Loi de finances :
Macron discourt sur l’écologie,
ses députés la démolissent
6 juillet 2020 / Gaspard d’Allens (Reporterre)
Discuté à l’Assemblée nationale jusqu’à la démission du gouvernement Philippe, le projet de loi de finances rectificative (PLFR) a méthodiquement écarté toutes les mesures qui auraient pu permettre un « virage » écologique et social.
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Ce n’est plus une faille, c’est un gouffre. Le décalage entre les paroles et les actes du gouvernement ne cesse de se creuser. Quelques jours à peine après « la vague verte » des municipales, l’écologie a fait naufrage à l’Assemblée nationale. La majorité parlementaire La République en marche (LREM) a enterré, lors de l’examen du troisème projet de loi de finances rectificative (le PLFR 3) toutes les mesures susceptibles d’enclencher une transition écologique et sociale. Les débats ont été suspendus vendredi 3 juillet à la suite de la nomination du nouveau Premier ministre Jean Castex mais ils reprendront sûrement dans les prochains jours.
L’enjeu est de taille. Pour affronter la récession, le gouvernement prévoit d’injecter dans l’économie 460 milliards d’euros, soit 18 % du PIB (produit intérieur brut). De quoi modeler très largement le monde d’après si l’on poussait les entreprises à devenir plus responsables, développait de nouvelles filières plus vertueuses et se libérait des investissements climaticides. « Mais le monde d’avant siège toujours dans l’hémicycle, dit Clément Sénéchal porte-parole de Greenpeace. Les députés LREM et le gouvernement s’enferrent dans leur dogmatisme. Ils ne veulent rien changer et n’ont fait aucun aggiornamento depuis la crise du Covid-19. C’est très grave car on décide maintenant de la trajectoire climatique à venir pour les prochaines années. »
Après le discours verdoyant d’Emmanuel Macron lundi 29 juin devant la Convention citoyenne pour le climat, l’examen du projet de loi de finance rectificative fait figure d’épreuve de vérité. La défiance est grande. Dans un sondage réalisé pour le HuffPost, seuls 3 % des Français interrogés pensent Emmanuel Macron « tout à fait sincère » dans ses ambitions écologiques. 66 % estiment que « le chef de l’État n’a pas fait assez pour le climat lors des premières années de son quinquennat ».
« Aujourd’hui, l’incohérence du gouvernement est criante »
Tout au long de la semaine, la majorité parlementaire a rejeté de nombreuses mesures plébiscitées par la Convention citoyenne pour le climat. Le prélèvement de 4 % sur les dividendes des grosses entreprises a été balayé d’un revers de la main en séance publique. Un sondage du Réseau Action Climat montrait pourtant que 83 % des Français étaient favorables à cette taxe, qui aurait pu rapporter deux milliards d’euros par an pour financer la transition écologique.
La généralisation du forfait mobilité durable et la baisse de la TVA sur les billets de train ont aussi été retoquées. Comme l’élargissement du crédit d’impôt sur la rénovation thermique. Ce qui a ému le député Matthieu Orphelin.
En commission des Affaires économiques, le renforcement du plan vélo, la création d’un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule propre, l’ajout d’un malus écologique sur le poids des véhicules ont eux aussi été torpillés. Pire, rien n’a été fait sur les exonérations fiscales et les subventions aux énergies fossiles. Dans un rapport, le Réseau Action Climat évalue pourtant à 24 milliards les dépenses néfastes pour le climat chaque année. Sur le sujet, la majorité a prôné le statu quo.
Pareil pour le rétablissement de l’impôt sur la fortune, la suppression de la flat tax, la contribution exceptionnelle des 1 % les plus riches ou la taxe sur les Gafa. « On nous a dit : circulez, il n’y a rien à voir ! Les parlementaires de la majorité rejettent toutes les mesures allant dans le sens de la justice fiscale , s’insurge Raphaël Pradeau, le porte-parole d’Attac. Le gouvernement maintient les cadeaux fiscaux pour les plus riches mais nous demande en même temps de travailler plus et de faire des dons de RTT aux soignants. C’est révoltant ». De son côté, Delphine Batho, députée et ancienne ministre de l’Environnement, juge que « le gouvernement sous-estime la capacité des citoyens à repérer son greenwashing [écoblanchiment]. Son incohérence est criante. L’exécutif se contente de mots et joue sur les apparences. »
Au cœur des débats, le conditionnement des aides à des contreparties écologiques [écoconditionnalité] a cristallisé les tensions. Même au sein de la majorité, des élus se sont plaints de l’inertie régnante. « On ne peut pas rester aussi timide, a dit la députée du groupe Ecologie démocratie et solidarité, Émilie Cariou à la tribune. Nous devons nous saisir de cette occasion pour verdir notre action politique. Le cap fixé doit être clair et non mollement induit. »
Un député LREM veut taxer les vélos
La présidente de la commission du Développement durable, Barbara Pompili, a rédigé plusieurs amendements avant de les retirer, sûrement sous pression, au profit d’un texte sur l’écoconditionnalité plus consensuel au sein de la majorité. « C’est un amendement fantoche vidé de sa substance. En réalité, on donne un chèque en blanc aux entreprises », critique Clément Sénéchal, de Greenpeace.
Le périmètre d’application de la mesure est trop restreint, selon lui, puisqu’il prévoit que seules les participations de l’État et les montées au capital nécessiteraient des contreparties écologiques, contrairement aux autres aides publiques, bien plus conséquentes, comme les prêts, les garanties à l’export, les reports de charges ou les crédits d’impôt. De plus, ces contreparties ne concerneraient que les entreprises avec plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires et les sanctions encourues en cas de non-respect des exigences écologiques seront « absolument non dissuasives ». L’amende est majorée à 375.000 euros. Pour Renault, cela équivaudrait à une pénalité de 0,0007 % de son chiffre d’affaires. Pour Air France 0,0014 %.
Les députés de la majorité n’ont eu de cesse d’opposer la relance économique à la transition écologique. « Si aujourd’hui on demande aux entreprises d’avoir des critères de réduction de CO2, on est en conflit avec le maintien de l’emploi », déclarait ainsi le rapporteur du texte,Laurent Saint-Martin. « Ma seule et unique boussole pour le PLFR 3, c’est la préservation des emplois. Durcir la fiscalité sur les entreprises menacerait leur compétitivité et grèverait le redémarrage de notre économie. »
En commission des Affaires économiques, ce député LREM avait tancé la Convention citoyenne :
A l’inverse des préoccupations écologiques, certains députés de la majorité ont aussi proposé des amendements complètement lunaires. Le député LREM Rémy Rebeyrotte souhaite ainsi créer une assurance et une taxe sur les vélos en les obligeant à s’immatriculer pour qu’ils financent les aménagements routiers.Je vois sur les réseaux sociaux des messages qui s’inquiéteraient du fait que ce qui a été voté à la Convention citoyenne ne se retrouve pas nécessairement voté dans cette commission des Finances. Autant nous respectons la Convention citoyenne pour le travail qu’elle a fait, autant j’invite aussi à respecter la démocratie représentative et ce qui se décide ici en commission, sans passerelle automatique ni prédécidée. S’il y a des avis défavorables et des votes contre les mesures de la Convention citoyenne, ce n’est pas un scandale.
Au cours de l’examen de la loi, de nombreux citoyens ont interpellé par courriel leurs députés pour leur demander d’agir en faveur du climat. Sur Twitter, Olivia Grégoire, la vice-présidente LREM de la commission des Affaires économiques, leur a répondu avec morgue : « Nous avons reçu 20.000 mails copiés-collés pour le PLFR2, vous comptez battre votre record en PLFR3 ? Pour rappel, 281 milliards d’emails ont été envoyés dans le monde par jour en 2018. Avec une moyenne de 4 g de CO2 par mail, c’est 410 millions de tonnes de CO2. Quel intérêt ? »
Au sein de l’hémicycle aussi, les débats ont vite tourné court, ponctués par la voix monocorde du président de séance : « amendement rejeté », « amendement rejeté »… Le député la France insoumise Éric Cocquerel explique l’impossibilité du dialogue : « Le gouvernement est prêt à reprendre tout ce qui n’ébrèche pas le système dans lequel il se meut et qu’il applique fidèlement. Mais, dès qu’on touche à la sacrosainte compétitivité, on nous donne une fin de non-recevoir. »
« Cela donne l’impression qu’il existe des mondes parallèles »
La promesse d’Emmanuel Macron de transmettre sans filtre les 146 mesures de la Convention citoyenne semble déjà loin. « En à peine une semaine, le reniement est total », constate Raphaël Pradeau, avant de souligner que le chef de l’État nous avait déjà habitués à ces jeux de langage. Le 12 février dernier, alors qu’il visitait le massif du Mont-Blanc, ses députés européens votaient « un accord de libre-échange climaticide avec le Vietnam ».
Au sein de la Convention citoyenne, les membres s’interrogent et s’inquiètent quant à l’avenir. « Ce ne sont pas de très bons signaux. Cela donne l’impression qu’il existe des mondes parallèles. Est-ce là une guerre intestine au sein du gouvernement ou une forme de cacophonie ? On reste sur nos gardes, dit Cyril Dion, l’un des trois garants de la Convention. Ce qui est certain, c’est qu’il y a des résistances profondes à l’intérieur du système et une forte hostilité contre les mesures de la Convention dans la technostructure et dans l’administration. Pour la Convention, l’épreuve de vérité se jouera fin août lorsque le gouvernement proposera le projet de loi spécifique. D’ici là, il faut nourrir le rapport de force et soutenir les 150 citoyens. »
Mathilde Imer, membre du comité de gouvernance de la Convention, pense que, « à l’image des Français, les 150 citoyens seront plus attentifs aux actes et aux décisions dans le cadre du PLFR 3 et du plan de relance à la rentrée qu’au discours du lundi 29 juin pour juger la sincérité du virage écologique du chef de l’État ».
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Lire aussi : Des membres du gouvernement enterrent plusieurs mesures phares de la Convention citoyenne pour le climat
Source : Gaspard d’Allens pour Reporterre
Dessin © Sanaga/Reporterre
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