Cécile Duflot. Placé aurait adhéré aux Verts en 1999, Duflot en 2001. Le premier propulse la seconde au sommet en quelques mois, avec des méthodes qu’on va découvrir. Un an et demi après son adhésion, Duflot est déjà membre du collège exécutif, la direction. Deux ans de mieux, et elle sera porte-parole, puis grande patronne. Placé a fait des miracles, à sa manière. Cohn-Bendit, dans Charlie, en 2013 : « Il est d’un cynisme absolu. Il se dit de gauche, mais tous ses comportements sociaux font penser qu’il est tout sauf de gauche. Par exemple, la manière dont il se comporte avec les autres. Dont il s’habille. Dont il va au restaurant. Et son cynisme est à l’œuvre jusque dans le contenu politique. Il voulait aller au gouvernement, bien sûr, mais s’il avait été ministre, il aurait tout défendu sans états d’âme, y compris le pacte budgétaire européen. Mais comme il n’a pas réussi, son message aux socialistes est aujourd’hui de dire : « Vous allez me le payer. » Placé peut vendre n’importe quel positionnement d’Europe Écologie-Les Verts. » On ne s’étonnera guère qu’il se soit spécialisé dans la distribution des postes à ses vassaux. Jean-Paul Besset, l’un des fondateurs d’Europe Écologie, en 2013 aussi : « [Il offre] des postes de sénateurs, de députés, de conseillers régionaux. Bien sûr ! » Cohn-Bendit : « Il y a beaucoup de postes à offrir. Les postes d’élus, mais aussi les postes à l’intérieur du parti. Ça, Placé sait très bien le faire. Et il sait mettre en réseau ses fidèles. Cécile, de son côté, sait se rendre attachante. Elle noue des liens forts avec les gens, qui sont de nature émotionnelle. Et leurs deux univers se complètent parfaitement. »
Ce beau partage des rôles offre à Duflot, en 2012, une récompense : elle devient ministre, après la victoire de Hollande, quinze ans après Voynet. La crise climatique est déjà totale, obsédante, et le Giec prépare alors son cinquième rapport, mais chez Les Verts, il y a d’autres priorités. Duflot exige. Oui, elle exige que Yannick Jadot, ennemi juré pour des raisons qu’on ignore, ne soit pas l’un des deux ministres verts pour les postes offerts par les socialistes. Ou ce sera comme ça, ou elle n’ira pas. Hollande cède et accepte Pascal Canfin, qui deviendra ministricule, puis macroniste. Brave fille, Duflot déclare, le 7 mai 2012 : « L’accession de François Hollande à la présidence de la République est une chance pour la France et une chance pour les écologistes. » C’est audacieux, car la lecture du blog de Hollande à la même époque montre qu’il n’est tout simplement pas au courant de la crise climatique et de celle de la vie, qu’on dénomme biodiversité. L’homme qui commence ses journées par la lecture de L’Équipe est, paraît-il, incollable sur la biographie de Raymond Kopa ou de Robert Herbin.
Pas grave, car Duflot et Les Verts sont là, non ? Non. Quand elle lâche le gouvernement, en 2014, espérant se présenter à la présidentielle de 2017, Duflot n’a pas trouvé le temps d’un seul mot sérieux – encore moins une mesure concrète – sur le grand dérèglement. Canfin, sous-ministre au « Développement », a une phrase digne des Marx Brothers, prononcée le 13 janvier 2013 : « Je m’occupe de la lutte contre le changement climatique, c’est inutile ? » Les deux s’écraseront mollement et disparaîtront sans laisser de traces. Sauf à considérer ces mots de Duflot, le 14 septembre 2012, alors qu’elle est encore groupie du grand Hollande, au moment d’une millionième « conférence environnementale » : « Je pèse mes mots : ce discours du président de la République est historique et infiniment émouvant à entendre pour une écologiste. » Sauf à signaler le livre de la même, paru en août 2014, De l’intérieur. Voyage au pays de la désillusion (éd. Fayard), censé lui mettre le pied à l’étrier pour la présidentielle de 2017.
On y découvre une femme de 40 ans qui n’en sait guère plus que Hollande sur la crise écologique planétaire. Le climat, l’eau, la forêt, la pêche industrielle, la biodiversité, l’hyperconsommation au nord, l’obsolescence voulue des biens matériels – et leur déferlement –, la surpuissance des transnationales et les traités qui la traduisent, les nécrocarburants, les industries de la chimie ou de la bidoche n’existent pas. En revanche, déferlement d’états d’âme. Hollande est un vilain. Hollande la déçoit. Sans compter ces méchants qui affirment que Placé et elle ont fait du parti une « firme » dont ils seraient les tôliers. Noël Mamère n’a-t-il pas quitté le mouvement, en septembre 2013, affirmant : « Les vrais patrons sont ceux qu’on appelle « la firme » : Cécile Duflot et ses amis » ?
Duflot abandonne son parti à la fin de 2016, après une piteuse défaite à la première primaire des Verts. Et annonce – c’est encore très loin d’être fait – qu’elle quitte la vie politique. Placé, jugé en 2018 pour injures racistes et sexistes, accompagnées de diverses violences, aura demandé en tant qu’ancien ministre – en charge de la Simplification de l’État sous Hollande –, à devenir colonel de réserve du 13e régiment de dragons parachutistes, unité des forces spéciales qui s’occupe du renseignement militaire. Est-ce bien étonnant de la part d’un fier écologiste amoureux de Napoléon et du drapeau français ? Bien entendu, le parti actuel n’a tiré aucune leçon de ces années triomphales. Et la quasi-totalité des bons amis de « la firme » sont toujours en place, merci pour eux.
Où en sommes-nous en cette fin d’été 2021 ? Cinq candidats souhaitent l’investiture « écologiste » pour la présidentielle de 2022 : Les Verts Sandrine Rousseau, Yannick Jadot, Éric Piolle, l’ancienne ministre de Hollande Delphine Batho, l’ancien waechtérien Jean-Marc Governatori. Qui gagnera ? On sait déjà qui va perdre : l’écologie. Du moins dans le sens rare où ce mot voudrait dire combattre. Contre une crise climatique devenue démentielle, d’évidence la mère de toutes les batailles. Contre la crise de la vie qui jette à la benne éléphants et abeilles, requins et alouettes des champs. L’aurez-vous remarqué ? Aucun des candidats, de peur de perdre devant les ridicules 30 000 votants de la primaire du 16 septembre, ne défend de mesure claire dans ces domaines. L’interdiction des pesticides, réclamée par le mouvement des Coquelicots et 1 200 000 soutiens ? Non. Trop clivant, sans doute. L’impératif catégorique de ne plus construire que des maisons passives – non consommatrices d’énergie – dès maintenant ? Idem. Le plus précis, Jadot, évoque comme priorité absolue la création d’un « ministère des Catastrophes et de la Protection civile et une force européenne d’intervention pour secourir et protéger ». Ce qui signifie, en français courant, s’attaquer aux conséquences, non aux causes. Parmi ses autres belles idées, citons la légalisation du shit, des Jeux olympiques à Paris miraculeusement vertueux et la création d’un « 13e mois écolo du pouvoir de vivre », digne du ministère socialo du Temps libre de 1981.
Ne surtout pas croire que Piolle, le maire de Grenoble, vaut mieux. C’est un ancien ingénieur et cadre très supérieur chez Hewlett-Packard, groupe d’informatique désormais voué à la numérisation du monde. Piolle n’en a jamais critiqué les méthodes, à commencer par l’obsolescence programmée des objets vendus. L’informatique industrielle n’était-elle pas la pointe avancée de la surveillance planétaire de tous ? Ce n’est guère étonnant, car Piolle s’inscrit dans une tradition grenobloise – les maires Dubedout et Destot, la ministre Fioraso – de soutien à toutes les « avancées » technologiques. Piolle ne s’en cache pas, qui s’écrie sans l’ombre d’une gêne : « De la houille blanche aux gantiers mutualistes […], de la révolution numérique aux recherches sur l’infiniment petit, à chaque fois Grenoble est en avance… c’est dans son ADN ! » La révolution numérique, c’est sans doute 15 % de la consommation mondiale d’électricité déjà, et deux fois plus dans quatre ans. L’infiniment petit : Grenoble abrite le « centre d’excellence » sur les nanotechnologies Minatec, lancé par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Les nanos, c’est cette aventure extrême qui a déjà balancé dans le commerce, sans l’ombre d’un débat, d’innombrables nanoparticules dans la bouffe et les vêtements, potentiellement (très) toxiques.
Piolle ne s’oublie pas dans la distribution des prix. En 2001, ce bel entrepreneur a cofondé la société Raise Partner, qui fait de l’optimisation fiscale à Singapour, sur fond de paradis fiscaux. Son épouse y travaille toujours, et il en demeure actionnaire. Mais est-ce bien une affaire de personnes ? Pas seulement. La génération « écologiste » des années 1980, 1990 et suivantes a eu maintes fois l’occasion de montrer son utilité au sein de la société. Les socialos, qui avaient promis de dynamiter les inégalités sociales, se sont couchés en un clin d’œil, après 1981, devant les maîtres, leurs maîtres. Les Verts auraient pu, auraient dû en toute certitude faire de la lutte pour le climat l’alpha et l’oméga de toute politique. On a vu. Est-ce que cela pourrait changer ? Le 28 juillet dernier, l’auteur de ces lignes a adressé le message suivant à la commission Transports d’Europe Écologie : « Journaliste à Paris pour Charlie, j’aimerais savoir si EELV a déjà publié des documents sur la voiture électrique, et si tel est le cas, pourriez-vous me les adresser ? »
Le lendemain, Stéphane Coppey, l’un des responsables de cette savoureuse confrérie, répondait : « La commission et ses groupes de travail produisent une réflexion collective documentée sur différents sujets, dont la voiture électrique, et organise, parfois en lien avec la commission Énergie, des webinaires […]. Ces réflexions nourrissent les débats internes et les échanges avec les élus, mais n’ont pas fait l’objet de débats en conseil fédéral ni de prises de position officielles du parti. » Or donc, aucun débat sur ce sujet essentiel entre tous, et aucune prise de position. À peine si l’on trouve des bribes de notations ici ou là. Jadot, en 2010 : « La sobriété énergétique a plusieurs visages et la voiture électrique peut trouver sa place sur le long terme, au sein d’une politique commune de la mobilité et des transports en Europe. » Le même, en décembre 2017 : « La première mesure symbolique pourrait être la révision en cours de la législation des émissions de CO2 des voitures : hélas, faute de courage politique face au lobby allemand, la proposition de la Commission n’intègre pas de quota obligatoire de production de véhicules électriques, contrairement à ce qui se fait en Chine. » Où l’on croit comprendre que la bagnole électrique, c’est bien. Piolle contresigne, le 9 mars 2020 : « Grenoble à la pointe de la conversion électrique des voitures thermiques. Bravo à l’entreprise Novum Tech qui anticipe les usages et ressources de demain, comme tant d’entrepreneurs locaux. Grenoble a besoin de tous ses talents pour devenir une capitale verte de l’Europe ! »
Verte. Vraiment ? Il existe un seul travail abouti sur le vrai bilan écologique de la bagnole électrique, et c’est celui de Guillaume Pitron, qui a signé en 2018 le livre La Guerre des métaux rares (éd. Les liens qui libèrent). Sa démonstration, lumineuse, prend en compte la totalité du cycle de vie de cette si belle trouvaille, opportunément imposée au moment même où l’industrie automobile entrait dans une crise historique, mêlant impasse écologique et saturation des marchés. Que dit entre tant d’autres choses documentées Pitron ? Prédisant un « electricgate » comme il y a eu un « dieselgate », il résume : « Si vous faites le calcul sur l’ensemble du cycle de vie des voitures électriques et de leurs batteries, depuis les mines dans lesquelles sont extraits les métaux jusqu’aux décharges, elles consomment autant d’énergie primaire (fossile, nucléaire, etc.) qu’un véhicule diesel. »
On peut contester tel ou tel point, mais pas cette évidence : on relance massivement l’industrie automobile mondiale, sans l’ombre d’un débat. Or la bagnole électrique aggravera fatalement l’effet de serre – des millions de voitures nouvelles cohabitant avec les anciennes –, et elle repose sur l’esclavage dans les mines africaines ou chinoises d’où sont extraits certains de ses composants de base. En provoquant sur place des catastrophes écologiques à côté desquelles l’AZF de Toulouse ou le Lubrizol de Rouen sont des bluettes. Dans ces conditions, comment le dire sans paraître désagréable ? Leur primaire, on s’en contrefout. •
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