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dimanche 11 février 2024
Face à l'indifférence, une parenthèse d’humanité
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#80 • 5 février 2024
ÉDITO
Après 20 jours de détention administrative dans le port de Bari en janvier, l’Ocean Viking a immédiatement repris la mer.Le 29 janvier, il a secouru 71 personnes d’une embarcation en perdition, dans les eaux internationales au large de la Libye.
Ces hommes, femmes et enfants ont été débarqué.e.s le 2 février dans le
port éloigné de Livourne, à plus de 1100 km du lieu du sauvetage.
En un an, 16 détentions administratives ont été prononcées en Italie
sur la base du « décret Piantedosi », immobilisant les navires civils de
sauvetage durant 320 jours cumulés. Parallèlement, en
désignant des ports distants pour débarquer les rescapé.e.s, les
autorités italiennes ont imposé aux ONG l’équivalent d’une année de
navigation inutile. Au total, ces décisions représentent donc près de deux années d’opérations perdues, durant lesquelles les navires de sauvetage ont été éloignés de la zone de détresse et empêchés de sauver des vies.
Face
à ce déni d’humanité, nous maintenons notre cap : sauver des vies et
offrir, à bord du navire, une parenthèse d’humanité aux personnes
secourues.
Car après tant d’épreuves, les quelques jours à bord représentent un véritable retour à la vie
pour les personnes naufragées. C’est aussi toute une logistique à
mettre en place, dans un espace réduit et avec des moyens limités. À
travers les gestes du quotidien, l’équipe de SOS MEDITERRANEE et de la
FICR fait tout son possible pour garantir un accueil digne aux personnes
secourues.
L'équipe de SOS MEDITERRANEE #TogetherForRescue
Après avoir traversé les pires épreuves sur terre puis en mer, les personnes secourues par l’Ocean Viking reviennent
peu à peu à la vie à travers des activités aussi simples que prendre
une douche, se préparer un repas, faire sa lessive, jouer aux échecs,
apprendre des rudiments d’Italien ou se couper les cheveux. Tous ces
petits moments du quotidien qui font de nous des êtres humains.
« Être témoin de la transformation progressive de ces
personnes terrifiées et traumatisées, au regard hagard au moment de leur
sauvetage, en des individus pleins de vie est quelque chose de
spectaculaire, de lumineux ! »
Sophie Beau, directrice et fondatrice de SOS MEDITERRANEE France
Les femmes, les hommes et les enfants que l’on secourt en mer ont
traversé les pires épreuves et souvent frôlé la mort de près. En Libye
notamment, presque toutes ces personnes, même les plus jeunes, ont subi
des mauvais traitements répétés (viols, torture, travail forcé,
extorsion d’argent…). En mer, sur des embarcations de fortune, parfois
pendant plusieurs jours sans pouvoir bouger ni boire ou manger, la
traversée les laisse épuisé.e.s physiquement et psychologiquement.
Traitées pour la première fois depuis longtemps avec humanité, les
personnes rescapées reprennent vie lors de leur séjour sur le navire.
« Être témoin de la transformation progressive de ces personnes
terrifiées et traumatisées, au regard hagard au moment de leur
sauvetage, en des individus pleins de vie est quelque chose de
spectaculaire, de lumineux ! On dirait des ombres traversant le Styx et
revenant à la vie… et c’est exactement cela en fait, un retour de
l’enfer », témoigne Sophie Beau, directrice et co-fondatrice de SOS
MEDITERRANEE.
Sophie Beau, directrice et co-fondatrice de SOS MEDITERRANEE, en mission en octobre 2023. Crédit photo : Giannis Skenderoglou / SOS MEDITERRANEE
L’obligation de débarquer dans des ports éloignés de la région de
sauvetage, imposée par les autorités italiennes depuis plus d’un an,
amène l’Ocean Viking à rester plusieurs jours en mer, ce qui
peut paraître interminable pour des personnes qui viennent de vivre des
épreuves aussi douloureuses. Mais c’est aussi une parenthèse en sécurité
durant laquelle « on voit les personnes rescapées revenir à la vie »
souligne Sophie Beau. Elle cite parmi les activités les plus populaires
le « salon de coiffure », qui redonne dignité et humanité aux personnes
rescapées : « chaque personne qui se fait couper les cheveux en
ressort comme allégée, comme si elle se libérait du poids terrible de
tant de souffrances endurées en Libye. C’est une véritable
transformation, ça leur redonne figure humaine ».
Le « salon de coiffure », pour et par les personnes rescapées, est l’une des activités les plus prisées à bord. Crédit photo : Sophie Beau / SOS MEDITERRANEE
Elle se rappelle ainsi le jeune Bilal*, 11 ans, accompagné de son
grand frère de 17 ans. La fratrie avait fui la guerre en Syrie et
traversé de terribles épreuves en Libye, dont aucun des deux ne pouvait
parler. « Le jeune garçon était terrorisé en arrivant sur l’Ocean
Viking, mais il a vite retrouvé le sourire. Son grand frère cependant a
parcouru le chemin inverse : très ouvert à son arrivée, il s’est peu à
peu renfermé dans la tristesse et le mutisme. Je l’ai vu rire une seule fois, quand son petit frèreéclatait de rire en faisant la course de kangourou sur le pont. »
Pour la plupart des rescapé.e.s néanmoins, le simple accomplissement
de gestes du quotidien et le fait d’être traité avec empathie et
bienveillance les ramène à leur humanité et à une forme d’espoir.
Après les urgences, la vie reprend son cours.
La première journée à bord est consacrée à la prise en charge des
urgences et des besoins vitaux. (Voir encadré ci-dessous) Puis, chaque
jour, les équipes proposent des activités nouvelles.
Préparation du riz « comme au pays », nettoyage du pont, lessive,
leçons pour apprendre des rudiments d’italien avec la médiatrice
culturelle, dessin et coloriages pour les plus jeunes, concours
d’échecs, musique, danse… Alors que les personnes secourues récupèrent
des forces, des membres de l’équipe se réunissent le soir venu pour
établir le programme du lendemain en fonction de la météo, du nombre de
personnes, de la présence de femmes et d’enfants, etc.
Cette « parenthèse d’humanité en sécurité » passée ensemble, sur
quelques mètres carrés en pleine mer, crée des liens très forts entre
les équipes et les personnes secourues. Les au revoirs sont d’autant
plus difficiles au moment du débarquement mais « l’alchimie humaine qui
s’est opérée à bord du navire ne peut être que bénéfique à toutes les
personnes qui l’ont vécue, nous y compris » conclut Sophie Beau.
Les huit étapes de la première journée à bord.
Urgences – À leur arrivée sur l’Ocean Viking,
les personnes rescapées sont épuisées, parfois en état de choc et pour
certaines, blessées ou souffrantes et dans certains cas, inconscientes.
Les cas les plus urgents sont immédiatement pris en charge par l’équipe médicale.
Enregistrement
– Les naufragé.e.s sont enregistré.e.s par nos équipes, pour connaître
la composition du groupe et identifier les personnes les plus
vulnérables, notamment les moins de 18 ans. On note le pays d’origine,
le genre et la classe d’âge mais on ne consigne jamais le nom des
personnes.
Kit de bienvenue – Au moment de l’enregistrement, on leur remet une trousse de bienvenue
qui comprend des vêtements secs, de l’eau et de la nourriture, une
couverture et quelques objets d’hygiène personnelle. Pour les enfants,
on essaie de leur donner des vêtements à leur taille.
Douche –
Les personnes secourues se rendent ensuite aux toilettes et aux douches
(dans des blocs sanitaires séparés pour les hommes et les femmes) afin
d’enlever le mélange d’eau salée et de fioul, très corrosif pour la
peau. Les cas de brûlures cutanées graves sont fréquents et seront soignés à la clinique. Une fontaine d’eau potable est à leur disposition.
Repas chaud – Les urgences traitées, la distribution d’une boisson chaude (l’hiver) et de nourriture peut commencer…
Discours de bienvenue
– C’est l’équipe de protection de la FICR (Fédération internationale
des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge), notre partenaire à
bord, qui prend alors la parole et traduit ce discours d’accueil en
plusieurs langues. Fonctionnement de la vie à bord, présentation des
équipes, explications sur les dispositifs administratifs à l’arrivée en
Europe font partie des informations dispensées.
Message aux proches –
La FICR recueille le numéro de téléphone d’un.e proche de chaque
personne rescapée qu’elle désire avertir qu’elle est toujours en vie et a
été secourue. Ce dispositif appelé SALAMAT est pris en
charge par la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge du pays de résidence du
proche contacté, qui se charge de lui envoyer le message.
Repos–
Les personnes secourues s’écroulent de fatigue et dorment plusieurs
heures, voire jusqu’au lendemain. Si les jeunes enfants ne dorment pas,
l’équipe veille sur eux pendant que la maman ou les personnes les
accompagnant se reposent.
Le
beau temps permet de faire la lessive des vêtements qu’on portait à son
arrivée à bord et qui sont récupérables. Il s’agit souvent de la seule
possession des personnes secourues, la plupart arrivant pieds nus.
Crédits vidéo
Musique : Serge Pavkin Musix / A long way / Pixabay
Images : Michael Bunel, Camille Martin Juan, Jérémie Lusseau, Claire Juchat, Lucille Guenier, Sophie Beau / SOS MEDITERRANEE
Crédit photo en haut de page : Jérémie Lusseau / SOS MEDITERRANEE
* Les noms des personnes rescapées sont modifiés pour préserver leur anonymat
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