Dans les Deux-Sèvres,
militants et monde paysan
rassemblés contre les
méga-bassines agricoles
En parallèle du congrès de la FNSEA qui se tient à Niort depuis mardi, les collectifs rassemblés par l’appel aux Soulèvements de la Terre ont manifesté mercredi contre les projets d’irrigation industrielle dans les Deux-Sèvres. Et ont bloqué les travaux sur celui de Mauzé-sur-le-Mignon.
Saint-Colomban (Loire-Atlantique) et Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres) – En quelques minutes à peine, les gigantesques pelleteuses ont fait demi-tour. Le chantier d’aménagement de la méga-bassine de Mauzé-sur-le-Mignon s’est soudainement interrompu devant l’arrivée des manifestants. Et les brebis ont déboulé au milieu de la foule. « Soyez pas des moutons ! », s’amusent les uns. « Cela faisait longtemps que je rêvais de ça... », lâche une habitante du voisinage, le sourire incrédule de celle qui a réussi une action inédite. « Ce n’est que le début de la résistance ! », dit un autre dans le mégaphone.
Mercredi 22 septembre après-midi, quelque cinq cents personnes, guidées par un convoi d’une vingtaine de tracteurs, ont pénétré sur ce chantier situé dans le marais poitevin, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Niort (Deux-Sèvres), et sont parvenus à interrompre les travaux démarrés le 6 septembre dernier. Sur 8 hectares – soit la taille d’environ dix terrains de football – un immense cratère plastifié doit être creusé pour pomper pendant l’hiver l’eau des nappes phréatiques et la retenir afin d’alimenter, en été, les grandes cultures intensives de la région – du maïs principalement.
Les pelleteuses font demi-tour sur le chantier à l'arrivée des manifestants © Amélie Poinssot / Mediapart |
Dans le département, ce sont au total seize nouvelles bassines qui sont sur les rails. Ces cratères artificiels, d’une taille allant de 8 à 20 hectares suivant les projets, sont l’une des pistes aujourd’hui mises en avant par le ministère de l’agriculture pour faire face à la sécheresse, et notamment par le « Varenne de l’eau » lancé en mai dernier, cycle de réunions pour adapter « notre agriculture aux défis du changement climatique ». Une perspective qui, à l’évidence, est loin d’être partagée dans les départements agricoles.
Pour arriver jusqu’à cette occupation du chantier, toute une convergence s’est organisée pendant deux jours, avec le renfort de paysans aguerris aux luttes de Loire-Atlantique : c’est de Saint-Colomban, à une trentaine de kilomètres au sud de Nantes, que le premier convoi de tracteurs a démarré, mardi, pour faire étape, ensuite, en plein centre de Niort où un joyeux pique-nique paysan s’est tenu mercredi midi sur la place de la Brèche pendant que la FNSEA, le syndicat majoritaire des exploitants agricoles, tenait son congrès à quelques encablures de là.
Sur le tracteur qu’elle conduit en direction de Niort, pour la première étape de cette mobilisation, Angélique Lambert ne mâche pas ses mots. Les bassines ? « Une fausse bonne idée. » Contrairement à ce qui est avancé par le ministère, mais aussi par la FNSEA, cette éleveuse de vaches et de brebis ne croit pas une seconde que les bassines sont une solution pour l’agriculture face aux dérèglements climatiques et aux épisodes de sécheresse qui se sont multipliés ces dernières années.
« Avant de construire des bassines, et de condamner ainsi des terres qui auraient pu être cultivées ou pâturées, il faudrait peut-être commencer par produire d’autres cultures, dit-elle. C’est un modèle agricole qui ne va pas du tout. Le maïs qui sera irrigué autour des bassines ne sera même pas destiné à l’alimentation. Il sera cultivé pour faire tourner des méthaniseurs. »
L’éleveuse s’agace d’autant plus que « ces bassines sont souvent présentées comme de la récupération d’eau de pluie. C’est complètement faux. D’autres croient que ce sont des sortes de lacs. Mais il n’y aura pas de vie dans ces réserves d’eau... Tout cela fausse le débat pour le grand public ».
Les brebis s’installent sur le chantier de la méga-bassine de Mauzé-sur-le-Mignon. © AmP / Mediapart |
Partie mardi matin de sa ferme située à quelques kilomètres de Notre-Dame-des-Landes, Angélique se réjouit de cette mobilisation qui rassemble une galaxie de personnes issues du monde paysan, du collectif Bassines non merci né dans les Deux-Sèvres, des mouvements climat – Youth for Climate, Extinction Rebellion –, et des zadistes de Notre-Dame-des-Landes.
C’est le premier acte de la « saison 2 » des Soulèvements de la Terre, appel parti début 2021 dans les réseaux militants afin de radicaliser les actions autour des questions liées à la bétonisation des terres. La nouvelle saison, qui commence avec cette mobilisation contre les bassines, s’est donné pour thème la lutte contre l’accaparement des terres et leur « intoxication » par le système agro-industriel.
Les méga-bassines se trouvent précisément au cœur de ces enjeux. « Il s’agit d’un accaparement de la ressource en eau au profit d’une petite minorité, souligne Amandine Pacault, porte-parole de la Confédération paysanne dans les Deux-Sèvres, qui est également aux manettes de ces deux journées de mobilisation. C’est pourquoi ce n’est pas du tout une lutte des écolos contre les agriculteurs : le principe des méga-bassines ne fait pas l’unanimité dans le milieu agricole. »
Dans ce dossier qui dure depuis des années, la Confédération paysanne avait dans un premier temps joué le jeu de la concertation. Le syndicat avait notamment demandé que l’installation de ces nouvelles méga-bassines soit conditionnée à deux choses : une diminution des pesticides sur les cultures calculée à l’échelle du territoire, et un plafonnement de la distribution en eau à 30 000 m³ par actif agricole à chaque campagne d’irrigation – sachant que les exploitants agricoles bénéficiant actuellement des bassines existantes prélèvent pour certains jusqu’à 200 000 m³ d’eau par campagne d’irrigation.
Aucune de ces deux demandes n’ayant été entendue, la Confédération paysanne a refusé de signer le protocole d’accord mis en route par la préfecture en 2018. Tout comme le collectif citoyen Bassines non merci, qui a dénoncé le manque de transparence dans les discussions.
Depuis, les deux organisations sont en lutte contre ce développement de l’irrigation industrielle, dans un département aux ressources naturelles déjà bien éprouvées par des pratiques agricoles sans considération pour les écosystèmes. Dans les années 1990, le Marais poitevin avait même perdu son statut de Parc naturel régional et l’État français avait été condamné par l’Union européenne.
Le convoi d'une vingtaine de tracteurs se dirige vers Niort © AmP / Mediapart |
Les pratiques de l’agriculture industrielle se sont pourtant poursuivies, et une grande partie du marais tel qu’il était dans les années 1960 a fini par s’assécher à force de drainage pour irriguer les grandes cultures. Ce n’est pourtant pas la tradition du coin : ici, élevage et maraîchage dominaient autrefois le paysage.
C’est là l’une des raisons à l’origine de l’engagement de Julien Le Guet, l’une des chevilles ouvrières du collectif Bassines non merci. « J’ai un amour profond pour la biodiversité, les grenouilles qui chantent, les libellules partout, raconte cet ancien animateur nature dans le Marais poitevin. L’érosion de la biodiversité, ce n’est pas une vue de l’esprit, pas besoin d’aller voir les ours au pôle Nord pour s’en rendre compte… Quand j’étais gosse, on attrapait les grenouilles par centaines dans le marais ; c’est à peine si on en voit une par an aujourd’hui. »
Alors pour lui, des réservoirs qui viendraient encore pomper de l’eau pour perpétuer un modèle agricole qui a déjà fait tant de dégâts, il n’en est pas question. « On ne veut pas de cette technologie, avec un fonctionnement au service de seulement quelques intérêts particuliers, poursuit le militant. Regardez le rôle du contrôle de l’eau dans notre civilisation : le partage est essentiel. »
Mais peut-on faire autrement que de pomper l’eau dans les nappes phréatiques ? « Oui : la solution, c’est l’agronomie, explique Amandine Pacault. C’est-à-dire changer les pratiques agricoles pour retenir l’eau dans des sols. Pour cela, il faut y remettre du vivant et arrêter l’érosion. Autrement dit, planter des haies, remettre en route des prairies et de l’élevage en plein air, stopper les engrais… Le système agricole a fait tout l’inverse jusqu’à présent : les sols sont morts, on est arrivé au bout d’un cercle vicieux. »
Autre piste mise en avant par cette paysanne maraîchère bio installée au nord de Niort : remettre en culture des variétés anciennes de maïs, lesquelles s’adaptent plus facilement que le maïs hybride qui a été fabriqué pour produire de hauts rendements mais qui doit être arrosé en plein été, précisément quand la ressource en eau est faiblement disponible, et qui ne résiste pas à la moindre sécheresse.
À Niort, les tracteurs font étape autour d'un pique-nique paysan. © AmP / Mediapart |
De fait, 95 % de la surface agricole française est cultivée sans système d’irrigation : c’est tout simplement l’eau de pluie qui arrose les parcelles. Il est donc possible de faire sans bassine.
Les opposants aux méga-bassines dénoncent en outre un passage en force du côté de la Société coopérative de l’eau des Deux-Sèvres qui porte ce développement de l’irrigation dans le département ; elle a lancé le chantier de Mauzé-sur-le-Mignon alors que plusieurs recours juridiques ont été déposés par différentes associations. L’un d’entre eux a donné lieu à une décision du tribunal administratif de Poitiers en juin dernier – qui conclut au surdimensionnement de neuf projets, épargnant celui de Mauzé –, mais les autres sont toujours en cours.
Lire aussi
Les procédures pourraient se situer également à un autre niveau. En début d’année, le collectif Bassines non merci a déposé une pétition à la commission des pétitions du Parlement européen – la commission dite « PETI » qui permet aux citoyennes et citoyens de l’Union de dénoncer une entorse au droit européen. La réponse de l’exécutif européen à ce sujet, tombée il y a quelques jours, témoigne d’une possible non-conformité des projets de méga-bassines avec six directives européennes – c’est-à-dire des textes réglementaires que chacun des États membres de l’UE est censé respecter, au risque de se voir sanctionner par la Cour européenne de justice.
Face à ces six textes relatifs à la protection de l’environnement (directive-cadre sur l’eau, directives « eaux souterraines », « eau potable », « nitrates », « habitats », et « oiseaux »), l’État français pourrait s’avérer défaillant. Si la procédure européenne se poursuit dans ce sens, cela pourrait conduire à l’interruption des travaux à Mauzé-sur-le-Mignon. « La Commission prend très au sérieux ce cas complexe qui rejoint sa préoccupation générale de protection de la ressource en eau et de la gestion de ses usages dans un contexte de raréfaction d’une eau de qualité », relève ainsi l’exécutif européen.
Contactée au sujet de ces projets de bassines, Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, qui tenait son congrès à Niort jusqu'à ce jeudi, n'a pas répondu à nos questions. Les réserves d'irrigation font partie des technologies soutenues par le syndicat pour faire face au changement climatique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire