Dans les Pyrénées-Orientales,
la crise de l’eau
se cristallise autour
d’un vieux projet de golf
Par Margaux Lacroux
Publié le 13 février 2024
Publié le 13 février 2024
Dans
le département asséché, la construction d’un 18 trous à
Villeneuve-de-la-Raho, près de Perpignan, est contestée par une centaine
de scientifiques. Ils alertent sur le danger de monopoliser une
ressource rare et sur l’artificialisation des sols tandis que la maire
défend un chantier « visionnaire ».
Deux ans de sécheresse historique, une centaine de chercheurs en colère et un golf dans le collimateur. En ce début février, alors que les Pyrénées-Orientales assoiffées n’en finissent pas d’attendre la pluie et que le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu s’inquiète ce mardi d’une situation « très préoccupante » sur Franceinfo, le ton monte. Mercredi, 92 universitaires locaux ont publié une tribune dans le quotidien régional l’Indépendant pour dénoncer « un manque d’anticipation » et les « effets délétères » de nombreux projets accusés d’occulter les enjeux environnementaux dans un département en proie à des événements climatiques extrêmes. Regrettant d’être peu écoutés, ils invitent à penser l’aménagement de leur territoire « selon un nouveau paradigme, celui de la sobriété ».
Ce coup de sang de la communauté scientifique survient au moment où au moins trois villages font face à une rupture d’eau potable et où 42 communes se trouvent déjà sous « tension », selon les autorités. Une première à cette époque de l’année, qui attise le débat sur le partage d’une ressource devenue rare. Dans les cartons depuis vingt ans et reconnu d’utilité publique par la préfecture en 2019, le projet de golf de Villeneuve-de-la-Raho, à quelques kilomètres de Perpignan, est particulièrement visé par la tribune des chercheurs. « Anachronique », il « cristallise l’ensemble des choses qu’il ne faut plus faire », cingle Eric Rémy, l’un des signataires et professeur en sciences de gestion à Institut d’administration des entreprises de l’université de Perpignan.
« Si la demande de reconnaissance d’utilité publique avait été déposée en 2023, les circonstances climatiques et le stress hydrique important n’auraient pas permis de considérer qu’on était toujours dans quelque chose d’utile », veut croire l’avocat Jean Codognès. En tant que président de l’association environnementale Pays catalan écologie, il a déposé un recours en août dernier devant le tribunal administratif de Perpignan dans l’espoir de faire annuler la déclaration d’utilité publique avant cet été. Pour celui qui se « sentait un peu seul », la tribune tombe à pic.
Les universitaires voient en effet dans l’affaire du golf un parfait exemple de « fuite en avant », pour « accaparer les derniers espaces et terres artificialisables », alors même que le gouvernement vise le « Zéro artificialisation nette » (ZAN) en 2050. En plus d’un parcours de 18 trous, le chantier de 180 hectares géré par un promoteur immobilier local prévoit la construction de 590 logements, de commerces et d’un hôtel-restaurant. Les travaux pour « décaper la partie végétale » ont déjà commencé.
« Ces parcelles étaient convoitées. Je ne voulais pas d’urbanisation à outrance, donc j’ai lancé ce projet de golf. Personne n’est reconnaissant qu’on ait fait barrage à la construction ! » répond la maire Jacqueline Irlès. Et de défendre un « projet visionnaire » qui devrait s’achever d’ici un an et demi. « Seulement » 30 hectares seront bétonnés, dont une partie destinée à « 170 appartements sociaux » ; le reste sera recouvert de pelouse, détaille cette ancienne de UMP, à la tête de la mairie depuis plus de vingt-deux ans. Un argument qui ne convainc pas Mathieu Pons-Serradeil, avocat de deux propriétaires expropriés : « A cet endroit, il y avait des vignes, des prairies et des landes. Or c’est la municipalité qui décide si la zone reste vouée à l’agriculture ou peut être urbanisée. Elle aurait pu tout laisser au naturel. Mettre de la pelouse, c’est aussi artificialiser. »
Le « poumon vert », selon les mots de ses partisans, fait surtout grincer des dents dans le camp d’en face à cause de l’eau qu’il consommera. Comment le golf privé sera-t-il alimenté ? La maire martèle que le « million de litres par jour » qui sort de la station d’épuration communale pour rejoindre l’étang de Canet Saint-Nazaire sur le littoral pourrait être retraité afin d’arroser le green. « C’est de l’eau qui ne sert à personne », dit-elle, fustigeant une réglementation encore trop stricte pour la réutilisation des eaux usées. Un usage que le gouvernement facilite pourtant depuis plusieurs mois, à coups de décrets.
« C’est la logique “premier arrivé, premier servi”, alors qu’on pourrait se dire “gardons cette nouvelle ressource d’abord et faisons une étude prospective collective pour déterminer à quoi elle pourrait servir” », se désole le professeur en géosciences à l’université de Perpignan Wolfgang Ludwig, autre signataire de la tribune. Le directeur du Centre de recherche et de formation sur les environnements méditerranéens poursuit : « Ça fait quinze ans qu’on alerte sur le fait qu’il y a une évolution très marquée vers la baisse de la ressource. Malheureusement, ça n’a pas contribué à changer les pratiques. »
Il pointe le risque « d’être obligé d’utiliser d’autres ressources pour maintenir le golf en activité » car les sécheresses et canicules vont encore s’aggraver à l’avenir. En 2018, lors de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique, l’aménageur du 18 trous avait calculé que la station d’épuration ne pourrait fournir que 85% des besoins annuels du golf, dont 1,5 million de litres par jour en été. Le complément pourrait provenir du lac de Villeneuve-de-la-Raho. Or cette retenue stratégique, qui alimente de nombreux agriculteurs, n’est remplie qu’au tiers de sa capacité depuis plusieurs mois. « Aucun prélèvement pour l’arrosage d’un golf n’est envisageable et surtout souhaitable. Quant à la réutilisation de l’eau de la station d’épuration, les capacités vont diminuer » car la quantité d’eaux usées générées par les ménages baisse sous l’effet des restrictions, arguent les chercheurs.
Aujourd’hui, la maire assure qu’un approvisionnement « à 100% par la station » est « possible » et que cela a été demandé par les services de l’Etat « dernièrement ». Impossible de vérifier ces dires car Libération, qui a sollicité auprès de l’édile la version actualisée du projet, ne l’a pas obtenue à ce jour. « Dans les autorisations en vigueur aujourd’hui, ce n’est pas ce qui est écrit », observe maître Pons-Serradeil.
Ce conflit pourrait-il enflammer les Pyrénées-Orientales ? Le groupe Les Ecologiques-Pays catalan et le parti autonomiste Unitat Catalana organiseront le 16 mars une manifestation pour demander au préfet « l’abrogation de la déclaration d’utilité publique » du golf. Comme d’autres, l’universitaire Eric Rémy craint un emballement : « Récemment, le préfet a affirmé qu’il n’y aura pas de guerre de l’eau cet été, mais je ne suis pas rassuré. Si les renoncements et les restrictions ne sont pas discutés de manière juste, ça va coincer. » De son côté, la maire de Villeneuve-de-la-Raho, préconise, sans rire, la construction d’un tuyau entre le Pas-de-Calais et les Pyrénées-Orientales pour acheminer l’or bleu. Car la priorité serait de trouver de nouvelles ressources. Et la sobriété ? A ses yeux, ce n’est qu’une « solution annexe ».
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