Barcelone assoiffée
après trois ans de sécheresse
Les voies sèches du tram de Barcelone, le 23 janvier 2024. - © Marti Blancho / Reporterre
Une sécheresse historique frappe la métropole de Barcelone depuis près de trois ans. Alors que les réservoirs sont presque à sec et malgré des usines de dessalement à plein régime, le manque d’eau devient critique.
Barcelone (Espagne), reportage
« L’eau ne tombe pas du ciel », proclament des milliers d’affiches du gouvernement catalan dans les rues de Barcelone. La phrase paraît catastrophiste aux nombreux touristes de passage. Pourtant, cela fait près de trois ans qu’il ne pleut plus vraiment. La Catalogne et sa capitale subissent une sécheresse historique amorcée à l’automne 2020, la plus longue et intense depuis 1916, date des premiers relevés.
Les réservoirs sont presque à sec et les météorologues ne prévoient pas de pluies suffisantes à court ou moyen terme. L’avant-dernier niveau d’urgence sécheresse a été activé pour toute l’agglomération de Barcelone ; 5 millions de personnes sont concernées. L’exécutif régional se prépare au pire, en prévoyant d’acheminer de l’eau douce par bateau depuis Tarragone ou Marseille.
Cela avait déjà été fait en 2008, au plus fort d’une sécheresse longue de dix-neuf mois. Cette fois, elle dure depuis plus de trois ans ; plus de la moitié de la Catalogne est touchée par un déficit global de précipitation de quelque 500 mm. Pour le résorber, il faudrait l’équivalent d’un an moyen entier de pluie sur Barcelone, ce qui reviendrait à « inonder la Catalogne avec un demi-mètre d’eau », explique Sarai Sarroca, directrice du service météo catalan.
En ville, parcs et jardins publics témoignent d’une aridité interminable. Le parterre en gazon des nouvelles voies de tram, si vert sur les modélisations 3D des urbanistes, est réduit à un mélange de poussière terreuse et d’herbe brûlée par le soleil. Les pelouses du très touristique parc de la Ciutadella ont subi le même sort.
Les jardiniers ont interdiction de les asperger depuis des mois. Seul « l’arrosage de survie » d’arbres et de plantes est autorisé, insuffisant pour maintenir la flore en bonne santé. Quelque 500 arbres sont morts l’année dernière. Complètement desséchés, plusieurs sont tombés sur la voie publique. En août, la chute d’un palmier a provoqué le décès d’une jeune femme.
Le réchauffement « amplifie, aggrave et allonge les sécheresses »
« L’approvisionnement en eau de Barcelone a toujours été précaire, surtout pour des raisons géographiques », précise Hug March, professeur-chercheur en transition écologique et écologie politique à l’université ouverte de Catalogne. La métropole, une des plus peuplées d’Europe, se trouve sur un bassin hydrographique naturellement pauvre en eau, dans une région méditerranéenne où la pluie peut se faire rare. « Ici, les sécheresses sont un phénomène naturel loin d’être inédit, abonde David Saurí, professeur-chercheur de géographie à l’université autonome de Barcelone. Mais le réchauffement climatique les amplifie, aggrave et allonge. »
À une soixantaine de kilomètres au nord-est de la seconde ville
d’Espagne se trouve un de ses principaux réservoirs, celui de Sau. L’eau
qui approvisionne normalement la métropole est réduite à un liquide
verdâtre et stagnant, en contrebas du large rivage de terre craquelée.
Il ne couvre même plus l’église de Sant Romà de Sau, village submergé
lors de l’inondation de la vallée pour faire naître ce lac artificiel,
en 1962. Le bâtiment, dont on n’apercevait que le clocher, était
normalement plongé à 23 mètres de profondeur. Murs et arches de pierre
sont désormais secs et bien visibles, de la base jusqu’au sommet.
Un peu plus en aval, le filet d’eau qui s’écoule du barrage de Susqueda paraît minuscule face à l’immensité d’un ouvrage haut de 125 mètres, construit pour un volume beaucoup plus important. En contrebas, le débit réduit à la portion congrue peine à faire déborder une infinité de petites mares dissimulées par les hautes herbes qui ont colonisé le lit du fleuve.
Vers l’état d’urgence
En temps normal, 80 % de l’eau de Barcelone provient de plusieurs grandes retenues de la sorte, en amont. Leur niveau total de remplissage rythme les six différents paliers du plan sécheresse régional. Le cinquième a été décrété le 21 novembre 2023 par le gouvernement régional. « L’épisode actuel a atteint des proportions aux conséquences directes et graves sur les écosystèmes et les secteurs économiques les plus vulnérables », annonçait-il.
Cet « état de pré-urgence », toujours en vigueur au moment où nous écrivons ces lignes, s’accompagne d’un paquet de mesures destinées à rationner et économiser l’eau disponible : réduction des quotas pour les agriculteurs, éleveurs et industriels, interdictions d’arroser zones vertes publiques et privées, de remplir les piscines individuelles privées…
Niveau de remplissage des réservoirs d’eau en Catalogne. © Marti Blancho / ReporterreDéjà sévères, ces restrictions pourraient le devenir encore plus alors que le niveau de remplissage des réservoirs a déjà atteint les fatidiques 16 %, taux à partir duquel est décrété l’état d’urgence. L’exécutif régional se prépare à l’annoncer.
L’agriculture se verra alors obligée d’arrêter 80 % de l’irrigation et les éleveurs de réduire leur consommation de 50 %. Cette nouvelle phase marquera aussi un maximum de 200 litres d’eau potable par personne et par jour, dans un premier temps, puis 180 et ensuite 160. Une moyenne commune par commune qui inclut les usages domestiques, ceux des commerces et des établissements publics.
Les Barcelonais font pourtant déjà partie des Européens les plus économes : 106 litres d’eau potable par habitant et par jour, contre 149 litres en France. « Réduire encore plus la demande domestique sera compliqué, explique David Saurí. On est à la limite du minimum d’entre 50 et 100 litres recommandé par l’OMS pour les besoins les plus nécessaires. »
Désalinisation et régénération
Chercheurs universitaires et ingénieurs de la gestion de l’eau s’accordent ainsi sur l’importance d’adapter l’approvisionnement. « La désalinisation et la régénération des eaux usées sont les deux solutions principales », avance un responsable de l’Agence catalane de l’eau (ACA).
D’une part, deux usines de dessalement, en partie financées par l’Union européenne dès 2008, assurent une production maximum de 80 hectomètres cubes (hm3) à l’année ; « environ la moitié du volume du plus grand réservoir », calcule David Saurí. Quand les retenues étaient pleines, les usines fonctionnaient à bas régime. Elles sont désormais « à 85 % de leur capacité de production, depuis l’activation du niveau 2 du plan sécheresse, en février 2023 », d’après l’ACA.
D’autre part, les autorités misent sur la régénération des eaux usées. « Elle va au-delà du simple traitement et permet une eau pré-potable grâce à des procédés de plus en plus sophistiqués — osmose inversée, traitement UV… », résume David Saurí. L’usine de régénération du Prat de Llobregat, au sud-ouest de Barcelone, récupère et traite ainsi les eaux usées de quelque 2 millions de personnes. Relâchées dans le fleuve une dizaine de kilomètres en amont, elles sont ensuite purifiées par une usine de potabilisation.
L’infrastructure pourrait fonctionner en circuit fermé, mais les réglementations espagnole et européenne l’interdisent pour l’instant. Malgré « un consensus positif quant à la réutilisation des eaux usées traitées, les pays du nord de l’Europe, moins touchés par le manque d’eau que les pays méditerranéens, sont encore réticents », écrivent David Saurí et Hug March dans un article scientifique commun.
Dessalement comme régénération sont néanmoins gourmands en énergie, indispensable à leur bon fonctionnement. Le coût de production de l’eau potable décolle et se répercute sur le consommateur, qui a vu les tarifs augmenter pour la première fois depuis sept ans en 2024 : +11,5 % à Barcelone et jusqu’à +15 % dans d’autres communes. Mais Barcelone ne saurait faire sans. Depuis décembre 2023, un peu plus de la moitié de son eau potable provient de ces deux procédés. « Cela nous a aidé à retarder les conséquences de la sécheresse et éviter les coupures d’eau dans les foyers », assure David Saurí.
Chercheurs et gestionnaires de l’eau tentent désormais de vaincre les aléas de la météo, conscients que des sécheresses encore plus graves que celles-ci approchent. Pour Hug March, « rien ne sera plus comme avant » à Barcelone.
Source : https://reporterre.net/Secheresse-Barcelone-au-bord-de-l-etat-d-urgence
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