De l’eldorado gazier
au chaos
A l’abri des regards, les projets gaziers sèment le chaos au nord du Mozambique et la France en est directement complice.
En 2010 et 2013, d’immenses réserves de gaz ont été découvertes au large du Mozambique : les 9èmes plus grandes réserves gazières du monde. Il est prévu qu’au moins 60 milliards de dollars soient investis ces prochaines années pour exploiter ces réserves, les plus gros investissements jamais réalisés en Afrique subsaharienne. C’est cinquante fois plus que les fonds récoltés par les Nations Unies pour reconstruire le pays après le passage des cyclones Kenneth et Idaï. Les plages de sable fin de la province de Cabo Delgado à l’extrême nord du Mozambique sont devenues l’eldorado des industriels du gaz comme Total et de toutes les entreprises qui gravitent autour de tels méga projets énergétiques. Cet eldorado tourne déjà au cauchemar pour la population mozambicaine et plus particulièrement pour les habitant·es de cette région, en proie à un conflit qui s’embrase. Au service des industriels du gaz et de l’armement, le gouvernement français n’a pas hésité à plonger le pays dans le piège des énergies fossiles, quitte aggraver la crise climatique, se rendre complice de violations des droits humains et de pratiques de corruption. Les Amis de la Terre France, Mozambique et International révèlent les détails de cette affaire dans un nouveau rapport alarmant.
Pour lire le rapport cliquer sur ce lien :
https://www.amisdelaterre.org/wp-content/uploads/2020/06/rapport-mozambique-vf-fr.pdf
SCANDALE DE CORRUPTION
Cette affaire démarre au détour d’un scandale de corruption qui a plongé le pays dans la crise économique et financière, avant même que les projets gaziers ne se concrétisent. En 2013, le gouvernement mozambicain conclut un contrat douteux avec les Constructions Mécaniques de Normandie (CMN), appartenant au milliardaire et marchand d’armes franco-libanais Iskandar Safa, pour monter officiellement une flotte de pêche au thon. En réalité, le gouvernement mozambicain a illégalement contracté des dettes pour financer un programme de défense, censé lui permettre d’assurer sa souveraineté sur sa zone économique exclusive et les gisements d’hydrocarbures qu’elle contient. Au passage, des pots de vin ont été versés et plusieurs personnes ont été poursuivies pénalement pour fraude et corruption. Cette colossale dette maintient aujourd’hui le Mozambique dans une dépendance aux puissances et multinationales étrangères venues exploiter les réserves d’hydrocarbures ainsi qu’aux futurs revenus gaziers.
Il semble que le gouvernement français ait délibérément fermé les yeux sur les contours douteux de ce contrat naval, au risque de jouer dangereusement avec le taux d’endettement du Mozambique et de se rendre complice de pratiques de corruption. L’objectif pour la France n’était pas seulement de sauver les chantiers de Cherbourg en difficulté économique, mais aussi d’exporter d’autres types d’armement et de renforcer la marine mozambicaine pour qu’elle soit en capacité de protéger les installations gazières. Déjà à cette époque, les grands groupes énergétiques français convoitaient les immenses réserves d’hydrocarbures.
LA FRANCE A LA MANOEUVRE
Depuis, les voeux de l’industrie fossile française se sont réalisés et les pouvoirs publics ont grandement contribué à les exaucer. Une myriade d’entreprises du secteur des hydrocarbures et de tous les secteurs qui gravitent autour (logistique, sécurité privée) sont aujourd’hui impliquées dans les trois projets gaziers en cours de développement au large du Mozambique.
Depuis plusieurs années, tout l’arsenal français de la diplomatie économique a été activé pour défendre leurs intérêts au Mozambique : visites diplomatiques en présence du patronat, financements publics, missions d’affaires, activation des services économiques de l’ambassade… Ces efforts diplomatiques se sont accentués depuis l’arrivée de Total en septembre 2019 comme principal opérateur du méga projet Mozambique LNG, suite au rachat des actifs africains d’Anadarko. Le gouvernement français a même choisi de soutenir financièrement l’un des trois projets gaziers en accordant une garantie à l’exportation de plus d’un demi milliard d’euros pour faciliter sa réalisation. De nouvelles aides financières publiques du même type pourraient être octroyées prochainement. Les quatre grandes banques privées françaises sont également omniprésentes sur ces nouveaux projets climaticides. Crédit Agricole et Société Générale sont des acteurs centraux, jouant un rôle clé de conseillers financiers auprès des opérateurs gaziers.
CABO DELGADO, UNE PROVINCE QUI S’EMBRASE
Depuis octobre 2017, des groupes d’insurgés multiplient les attaques dans la province de Cabo Delgado. Les violences ont fait au moins 1100 morts, majoritairement chez les populations civiles. L’insurrection s’est construite sur un enchevêtrement de tensions sociales, religieuses et politiques, exacerbées par l’explosion des inégalités et les violations des droits humains liées aux projets gaziers. Face à cela, le gouvernement mozambicain, avec la complicité des puissances et multinationales occidentales, choisit la stratégie de la militarisation pour protéger en priorité les installations gazières, au détriment des communautés. Rien n’est fait pour s’attaquer aux racines politiques et sociales du conflit. Au contraire, la militarisation de la zone et les activités gazières contribuent à alimenter les tensions qui le nourrissent. Les violations de droits humains se multiplient sur les communautés, prises en étau entre les insurgés, les forces militaires et paramilitaires privées, les multinationales ou leur sous-traitants. Les impacts des déplacements de populations pour laisser place aux entreprises liées au boom gazier – plus de 550 familles sont privées de leurs terres, de leurs accès à la mer et de leurs moyens de subsistance – sont aggravés par la militarisation de la zone. Les personnes qui tentent de raconter ce qu’il s’y passe sont intimidées par les forces gouvernementales et certaines d’entre elles ont disparu.
Dans ce contexte et avec l’arrivée de Total en 2019, la diplomatie économique française se double d’une accélération de la coopération militaire. De l’armement sous licence française se retrouve même entre les mains de groupes paramilitaires actifs pour contrer l’insurrection, et notamment dans celles d’Erik Prince, l’ancien patron de la compagnie américaine de mercenaires Blackwater, bien connue pour ses activités désastreuses dans la guerre en Libye et en Afghanistan.
Le Mozambique est ainsi en train de s’enfoncer dans la malédiction des ressources naturelles, avec la complicité de l’Etat et des multinationales françaises. Le boom gazier s’accompagne de l’exacerbation des conflits et de la violence ainsi que de l’accroissement des pratiques de corruption et des inégalités sociales, comme une répétition de ce que tant d’autres pays notamment sur le continent africain ont connu.
LE DOIGT SUR LE DÉTONATEUR D’UNE BOMBE CLIMATIQUE
Pourtant, en janvier 2020, Emmanuel Macron déclarait devant la Convention Citoyenne pour le Climat, que « la difficulté qu’on aura collectivement, c’est d’expliquer à des pays pauvres qui découvrent des gisements, comment il va falloir se passer de ces hydrocarbures. […] Par exemple, le Mozambique découvre qu’il a de formidables gisements dans ses eaux territoriales. […] Il va falloir trouver des compensations dans l’économie internationale pour les aider à en sortir et les rendre moins dépendants de cela. » [1]. De beaux discours qui contrastent avec la réalité des activités de la France au Mozambique.
L’exploitation du gaz au Mozambique est une véritable bombe climatique. Les premiers projets pourraient générer autant de gaz à effet de serre que sept années d’émissions de la France. Exploiter ces réserves est totalement irresponsable, dans un pays déjà fortement vulnérable aux effets du dérèglement climatique. Il n’y a pas plus tard qu’un an, le Mozambique était touché par deux cyclones ravageurs.
Les installations offshore auront également un terrible impact sur la remarquable biodiversité locale. Le parc national des Quirimbas reconnu par l’UNESCO, situé à quelques kilomètres des futures installations est en danger.
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