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jeudi 23 juillet 2020

Cédric Herrou : « J’ai défendu la liberté d’être fraternel »


Cédric Herrou : 

« J’ai défendu 

la liberté d’être fraternel »




Cédric Herrou, agriculteur, a offert son aide aux migrants les plus vulnérables en route vers la France. © Laurent Carré pour Le Pèlerin






Dans les livres de droit, vous resterez celui qui a fait reconnaître par le Conseil constitutionnel « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national » et la valeur constitutionnelle de la fraternité. Comment le vivez-vous ?

Je veux croire à la justice. J’ai choisi de médiatiser mon combat car j’avais besoin que l’on me dise et que l’on dise aux autres si ce que j’avais fait était juste. Les procès ont été des occasions d’expliquer mes actes, et de pousser les institutions à réfléchir aux leurs. Je n’ai pas accepté que l’on court après des femmes, des hommes pour les arrêter, parfois les enfermer, et les refouler en toute illégalité vers la frontière, sans leur donner la possibilité de rejoindre Nice pour déposer une demande d’asile. Je n’ai pas accepté que l’état ne protège pas les enfants, comme il est de son devoir de le faire. Si j’avais été un curé, comme l’abbé Pierre, tout le monde aurait compris que j’agissais au nom d’une certaine idée de la morale. Mais comme j’étais un paysan, un « bac moins quatre » ( j’ai un CAP mécanique auto…), j’ai reçu l’étiquette d’idéologue, de gauchiste, de « no border » (qui milite pour l’abolition des frontières, NDLR). Or ce qui me guide depuis le début, c’est le refus de l’injustice.

Si j’avais été un curé, comme l’abbé Pierre, tout le monde aurait compris que j’agissais au nom d’une certaine idée de la morale.

Que représente pour vous cette fameuse fraternité républicaine ?

À force de la lire sur le fronton des mairies ou des écoles, on a oublié la beauté de la devise républicaine. Liberté, égalité, fraternité… : une trilogie qui a pris sens pour moi. Comme une prière que l’on se met à vivre au lieu de simplement la réciter. Si l’on enlève un élément, les deux autres n’existent plus. Il n’y a pas de liberté sans égalité. Ou nous ne sommes pas tous libres… J’ai agi au nom de ma liberté d’être fraternel. Si j’avais dû fermer ma porte à ceux qui avaient besoin de moi, ma liberté serait partie avec eux. La liberté se partage. J’ai aussi appris que faire vivre la devise républicaine n’était pas confortable… et que cela pouvait mener en prison (Cédric Herrou a fait de nombreuses gardes à vue et a été condamné à quatre mois de prison avec sursis, avant sa relaxe ce mois de mai, NDLR).

À l’origine de votre engagement, y a-t-il une rencontre ?

Cette famille qui marchait sur le bord de la route de Vintimille (frontière franco-italienne) et que j’ai prise dans mon camion, au printemps 2016. Quand j’allais livrer mes produits à Nice, je passais par Vintimille pour rejoindre la vallée de la Roya. Vintimille, pour nous ici, ne se situe pas de l’autre côté de la frontière : il s’agit d’un endroit où l’on va tout le temps. Quand j’ai vu cette famille noire sur le bord de la route, je ne me suis pas posé la question de savoir si je me trouvais en France ou en Italie. Ni s’ils étaient en situation régulière. Une seule question m’a traversé l’esprit : est-ce que je m’arrête pour les aider ? Je les ai déposés à la gare de Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes), et nous avons échangé nos numéros de téléphone. Ils étaient soudanais.

Et après ?

Quelques jours après, ils m’ont appelé de Vintimille, où ils avaient été refoulés. Je les ai retrouvés à l’église San-Antonio, qui avait ouvert ses portes aux plus vulnérables : familles, femmes, enfants, handicapés. Il y avait deux dortoirs. L’un, rempli de lits superposés avec quelques couvertures tendues pour créer un semblant d’intimité. Un autre réservé aux enfants seuls. Un Italien m’a expliqué alors que les gamins prenaient beaucoup de risques pour passer : certains se faisaient écraser sur l’autoroute A8 en essayant de rejoindre la France ; des filles se retrouvaient exploitées sexuellement. J’ai décidé d’emmener la famille qui m’avait appelé. Et de l’héberger le temps d’effectuer les démarches pour demander l’asile. Ensuite, j’ai choisi d’aider d’autres personnes vulnérables.

N’avez-vous pas créé un « appel d’air » et encouragé les passeurs ?

Mes adversaires me le reprochent, en effet. Mais les migrants ne sont pas venus d’Érythrée pour dormir dans une tente chez moi. J’ai tout simplement contribué à rendre visibles des gens qu’on ne voulait pas voir, je les ai sortis de la clandestinité en faisant valoir leurs droits. Cela a beaucoup dérangé. Je ne suis pas pro ou anti-migrant. Je me bats pour que la dignité humaine soit respectée.

Refusez-vous l’existence des frontières ?

Je ne les refuse pas : je questionne leur sens. Elles servent à protéger les personnes et les droits sociaux ? Je suis pour. Elles blessent la dignité humaine ? Je suis contre. Les frontières doivent aussi être équitables. Si nous interdisons aux Sénégalais de venir en France, alors interdisons-nous d’aller au Sénégal. Dans la vallée de la Roya, au début de la crise sanitaire, j’ai vu des gens protester car ils ne pouvaient plus passer côté italien. Les mêmes qui voulaient verrouiller la frontière à double tour aux migrants…

Pourquoi avoir choisir de créer ici une communauté Emmaüs ?

J’étais fatigué des réseaux militants qui critiquent sans proposer. Ici, on n’agissait pas contre l’état mais pour la dignité, pour la vie. Emmaüs dénonce, se bat pour faire évoluer les lois, et en même temps accueille, agit concrètement. Cela me ressemble. Quand nous avons installé durant l’été 2018 les premières cabanes et caravanes, certains migrants ont voulu se poser, et plus seulement passer. J’ai découvert alors à quel point l’accueil sur le moyen ou le long terme s’avérait très différent d’un accueil sur un temps court. Avec le temps, la joie d’avoir réussi à passer une frontière laisse place à un état dépressif, les traumatismes remontent. Nous avons vite compris qu’il fallait les occuper. L’idée de l’agriculture m’est venue… car c’est mon métier !

Qu’apporte cette activité à ces personnes ?

J’ai remarqué que les personnes précaires sont à la fois retenues par le passé et inquiètes pour l’avenir. L’agriculture leur permet un ancrage dans l’instant présent. Elle sollicite les sens, l’observation, par le contact quotidien avec le soleil, la pluie, le sol, le fumier, les poules… Et puis, planter une graine, la voir pousser fait un peu de nous des créateurs. Je pense à Alexandro, 48 ans, arrivé il y a six mois : il va beaucoup mieux. Cela fait plaisir de voir quelqu’un changer en si peu de temps. Lui et les autres compagnons sont des « stars » dans la vallée : la reconnaissance dont ils bénéficient passe par les produits qu’ils cultivent. Il faut goûter les tomates anciennes de plein champ, et les œufs que l’on a récoltés : du haut de gamme ! Beaucoup de « Bobos » rêveraient de vivre comme eux, sur un pan de montagne, dans des cabanes autoconstruites en cultivant des olives et des légumes.

D’autres Emmaüs agricoles vont-ils naître après la vôtre ?

Plusieurs projets sont en cours. L’engouement pour la nourriture locale peut aider. Mais financièrement, vivre de l’agriculture s’avère plus difficile que vivre de la vente d’objets récupérés gratuitement, comme le font les communautés Emmaüs classiques. Produire un œuf, une tomate, coûte de l’argent, et les marges, à ce jour, restent faibles.

Qu’est-ce qui vous plaît dans cette nouvelle vie ?

Ici, tout autour, des commerces ferment, des exploitations agricoles aussi. Je crois que les alternatives viendront davantage de ceux qui manquent que de ceux qui possèdent. Il nous faut sortir de « l’intégration » pour réinventer des mondes intègres. Arrêter de stigmatiser le pauvre, l’immigré… et lui faire confiance. La migration a mis le bazar dans ma vie et dans la vallée de la Roya. Mais au final, ce fut positif : nous sommes en train de monter ici une dynamique économique contre la désertification rurale.

Je vis la pauvreté comme une richesse : elle permet d’être proche de ce qu’on veut vraiment.

J’ai également envie de transmettre que l’on peut vivre heureux en étant pauvre. Venir dans une communauté Emmaüs, cela peut constituer un choix de vie. Personnellement, ce qui m’a permis de mener le combat que j’ai mené, c’est l’indépendance que m’a donnée la pauvreté. Je n’ai de comptes à rendre à personne. Je vis la pauvreté comme une richesse : elle permet d’être proche de ce qu’on veut vraiment.


La Caravane immobile. Normalement, une caravane sert à voyager. Celle-ci, achetée d’occasion, a surtout accueilli des personnes en exil. Elle est utilisée à rebours de sa fonction première : les gens bougent et elle reste en place. Aujourd’hui, elle héberge des bénévoles qui nous épaulent dans notre communauté Emmaüs. © Laurent Carré pour Le Pèlerin


 « J’ai contribué à rendre visibles des gens qu’on ne voulait pas voir. Je les ai sortis de la clandestinité en faisant valoir leurs droits. »  Cédric Herrou. © Laurent Carré pour Le Pèlerin



 En coulisses

Cédric Herrou agriculteur et Veronique Badets chez lui durant l’interview














Il faut d’abord laisser la voiture au bord de la Roya et ses eaux opalines. Passer sous la tyrolienne qui représente le seul moyen pour descendre les productions agricoles jusqu’à la route. Puis grimper un flanc de montagne pour rejoindre les restanques (terrasses) où Cédric Herrou dirige l’installation d’un goutte à goutte (technique d’arrosage) en ce mercredi de juin. « Ici, on mettra des plants d’aubergine », dit-il en m’accueillant. Sous les oliviers, au milieu d’une montagne verdoyante, les six compagnons d’Emmaüs Roya (quatre Européens et deux Africains) récoltent des fraises. Les mots de Cédric Herrou sont choisis, pesés. Il me dit qu’il est en train d’écrire un récit de son combat, et cela s’entend.

 

Publié dans Le Pèlerin 7180 du 9 juillet 2020 - Mis à jour le 8 juillet 2020



Source : https://www.lepelerin.com/initiatives-region/solidarite/cedric-herrou/?fbclid=IwAR2sz7pRQaFZiL_DzqE238TMsVSZQmxwvZ7bG2HdNuTLY1iDj0NCY8D4OYU


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