Le méga-courant
de l’Atlantique
pourrait s’effondrer
plus tôt que prévu
22 novembre 2024
L’Amoc, un
ensemble complexe de courants océaniques, pourrait perdre 30 % de sa
puissance dès 2040, soit vingt ans plus tôt que les précédentes
estimations. - Flickr / CC BY-NC 2.0 / twiga269
L’affaiblissement des courants dans l’Atlantique aura des effets « dévastateurs et irréversibles » sur de nombreux pays. La fonte rapide des glaciers arctiques pourrait précipiter leur effondrement.
On le compare parfois à un titanesque tapis roulant. Un
ensemble complexe de courants océaniques qui traversent l’Atlantique —
dont le fameux Gulf Stream — et qui charrient environ 18 millions de m³ d’eau par seconde, soit plus de dix fois le débit cumulé de tous les fleuves du monde. Appelé « circulation méridienne de retournement de l’Atlantique », ou Amoc selon son acronyme anglophone, ce système joue un rôle crucial pour réguler le climat.
Une inquiétude grandit cependant depuis quelques années dans la
littérature scientifique : nous aurions sous-estimé son affaiblissement,
voire son effondrement à venir. La dernière étude en date, publiée le 18 novembre dans la revue Nature Geoscience par des chercheurs de l’université australienne de Nouvelle-Galles du Sud, conclut que l’Amoc pourrait perdre 30 % de sa puissance dès 2040, soit vingt ans plus tôt que les précédentes estimations.
« Cela pourrait entraîner de
gros changements pour le climat et les écosystèmes, dont un
réchauffement accéléré dans l’hémisphère sud, des hivers plus rigoureux
en Europe et un affaiblissement des moussons tropicales dans
l’hémisphère nord », préviennent les auteurs.
La fonte des glaciers perturbe l’océan
En 2023, une étude publiée dans Nature Communications estimait quant à elle que l’Amoc avait carrément une probabilité de 95 % de s’effondrer d’ici 2095. Et le 21 octobre dernier, une quarantaine de chercheurs issus de nombreux pays signaient une lettre ouverte alertant les pays du Conseil nordique du risque que nous ayons « grandement sous-estimé » la possibilité d’un affaiblissement, voire d’un effondrement de l’Amoc, lequel aurait des impacts « dévastateurs et irréversibles » pour de nombreux pays.
Dans son sixième rapport d’évaluation, publié en 2021 et résumant l’état de la science en la matière, le Giec [1] notait pourtant, avec un degré de confiance « moyen », que l’Amoc ne s’effondrerait pas d’ici 2100. Mais une « confiance moyenne »
laisse planer un risque inquiétant, soulignent les scientifiques dans
leur lettre ouverte. Et les recherches récentes publiées depuis tendent à
faire remonter ce risque à la hausse, écrivent-ils.
À l’heure actuelle, la communauté scientifique peine à faire émerger
une analyse consensuelle de la situation. Il est généralement admis que
le changement climatique devrait affaiblir l’Amoc. Mais à quelle échéance et avec quelle intensité ? Les incertitudes et divergences de vues sur cette question sont à la mesure de l’extrême complexité du phénomène étudié.
Revenons, pour le comprendre, sur le fonctionnement schématique de
l’Amoc. L’un de ses moteurs est la plongée vers les abysses des eaux de
surface, dans les hautes latitudes. Lorsque les courants chauds venus
des tropiques rencontrent les masses d’air froides dans le nord, une
partie de l’eau de mer gèle, laissant son sel derrière elle. L’eau
restante voit ainsi sa concentration en sel augmenter. L’eau plus froide
et plus salée étant plus dense, elle coule, entraînant le « tapis roulant »
de l’Amoc. Cette eau profonde retourne ensuite boucler la boucle vers
le sud, où elle remonte et chauffe de nouveau à la surface.
On voit, sur ce schéma de l’Amoc, en rouge les courants de surface,
chauds, et en bleu les courants froids circulant en profondeur.
© NOAA
Ce système joue un rôle crucial pour redistribuer la chaleur sur le
globe, via les échanges entre l’océan et l’atmosphère, et contribue
également à la santé des écosystèmes, en transférant des nutriments, du
carbone et de l’oxygène à travers l’Atlantique. Le changement climatique
perturbe tout cela, notamment en entraînant la fonte massive des
glaciers arctiques, au Groenland et au Canada. En se déversant dans
l’océan, ce surcroît d’eau douce réduit la salinité, donc la densité et
enraye ce moteur de l’Amoc qu’est la plongée des eaux froides en
profondeur.
Or, les modèles climatiques actuels ne prennent pas en compte cette
fonte additionnelle provoquée par les activités humaines et peinent à
reproduire le comportement observé de l’Amoc. C’est en intégrant cette
fonte à leur modèle que les chercheurs australiens prétendent
aujourd’hui obtenir de meilleures estimations.
D’inquiétantes incertitudes
Plusieurs chercheurs interrogés par Reporterre sont toutefois
sceptiques quant aux conclusions péremptoires de cette étude, dont la
méthodologie pourrait manquer de rigueur, notamment dans l’estimation du
volume d’eau douce issu de la fonte à venir des glaciers. Les travaux
de 2023 étaient de même loin de faire l’unanimité.
« Il est très probable que le
changement climatique ralentisse l’Amoc au cours du siècle, mais cet
affaiblissement est estimé de -10 à -70 % selon les modèles, l’incertitude est énorme », rappelle Didier Swingedouw, directeur de recherche au CNRS, qui étudie de près ces courants atlantiques.
Les simulations numériques modélisant le futur de l’Amoc sont
d’autant plus délicates que l’on n’arrive toujours pas à bien
représenter le comportement « normal » du phénomène, sans prendre en compte le changement climatique. « L’Amoc
résulte d’un équilibre très subtil entre de nombreuses influences. Les
zones de mélange entre les eaux chaudes et froides sont en soi
difficiles à modéliser. Il faut aussi réussir à représenter les vents
qui vont influer sur cette convection, les précipitations et les niveaux
d’évaporation qui jouent aussi un rôle sur les caractéristiques de ces
eaux », nous liste Didier Swingedouw.
Les facteurs évoluant, il existe une « cascade d’incertitudes ».
Pexels/CC/Laura Otte
Pour anticiper le futur, il faut ajouter
au défi de la modélisation l’évolution de ces facteurs : comment les
tropiques de plus en plus chauds vont augmenter l’évaporation et donc la
salinité des eaux chaudes, comment les précipitations vont évoluer aux
hautes latitudes et faire à leur tour varier la salinité… « Une cascade d’incertitudes », soupire le chercheur.
Le simple fait de savoir si l’Amoc a d’ores et déjà commencé à
ralentir n’est pas établi. D’après la modélisation de l’étude
australienne, l’affaiblissement serait de 20 % depuis 1950. Mais ces résultats sont le fruit de reconstitutions numériques : les observations in situ ne sont possibles que depuis 2004, et aucune tendance claire ne s’en dégage. « À
partir des observations directes de l’Amoc, ce que nous mesurons est
uniquement une forte variabilité saisonnière, interannuelle et
interdécennale », mais aucun
signal clair lié au climat n’est identifié souligne Sabrina Speich,
océanographe au Laboratoire de météorologie dynamique.
Menaces sur l’Afrique et l’Europe
Reste que la tendance semble aller vers des estimations de plus en plus pessimistes. « Avant,
on était sur une “confiance forte” que l’Amoc ne s’effondrerait
brutalement pas d’ici 2100. Le dernier rapport du Giec est passé à une
“confiance moyenne”. Et puis s’arrêter à 2100 est arbitraire. L’Amoc
pourrait s’effondrer en 2150. C’est un système lent, son temps
d’effondrement est probablement de l’ordre du siècle », souligne Didier Swingedouw, signataire de la lettre ouverte publiée en octobre.
L’enjeu est donc moins aujourd’hui de comprendre si l’Amoc
s’affaiblira drastiquement, mais quand il le fera exactement. Dans tous
les cas, cela pourrait considérablement refroidir le nord de l’Europe,
encerclé par des régions, elles, toujours plus chaudes, conduisant à des
« climats extrêmes sans précédent », interpelle la lettre des scientifiques. Cela pourrait « potentiellement menacer la viabilité de l’agriculture du nord-ouest de l’Europe ».
« Les pays de l’Afrique de l’Ouest seraient surtout en première ligne, s’inquiète Didier Swingedouw. Le Sahel pourrait devenir un désert, avec jusqu’à 30 % de baisse de précipitations, et la zone aujourd’hui plus verte au sud du Sahel deviendraient sahéliennes. »
Il y a doublement urgence : à limiter autant que possible l’ampleur
du changement climatique, mais aussi à s’y adapter. Pour l’instant, les
catastrophes liées à l’Amoc et ses conséquences sur nos sociétés ne sont
aujourd’hui ni anticipées ni même sérieusement évaluées, déplorent les
auteurs de la lettre ouverte.
La prise de conscience montera peut-être à mesure que les projections
climatiques s’affineront à propos de ces phénomènes. Les chercheurs
plaident unanimement pour l’accumulation de données et travaux
supplémentaires. Les principaux systèmes de mesure in situ
de l’Amoc impliquent massivement des instituts de recherches
étasuniens, dont l’avenir est suspendu à l’investiture de Donald Trump.
Le président étasunien élu envisage de démanteler les agences environnementales, dont la NOAA, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique.
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Il est de retour.
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Notes
[1] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Source : https://reporterre.net/Le-mega-courant-de-l-Atlantique-pourrait-s-effondrer-plus-tot-que-prevu?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne