Ministère de l’Environnement :
cinquante ans et plus une dent
Le ministère de l'Environnement a cinquante ans et fait semblant depuis tout ce temps. Ce n'est même pas la faute des ministres, ectoplasmes si contents d'être sur la photo. Le mal est plus profond : ceux qui décident sont ceux qui salopent tout depuis deux siècles.
Presque trop facile. Quand le père Pompidou décide la création d’un ministère de l’Environnement en 1971, il confie la tâche à ce bon monsieur Poujade, maire de Dijon, qui se demanderait pourquoi on l’eut choisi s’il n’était pas mort. Sans doute parce qu’il avait été le conseiller d’un ministre de la construction oublié, puis en charge d’une « commission du développement » régional. Lui-même devait écrire ensuite un livre, disant l’évidence dès le titre : « Le ministère de l’impossible ». L’époque est à ce qu’on appelle le « gaullisme immobilier » : les combines avec les promoteurs, les lourdes valises de liquide, la traversée de Paris en 13 minutes « grâce » à la voie express qui porte d’ailleurs le nom de son créateur, Pompidou. Ce dernier lâche : « La ville doit s’adapter à la voiture ». Paris est à nouveau éventrée.
On ne dressera pas la liste de tous les autres, mais regardons tout de même quelques noms. En 1974, Peyrefitte, l’inénarrable Alain Peyrefitte, qui fut ministre de l’Information – flic de la télé – sous de Gaulle. De 1978 à 1981, Michel d’Ornano, dont le cabinet appuie en automatique les décharges les plus criminelles, comme celle de Montchanin. De 1984 à 1986, Huguette Bouchardeau – fière PSU –, qui se fait enfler par les ingénieurs de son propre ministère dans l’affaire des déchets de Seveso passés en France. De 1986 à 1988, Alain Carignon, qui finit en taule pour avoir vendu l’eau de Grenoble à la Lyonnaise des Eaux.
De 1989 à 1991, Brice Lalonde, qui fait des bulles avant de copiner
avec l’ultralibéral Alain Madelin. De 1995 à 1997, Corinne Lepage, qui
en tire le livre « On ne peut rien faire, madame le ministre », qui démontre parfaitement qu’un tel ministère ne sert à rien.
De
1997 à 2001, Dominique Voynet, qui accepte de siéger au conseil des
ministres où trône un certain Claude Allègre, négateur en chef du
dérèglement climatique. Et ne fait rien.
De 2001 à 2002, Yves
Cochet, inaugurateur de chrysanthèmes. De 2007 à 2009, Jean-Louis
Borloo, grand ordonnateur du grandiose enfumage du Grenelle de
l’Environnement avec en guest star Nathalie Kosciusko-Morizet, jouant de la harpe dans son jardin pour Paris Match. Un dernier pour la route : de Rugy en amoureux transi du homard mayonnaise.
Tout ça ne pèse rien en réalité. Les ministres passent, qu’on les oublie la seconde suivante – qui se souvient de Jarrot, Lepeltier, Olin, Bricq, Borne ? Qui se souviendra de Pompili ? – et demeurent les structures. Or, sans entrer dans le détail, retenons que deux grands corps d’ingénieurs d’État se partagent la direction réelle du ministère : les ingénieurs des Mines et ceux des Ponts, des eaux et forêts. Le pouvoir, c’est eux.
Derrière les ministres, les bétonneurs
Prenons l’exemple de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), qui a dans sa besace, la biodiversité, la mer, le littoral, et l’eau. En août 2019, son dirlo, Paul Delduc, quitte sa fonction, où il est remplacé par Stéphanie Dupuy-Lyon. Le premier est ingénieur général des Ponts, des eaux et des forêts. La seconde est ingénieure des Ponts, des eaux et des forêts. Idem à la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), qui gère le si vaste domaine des pollutions. Son boss, Cédric Bourillet, est ingénieur des Mines et son adjoint, Patrick Soulé, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts. Ces grands personnages savent partager.
Troisième exemple : la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), qui s’occupe, comme il n’est pas difficile de le deviner, du dérèglement climatique. Patron inamovible : Laurent Michel, ingénieur général des Mines.
Tous ces braves gens font partie de ce que Bourdieu appelait la « noblesse d’État », et ce n’est pas un vain mot, puisque le corps des Mines existe depuis 1794. Pour l’autre, résultat d’une fusion, il faut distinguer les Ponts et Chaussées, corps né en 1716 et celui du Génie rural, des eaux et des forêts, que certains font remonter à… 1291. La France que nous connaissons, c’est eux.
Deux grands corps d’ingénieurs d’État se partagent la direction réelle du ministère
Les ingénieurs des Mines auront mené au cours des deux siècles passés
l’industrialisation de la France. Et dans l’après-guerre, créé ou
dirigé Elf – le pétrole, les coups d’État en Afrique –, Renault et la
bagnole, le nucléaire, bien sûr, avec EDF, la Cogema, le CEA.
Les
Ponts, c’est le programme autoroutier, les barrages sur les rivières,
les châteaux d’eau et les ronds-points, le béton armé et les cités
pourraves de toutes les banlieues. Les Eaux et Forêts, enfin, ont
massacré la campagne en remembrant, en arasant des centaines de milliers
de kilomètres de talus boisés, en aidant à la diffusion massive des
pesticides via les directions départementales de l’agriculture dont ils
furent les maîtres.
Joyeux, pas vrai ? On crée un ministère en 1971 et on refile les clés à ceux qui ont tout salopé en leur demandant de faire exactement le contraire de ce que leurs chers ancêtres ont fait. En oubliant, en plus, leur magnifique formation, qui laisse de côté tout ce que l’écologie scientifique a maintes fois établi.
Le ministère de l’Environnement de 1971 ? Le ministère de l’Écologie de 2021 ? On sait se marrer, dans les hautes sphères. •
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