Ces oiseaux intoxiqués
au plomb
Des Pyrénées aux Alpes, les rapaces et les oiseaux d’eau souffrent d’intoxication au plomb, largement due à la chasse. Un des sujets du Congrès mondial de la nature, qui se tient à Marseille.
Le vautour fauve plane par-dessus les gorges de la Jonte. Lentement, il tournoie, survolant les Grands Causses entre Lozère et Aveyron. Avec ses ailes déployées et son bec affûté, il semble invincible. Pourtant, il souffre. Son mal est invisible. Ses capacités visuelles sont altérées, son orientation est brouillée et il est amaigri. Une intoxication au plomb l’a rendu vulnérable.
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Comme lui, d’autres rapaces et des millions d’oiseaux d’eau sont atteints de saturnisme. En France, selon la ligue de protection des oiseaux (LPO), 18 % des cadavres de rapaces qui ont pu être analysés ont révélé avoir été exposés au plomb. Chaque année, en Europe, un million d’oiseaux d’eau meurent ainsi de saturnisme. Au total, 135 millions sont exposés à un risque d’empoisonnement par le plomb, causé par l’utilisation de munitions, selon l’agence européenne des produits chimiques.
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Jusqu’au 11 septembre, le congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) se tient à Marseille, après s’être déroulé en 2016 à Hawaï, aux États-Unis. Lors de cette précédente édition, l’UICN avait adopté une motion pour réclamer la suppression des munitions au plomb. Mais le chemin est encore long.
Des résidus de plomb inquiétants pour les charognards et l’homme
Sentinelles d’une longue chaîne alimentaire, les rapaces charognards, depuis les Pyrénées jusqu’aux Alpes, sont particulièrement touchés. « Chez les nécrophages, il y a une acidité importante capable de digérer les os de leurs proies. Or cette acidité augmente l’absorption de plomb qui se répand dans l’organisme », souligne Florence Roque, directrice du centre de pharmacovigilance vétérinaire de Lyon et bénévole en charge de l’autopsie des rapaces pour le centre national d’informations toxicologiques vétérinaires.
L’alimentation de ces charognards est notamment constituée de gibiers chassés au plomb et de carcasses d’animaux évidés sur place par les chasseurs. « C’est inquiétant pour l’environnement mais aussi pour les chasseurs », déplore Florence Roque. Au-delà des munitions visibles, des fragments de plombs subsistent dans l’organisme de l’animal, qu’il soit consommé par l’homme ou par les charognards. « Mon grand-père se nourrissait de lapins tués au plomb, et il n’est pas mort du saturnisme », balaie le directeur de la fédération des chasseurs du Gard, Marc Valat.
Pour les oiseaux, conclure que la mort est liée à la présence de plomb reste toutefois complexe. Le réseau Vigilance Poison, géré par la LPO ainsi que le réseau SAGIR, dirigé par l’office français de la biodiversité (OFB) avec le concours des fédérations de chasse, gèrent la surveillance toxicologique des cadavres d’oiseaux retrouvés. Mais les chiffres sont délicats à décrypter.
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Selon une étude publiée dans la revue scientifique Ecotoxicology and Environmental Safety, une exposition au plomb à long terme, même à des niveaux inférieurs au seuil réglementaire, « réduit les capacités des oiseaux à éviter les obstacles ou à apprendre à les éviter ». Ainsi, une collision avec une ligne à haute tension est ainsi identifiée comme étant la cause de la mort, « alors que celle-ci devrait être attribuée à une forte exposition au plomb ».
Des munitions en cuivre
Le plomb peut aussi émaner d’anciennes industries minières. Mais, selon la même étude, concernant les rapaces des Pyrénées, la répartition des cas avérés de saturnisme ne correspond pas à la carte des industries minières. En revanche, elle est corrélée à une partie de la montagne où la chasse est intensive.
Dans le parc national des Cévennes, dans le cadre du programme européen Life GypConnect, un groupe d’une cinquantaine de chasseurs volontaires, membres de la fédération de Lozère, ont testé durant deux saisons, en 2018 et 2019, des munitions à base de cuivre. Jusqu’à 60 % plus chères que les munitions de plomb, celles en cuivre étaient prises en charge en partie par le programme européen.
« Globalement, l’expérience a été satisfaisante. J’utilise désormais le cuivre pour des distances proches. En revanche, le plomb reste plus efficace pour atteindre des cibles lointaines », témoigne Ludovic Agulhon, l’un des volontaires. Cet essai, positif, sera reconduit prochainement. Néanmoins, le prix du cuivre reste la principale difficulté pour convaincre les chasseurs.
Une réglementation pour les zones humides
Fortement exposés à un risque d’empoisonnement, les oiseaux d’eau sont depuis longtemps au centre des préoccupations environnementales. En France, depuis 2006, il est interdit de tirer au plomb dans les zones humides jusqu’à 30 mètres de la nappe d’eau en direction de l’eau. Mais, au-delà de cette zone tampon, si le chasseur ne tire pas en direction de l’eau, c’est autorisé. « C’est une aberration », estime Pascal Orabi, chef de mission à la LPO. « Comment prouver qu’un chasseur a tiré vers les zones humides ? Les verbalisations sont impossibles. De surcroît, les contrôles sont rarissimes. »
En Camargue, en bordure de la réserve naturelle de la Tour du Valat dont les 2 700 hectares viennent d’entrer dans la liste verte des aires protégées de l’UICN, les récoltes de douilles après la saison de chasse montrent que 55 % des munitions utilisées sont encore au plomb. «La totalité des chasseurs sont informés de la réglementation », précise Marc Valat, conscient que certains ne la respectent pas. « Il aurait fallu que cette loi interdise totalement le port de munitions de plomb dès lors que l’on chasse en zone humide. »
Ici, pas de marée capable d’évacuer les billes de plomb. « Nous avons une présence très importante de plomb affleurant la surface de l’eau, accessible aux oiseaux qui les ingurgitent », détaille le directeur de la Tour du Valat, Jean Jalbert. « Il suffit de deux grenailles pour qu’un canard soit condamné à terme. L’action mécanique de l’absorption du plomb par le gésier et les sucs gastriques se transmet dans le sang et conduit au saturnisme », ajoute-t-il face à l’incompréhension de quelques chasseurs.
« Certes, il n’y a pas d’oiseaux morts partout », poursuit-il. « Mais le saturnisme ne se voit pas, les oiseaux deviennent faibles, sont à la merci des prédateurs, avec une contamination de la chaîne alimentaire. » Pour les rapaces, pour les oiseaux d’eau comme pour l’homme, les conséquences du plomb, pourtant bien présentes, demeurent invisibles, silencieuses mais néanmoins réelles.
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Restrictions sur la grenaille de plomb
En janvier 2021, la Commission européenne a adopté une restriction sur l’utilisation de la grenaille de plomb dans les zones humides de l’UE. Elle s’appliquera à partir du 15 février 2023 dans les 27 États membres.
Cette restriction prévoit également d’étendre la zone tampon de 30 à 100 mètres autour des nappes d’eau. Les États membres composés d’au moins 20 % ou plus de zones humides devront interdire la grenaille de plomb dans tout le pays. Dans ce cas, la restriction s’appliquera à partir du 15 février 2024.
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