Ouvrir
le robinet à pesticides – qui déversait déjà abondamment ses molécules
toxiques – pour calmer la colère des agriculteurs, et obtenir qu’ils
rentrent à la maison. Voilà qui va sans doute réjouir les vendeurs de
ces produits, pour qui la France est un juteux marché, le premier en
Europe, avec un quart des ventes totales pour une valeur annuelle
estimée à 3 milliards d’euros (moyenne 2016-2022, selon les calculs du
Basic, le Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif).
Certes,
le plan Ecophyto, né dans la foulée du Grenelle de l’environnement de
2009, n’a pas encore permis de diminuer leur usage. Mais sa mise sur
« pause », annoncée le 1er février par le Premier ministre,
montre que le gouvernement n’a visiblement pas l’intention de réfléchir à
un modèle agricole capable de se passer des pesticides.
Il
prévoit même de masquer leurs consommations réelles, voire leur
augmentation, en renonçant à l’outil qui permettait de mesurer leur
usage : le « Nodu » (nombre de doses unités). Indicateur historique du plan Ecophyto,
le Nodu rend compte de la quantité de pesticides utilisés par hectare.
Il pourrait être remplacé par le « HRI1 », dont on ne sait pas
exactement ce qu’il mesure puisqu’il est censé prendre en compte la
quantité et la dangerosité des pesticides.
« Si
un pesticide très toxique est interdit et remplacé par un pesticide
tout aussi nocif, on considère qu’il s’agit d’une forte réduction des
pesticides », illustre l’ONG Générations futures, qui siège au
comité d’orientation et de suivi (COS) du plan Ecophyto. Seule
certitude : cet indicateur peut donner « une fausse impression de forte baisse »
d’utilisation des pesticides. Entre 2011 et 2021, le Nodu indique une
hausse d’utilisation des pesticides de 3 %, alors que le HRI1 indique
une baisse de 32 % ! « Remettre en cause l’indicateur Nodu c’est
remettre en cause l’objectif même de la réduction des usages des
pesticides en agriculture qui était au coeur du plan », ajoute l’ONG.
Sans
que l’on comprenne bien en quoi cela va sauver les agriculteurs, le
gouvernement décide donc d’appuyer sur l’accélérateur qui nous mène au
désastre. Les coûts collectifs astronomiques de l’usage des pesticides
n’en finissent plus d’être documentés. Regardons par exemple l’hécatombe d’oiseaux :
25 % d’entre eux ont disparu ces 40 dernières années en Europe. Dans
les milieux agricoles, cette proportion grimpe à 57 % ! Très impactés
par le réchauffement climatique, les oiseaux le sont aussi par l’usage
massif de pesticides qui les affament en faisant disparaître les
insectes. Insectes dont le déclin est tout aussi spectaculaire : de 70 à
80 % d’entre eux ont disparu (selon une recension d’études réalisée par le quotidien Le Monde en février 2023).
Intéressons nous aussi à l’état de l’eau, tellement contaminée que des captages doivent être fermés, notamment à cause de la présence de métabolites,
ces descendants des pesticides que l’on retrouve partout. A certains
endroits, les autorités sanitaires sont tellement désemparées qu’elles
rehaussent les seuils au-delà desquels l’eau est considérée comme
impropre à la consommation – une eau considérée trop polluée hier
redevient ainsi potable.
En
septembre 2022, les taux d’esa-métolachlore (métabolite issu d’un
désherbant du maïs) acceptables ont ainsi été multipliés par 9, passant
de 0,1 à 0,9 microgramme par litre. A Masserac, en Loire-Atlantique, où
la problématique des pesticides inquiète les élu·es depuis plusieurs
années, l’impossibilité de dépolluer l’eau est patente. « Après
passage de la filtration au charbon (l’une des plus efficaces que l’on
connaisse à ce jour pour les pesticides, ndlr), on retrouve encore plus
de 300 molécules dont des pesticides et des métabolites», remarque Mickaël Derangeon, vice-président d’Atlantic’eau, le syndicat producteur d’eau potable.
A cela s’ajoute l’état des sols, sur lesquels la recherche commence à se pencher, découvrant une présence généralisée de pesticides, qui rend une partie de ces sols impropres à la production alimentaire.
Face à Christian Jouault, agriculteur victime de pesticides, le député Renaissance de l’Hérault Patrick Vignal a lancé sur le plateau de BFM TV : « Vous voulez quoi, qu’on n’ait plus d’agriculture » ?
Mais c’est précisément l’usage de pesticides qui risque de nous
condamner au désert. Comment pourra-t-on cultiver la terre et nourrir le
monde sans le concours des insectes, qui assurent jusqu’à 35 % de la
production mondiale via la pollinisation ? Comment les agricultrices et
agriculteurs feront-ils pour abreuver leurs bêtes et se désaltérer quand
ils ne pourront plus boire l’eau qui coule sous leurs pieds ? Et où
cultivera-t-on les légumes quand les terres seront toutes contaminées ?
« Mettre
une pause sur Ecophyto c’est inacceptable. On ne peut pas continuer
comme ça, alors que tellement de gens sont malades », a répondu Christian Jouault,
en ce moment hospitalisé pour soigner une leucémie, alors qu’il a déjà
eu un cancer de la prostate reconnu comme une maladie professionnelle.
Longtemps
réduites au silence, les victimes des pesticides sont de plus en plus
nombreuses à prendre la parole et à obtenir la reconnaissance de leurs
maladies comme d’origine professionnelle. En 2022, le fonds
d’indemnisation des victimes de pesticides a reçu 650 demandes de reconnaissances.
Ce n’est là que la partie émergée de l’Iceberg, car les démarches pour
une reconnaissance en maladie professionnelle sont un vrai parcours du
combattant. De plus, la honte et le déni restent fort dans les campagnes.
Personne
n’a dit qu’il serait facile de réduire ou renoncer à ces outils
d’apparence miraculeuse que sont les pesticides, et surtout pas ceux et
celles qui travaillent au quotidien en se passant d’eux. Les
agriculteurs ont besoin d’aide pour résoudre mille et une impasses
techniques, répondre à leurs doutes, mutualiser les bonnes idées, et
indemniser leurs récoltes perdues. Des milliards d’euros pourraient être
réorientés vers ces tâches essentielles.
« En France, les dépenses réelles associées aux pesticides sont deux fois plus élevés que les profits du secteur », estime une étude du Bureau d’analyse sociétal de l’intérêt collectif (Basic)
publiée en 2021. Et ce calcul « a minima » ne prend pas en compte
l’ensemble des maladies dues aux pesticides, ni les mesures de plus en
plus onéreuses pour traiter l’eau, ni les aides aux agriculteurs. Mises
bout à bout, ces dépenses s’élèvent à plus de 18 milliards d’euros.
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