Cancer et glyphosate :
le complément d’expertise
de l’Anses n’aura pas lieu
Donneuse d’ordre d’une étude sur l’herbicide controversé, l’agence française a exigé du Centre international de recherche sur le cancer qu’il collabore avec les industriels, ce que celui-ci a refusé.
Une boîte de désherbant au glyphosate, dans un champ de moutarde, à Ouzouer-sous-Bellegarde (Loiret), en 2017. CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS |
Le glyphosate est la plaie des agences réglementaires. En mars 2018, le gouvernement avait saisi l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) afin qu’elle mette sur pied et finance une série d’études susceptibles de trancher la controverse sur la cancérogénicité de l’herbicide.
Le premier volet de ces travaux avait été confié à un consortium de laboratoires publics qui s’est retiré mi-juillet 2020. Le second était attribué au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), mais lui aussi vient de signifier à l’Anses qu’il renonce.
Le gendarme français des pesticides l’a annoncé début décembre 2020 avec une singulière discrétion, en ajoutant à l’un de ses communiqués de presse, daté du 23 juillet, une brève note de bas de page de deux lignes. « En octobre 2020, peut-on y lire, le CIRC a fait part à l’Anses de sa décision de retirer son programme d’étude sur la toxicité du glyphosate afin de se recentrer sur de nouvelles priorités de recherche. » Une version qui diffère sensiblement de celle du CIRC.
Conflits d’intérêts
En juin 2020, la révélation de conflits d’intérêts internes à la procédure d’attribution des fonds de recherche avait déjà créé le trouble. Plusieurs chercheurs ayant été choisis par l’Anses pour établir le cahier des charges des études à mener avaient en effet candidaté et leur laboratoire avait remporté l’appel d’offres. Le cahier des charges avait été validé par un groupe d’experts de l’Anses dans lequel siégeait de surcroît l’un des chercheurs lauréats.
Cette situation avait été dénoncée à l’Assemblée nationale par les députés Delphine Batho (Génération écologie, Deux-Sèvres) et Loïc Prud’homme (La France insoumise, Gironde). Devant la controverse, le consortium désigné par l’Anses avait renoncé, à la mi-juillet, à conduire les études en question.
Cette fois, ce sont les exigences de l’Anses à l’égard du CIRC qui ont conduit à un désaccord sur l’implication des industriels dans le projet, et finalement au retrait de celui-ci. « A l’origine, le CIRC a répondu à un appel d’offres de l’Anses pour étudier les mécanismes d’action potentiels du glyphosate sur le développement du cancer », explique-t-on à l’agence onusienne basée à Lyon, et chargée d’animer la recherche sur le cancer au niveau mondial.
Le but du projet proposé par le CIRC était « d’apporter des données de qualité sur les mécanismes d’action épigénétiques du glyphosate liés au développement du cancer » . Selon l’agence onusienne, « ce projet dans son ensemble n’a pas été retenu pour financement par l’Anses, qui a décidé de financer uniquement la partie consacrée à l’effet génotoxique [toxicité pour l’ADN] du glyphosate ».
Mais en septembre 2020, l’Anses aurait requis du CIRC qu’il collabore avec les sociétés commercialisant des produits à base de glyphosate, réunis au sein du Glyphosate Renewal Group (GRG), qui réunit des firmes comme Bayer, Syngenta, Nufarm, etc. « L’Anses a formulé deux requêtes, assure-t-on au CIRC. Le glyphosate qui sera testé dans l’étude du CIRC devra provenir du GRG et le protocole utilisé devra être transmis à ce dernier. »
Créée au milieu des années 1960 à l’initiative du président Charles de Gaulle pour animer la recherche sur le cancer autant que pour préserver celle-ci des influences extérieures, l’agence onusienne est généralement jalouse de son indépendance.
Conditions « inacceptables »
Ces deux conditions ont été jugées « inacceptables », selon le CIRC, et « la décision de se retirer du projet a été communiquée à l’Anses le 2 octobre » . Trois jours plus tard, raconte-t-on à l’agence onusienne, l’Anses faisait machine arrière et se disait finalement prête à financer l’étude aux conditions du CIRC, sans implication des industriels et sans partage du protocole de recherche. Trop tard.
« Une évaluation du glyphosate ayant déjà eu lieu et restant valide à ce jour, il nous a semblé préférable de ne pas prendre part à ce projet sur la génotoxicité en France », conclut-on au CIRC. En 2015, l’agence onusienne a en effet classé le glyphosate, pesticide le plus utilisé au monde, comme « cancérogène probable » pour l’homme, ouvrant une controverse majeure avec les agences réglementaires américaines et européennes, qui contestent cette classification.
Sollicitée, l’Anses n’est pas en mesure de répondre aux questions du Monde et renvoie à l’audition de son directeur général, Roger Genet, par les parlementaires de la mission d’information sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. « J’ai le regret de vous annoncer que le CIRC (…) nous a écrit début octobre pour nous indiquer qu’il renonçait » a déclaré M. Genet au cours de son audition du 27 octobre
Ainsi, aucune des études sur le glyphosate pilotées par l’Anses ne verra finalement le jour avant la réévaluation de l’herbicide controversé, en cours au niveau européen. Cette réévaluation doit s’achever en 2022 et déterminera la réhomologation du célèbre herbicide.
Stéphane Foucart
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