Congrès de l’UICN
à Marseille :
Allez, on y croit !
La grand-messe a démarré en fanfare. Il convenait de donner le prestige mérité à ce Congrès de l'UICN inauguré par le Président de la République en personne et qui se tient du 3 au 7 septembre. Qui s'en plaindrait tant l'urgence d'enrayer le déclin du vivant est martelée par les scientifiques depuis des décennies alors que la situation continue de s’aggraver ?
En parcourant les allées du congrès (près de 100 000 m2), il est difficile d’en ressortir rassuré. Tous les stands, les lieux de débat, les affiches et autres tracts alertent sur ce que nous savons tous : l’agonie du vivant est en marche depuis trop longtemps. Les chiffres, les photos, les schémas en tous genres sont d’une pathétique éloquence. Ils nous disent les conséquences du mépris de l’homme. Dans le même temps, avec une conviction comparable, le message de l’espoir se répand d’un bout à l’autre du congrès. En résumé, c’est très grave, mais on a les solutions !
À mon âge, j’ai fréquenté bien des rassemblements comparables à cette conférence internationale. Le premier qui a sûrement constitué une étape essentielle dans la prise de conscience mondiale, se déroula en 1992, à Rio. Le fameux Sommet de la Terre qui, après Stockholm et Nairobi, généra une véritable prise de conscience.
À l’époque, trois piliers se conjuguaient. Il fallait agir simultanément sur le climat, la biodiversité et la misère, notamment provoquée par la désertification. Vingt ans plus tard, les dossiers à traiter restent identiques.
L’espoir était pourtant permis à Nagoya, en 2002, lors de la Convention sur la biodiversité. Accompagnant la délégation française, j’avais la naïveté de croire au miracle. L’ambition visait non seulement à stopper le déclin de la vie sauvage, mais à dessiner une renaissance. Las, même en tordant les chiffres, il fallait bien admettre que l’échec était au rendez-vous. Le vivant continuait de s’estomper. En pareille circonstance, les organisations invitent toujours à positiver. La meilleure manière de le faire étant de relancer de nouveaux projets. Ainsi naissait le protocole de Nagoya qui visait à faire aussi bénéficier les minorités des ressources qui étaient prélevées – bien souvent pillées – sur leur territoire. L’accord international désigné APA, n’est toujours pas vraiment fonctionnel aujourd’hui. Quant à l’arrêt du déclin de la biodiversité, il fut reporté à 10 ans plus tard lors d’un autre sommet en Inde.
En 2012, j’étais présent à Hyderabad. Même constat. Après des débats laborieux, la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité se conclut le 20 octobre à 2h30 du matin. Faute de mieux, elle invite à sortir le porte-monnaie. « Les financements en faveur de la biodiversité seront doublés d’ici à 2012 » vote-t-elle à l’arraché. Le compromis basé sur une initiative Franco-Allemande a-t-il été concrétisé ? Les pays les plus démunis en ont-ils bénéficié ? Les budgets ont-ils profité au sauvetage des espèces les plus menacées ? Difficile d’établir un bilan budgétaire dans la jungle administrative. Quoi qu’il en soit, j’ai le souvenir d’une déclaration rassurante : « C’est dans l’histoire, la première fois qu’est fixé un objectif financier international en faveur de la biodiversité », se félicitait Delphine Batho, à l’époque ministre de l’Écologie. L’enthousiasme n’a pas duré. En 2013, dix heures après avoir qualifié le projet de budget 2014 de « mauvais », elle est remerciée du gouvernement !
Dans les couloirs, on s’affaire, on multiplie les propositions qui se heurteront probablement à l’indifférence
Quelle nouvelle stratégie enthousiasmante sortira du chapeau de Marseille ? Tout se jouera durant les dernières minutes. En attendant, dans les couloirs, on s’affaire, on multiplie les propositions qui se heurteront probablement à l’indifférence. Mais la bonne volonté ne manque pas. Déjà, en 2020, plus d’une centaine de recommandations ont été adoptées en vue du congrès de Marseille. Dans le désordre, on note le renforcement de la protection des poissons des récifs coralliens, des mangroves ou des grands singes, la reconnaissance des crimes environnementaux au titre de crime grave, la lutte contre les plastiques dans l’océan, l’artificialisation des sols. Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l’UICN, résume la situation : « On peut classer ces recommandations en trois grandes catégories : celles demandant un renforcement d’actions sur des espèces et des écosystèmes particuliers, celles soutenant des politiques et des stratégies environnementales plus ambitieuses, et celles requérant une lutte plus importante contre les pressions pesant sur la biodiversité. » Tout est dit ou presque, puisque la question des solutions alternatives aux pesticides et bien d’autres recommandations s’ajoutent à la liste.
Ces vœux pieux seront-ils contraignants en droit ? Non ! En tout cas, pas encore. Ils constitueraient la base des objectifs qui seront établis à la Cop 15 biodiversité de l’ONU (vous suivez ?) dans la perspective de 2030. Honnêtes et lucides, les organisateurs admettent que, malgré quelques progrès, les objectifs de 2010 n’ont pas été atteints. Pas plus que ceux de 2020. Pourquoi ne pas parier sur 2030 ? Une brochette de personnalités au rayonnement mondial a accepté de venir plaider la cause. Pour les Français, c’est Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Medef, Laurent Fabius, président du Conseil Constitutionnel, Mathieu Ricard, Nicolas Hulot et d’autres qui se relaieront pour porter la bonne parole. Ils seront accompagnés par Frans Timmermans, président de « l’European Green Deal », Xins Sheng Zhang, président de l’UICN Chine et une multitude de personnalités venues du Kenya, du Chili, de l’Australie, des États-Unis, du Tchad, etc., et même du Vatican. Rarement une telle énergie convergente vers la sauvegarde de la nature n’aura été rassemblée (sans parler des intervenants en visioconférence).
Début août, le sixième rapport du GIEC apportait ses premières remarques sur le bilan du réchauffement climatique. Conclusions glaçantes, si j’ose dire. Dans les 20 prochaines années, la température devrait atteindre ou franchir le seuil de 1°5 (que l’accord de Paris s’était engagé à ne pas dépasser !). Nous avons rendez-vous avec davantage de sécheresses, d’inondations, de tempêtes, de montées des eaux et autres changements d’habitudes avec évidemment des conséquences directes sur la biodiversité. Plus que jamais, le climat doit être associé à la nature. La maltraitance de la nature conduit au réchauffement alors qu’elle est une réponse pour endiguer les causes. Le Congrès de l’UICN à Marseille ne manquera pas de le rappeler… une fois encore. ●
Source : https://charliehebdo.fr/2021/09/ecologie/congres-uicn-marseille-vive-nature/
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