Il était une fois…
En 1975, la petite ville d’Hopewell, en Virginie (États-Unis), est le théâtre d’un désastre sanitaire. Dans une usine qui fabrique des pesticides, des dizaines de prolos sont atteints de symptômes neurologiques graves : pertes de mémoire et d’équilibre, évanouissements, également d’hypertrophie du foie et de baisse de la fertilité masculine. On cherche et on trouve aussitôt, car chacun sait déjà que le chlordécone est une merde. Les premiers signalements datent en effet de 1969.
La presse américaine – le fameux magazine télé 60 minutes de Dan Rather – transforme l’affaire en scandale planétaire. Planétaire, le mot est important. À Paris règne depuis l’après-guerre un puissant lobby des pesticides qui regroupe l’industrie bien sûr, la haute direction de l’INRA, et les dirigeants de l’agriculture industrielle. Son centre de gravité est logé dans une entité prestigieuse du ministère de l’Agriculture, le Service de protection des végétaux (SPV). C’est là, dans ces bureaux-là que se concoctent les Autorisations de mise sur le marché (AMM), Sésame qui permet le commerce.
Aucun de ces braves gens ne peut ignorer l’extrême toxicité du chlordécone, et en bonne logique, après l’interdiction du produit aux États-Unis, en 1976, on ne devrait plus jamais parler du chlordécone. Mais commence alors une séquence simplement déshonorante pour la France, et au passage pour la gauche socialiste de Mitterrand. La commission d’enquête, présidée par le député socialiste Serge Letchimy, pouvait-elle faire de la peine à des amis si chers ?
Quand il arrive au pouvoir en mai 1981, Mitterrand nomme Édith Cresson au ministère de l’Agriculture. Qui fait la loi des pesticides ? Le lobby installé au SPV. Qui l’applique ? Cresson. Elle accorde une criminelle Autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le chlordécone. En juin 1990, Henri Nallet, alors ministre de l’Agriculture – il sera ministre de la Justice en octobre – accorde un rab de deux ans pour le chlordécone, malgré un retrait d’AMM de pacotille le 1er février. Nallet est un gars intéressant. Il a commencé sa carrière comme chargé de mission à la FNSEA, « syndicat » agricole propesticides. Il en est sorti à 30 ans, a fait socialo, est devenu conseiller du grand maître Mitterrand à l’Élysée, puis ministre. A la sortie, il s’est enfilé des millions d’euros sur vingt ans en devenant lobbyiste-en-chef des labos Servier, ceux qui vendaient le médicament mortel Médiator.
En mars 1992, un troisième ministre socialiste de l’Agriculture, Louis Mermaz, accorde une nouvelle dérogation d’un an. Et en mars 1993, le ministre de l’Agriculture du dernier gouvernement Bérégovoy, Jean-Pierre Soisson, accorde une dernière fois une grâce de six mois. L’horreur aura duré de 1981 à 1993, par la grâce d’un gouvernement de gauche, ce qui donne à penser.
Un procès ou un crachat ?
La morale ? Ne cherchons pas ce qui n’existe pas. Et ne cherchons pas davantage les documents de la Commission de toxicité – la ComTox – qui permettraient d’y voir plus clair. Car c’est dans ces réunions hautement discrètes que tout a été décidé pour le profit de quelques-uns. Or ces docs ont disparu, les petits chéris, et sur toute la période décisive 1972–1989. Qui le dit ? La Direction générale de l’alimentation (DGAL), administration centrale du ministère de l’Agriculture qui abrite les vétérans du Service de protection des végétaux. Autrement dit, nib. On ne saura rien.
Dans une République qui ne serait pas bananière – attention, humour -, tout cela finirait par un procès pénal pour les quatre vertueux que sont Cresson, Nallet, Mermaz et Soisson. Car ils sont vivants, les bougres. Plus vivants que les cancéreux antillais et les millions d’êtres vivants – oiseaux, insectes, mammifères – que le chlordécone a tués.
On ne leur souhaite même pas la taule, bien que des gens infiniment moins coupables y croupissent depuis des années. Juste un crachat. Pleine gueule.
Source : https://charliehebdo.fr/2019/11/ecologie/scandale-chlordecone-charlie-accuse/
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Même sujet dit autrement
Où sont passés les documents
sur le chlordécone ?
Où sont passés les documents ? Derrière cette question se
cache le lobby des pesticides. Celui qui parvient à mettre sur le marché des
molécules ultratoxiques – DDT, lindane, malathion, atrazine, fenthion, paraquat,
chlordécone, néonicotinoïdes, SDHI, tant d’autres – avant d’éventuellement les
interdire des décennies plus tard, quand les profits ont été engrangés.
Où sont passés les documents ? En France, depuis l’après-guerre, l’homologation des pesticides est un scandale permanent. L’agrochimie a fait la pluie et le beau temps dans les commissions officielles, faisant même siéger certains de ses membres ès qualités. Une structure essentielle du ministère de l’Agriculture, le Service de protection des végétaux (SPV) accordait le sésame officiel – l’équivalent des Autorisations de mise sur le marché (AMM) de l’ANSES aujourd’hui – grâce auquel on pouvait vendre des poisons. Ses chefs successifs, entre 1945 et 1990 – André Vézin, le docteur Pouthiers, Pierre Dumas, Lucien Bouix, Pïerre Journet, Jean Thiault – étaient tous en lien étroit avec le lobby des pesticides créé en 1945 par Fernand Willaume, notamment au travers de la revue Phytoma.
Où sont passés les documents ? Aux Antilles françaises, ces hommes ou leurs successeurs ont accordé en 1981 une AMM au chlordécone, pour utilisation massive dans les bananeraies. Qui a signé leur papier, engageant au passage une indiscutable responsabilité-culpabilité ? Edith Cresson, première des ministres de l’Agriculture de François Mitterrand.
A cette date, le ministère de l’Agriculture SAIT que le chlordécone est l’un des pires poisons chimiques. Il a été interdit aux Etats-Unis en 1976 après un scandale sanitaire – des dizaines de travailleurs d’une usine d’Hopewell (Virginie) victimes de graves troubles neurologiques – qui a fait le tour du monde. Le ministère SAIT, mais impose le chlordécone.
Où sont passés les documents ? Le 1er février 1990, l’AMM du chlordécone est enfin retirée. Mais le nouveau ministre de l’Agriculture Henri Nallet, socialiste lui aussi, accorde le 5 juin une dérogation de deux ans au poison. Nallet a travaillé jusqu’à l’âge de 30 ans pour la FNSEA, et sera pendant vingt ans, à partir de 1997, lobbyiste des laboratoires Servier, responsables du cauchemar appelé Mediator.
En mars 1992, un troisième ministre socialiste de l’Agriculture, Louis Mermaz, accorde une nouvelle dérogation d’un an. En février 1993, Jean-Pierre Soisson, qui a pris sa place, offre six mois de plus aux empoisonneurs. Le chlordécone continuera d’être utilisé, illégalement cette fois, mais grâce à des complicités qui n’ont pas été recherchées.
Où sont passés les documents ? Un pesticide interdit dès 1976 aux Etats-Unis aura donc été massivement épandu en France de 1981 à 1993. En cette fin d’année 2019, 92% des Martiniquais et 95% des Guadeloupéens ont du chlordécone dans le corps. D’une stabilité rare, ce toxique ne sera dégradé dans les sols que dans environ 400 ans. Il provoque des cancers, des maladies neurologiques et de la fertilité, une hypertrophie du foie, etc. Les Martiniquais détiennent le record du monde du nombre de cancers de la prostate pour 100 000 habitants. Des études de haut niveau – celles du professeur Luc Multigner – relient nettement l’exposition au chlordécone et ces cancers.
Où sont passés les documents ? Ce mardi 26 novembre, la Commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone rend son travail, qui sera rendu public le 2 décembre. Elle ne vous racontera pas cette histoire, pour des raisons qui la regardent. Notons qu’il eût été surprenant que son président, le député socialiste de la Martinique Serge Letchimy, aille au bout d’une affaire qui devrait conduire devant la Cour de Justice de la République madame Edith Cresson, messieurs Nallet et Mermaz, tous socialistes, et monsieur Jean-Pierre Soisson.
Où sont passés les documents ? La Commission parlementaire a en tout cas confirmé ce que l’on savait déjà. Tous les documents concernant la Commission des toxiques entre 1972 et 1989 – la ComTox pour les initiés – ont disparu. Pour dire les choses avec un peu plus de clarté, ils ont été détruits. Et s’ils l’ont été, c’est qu’ils disaient pour une fois la vérité sur le lobby des pesticides.
Bien entendu, aucune enquête n’aura été diligentée. Comment une telle masse de documents ont-ils pu s’envoler du siège de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), ce centre nerveux du ministère de l’Agriculture qui a géré si abominablement la question des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles ? Poser la question, c’est entrevoir la réponse.
Où sont passés les documents ? En France, depuis l’après-guerre, l’homologation des pesticides est un scandale permanent. L’agrochimie a fait la pluie et le beau temps dans les commissions officielles, faisant même siéger certains de ses membres ès qualités. Une structure essentielle du ministère de l’Agriculture, le Service de protection des végétaux (SPV) accordait le sésame officiel – l’équivalent des Autorisations de mise sur le marché (AMM) de l’ANSES aujourd’hui – grâce auquel on pouvait vendre des poisons. Ses chefs successifs, entre 1945 et 1990 – André Vézin, le docteur Pouthiers, Pierre Dumas, Lucien Bouix, Pïerre Journet, Jean Thiault – étaient tous en lien étroit avec le lobby des pesticides créé en 1945 par Fernand Willaume, notamment au travers de la revue Phytoma.
Où sont passés les documents ? Aux Antilles françaises, ces hommes ou leurs successeurs ont accordé en 1981 une AMM au chlordécone, pour utilisation massive dans les bananeraies. Qui a signé leur papier, engageant au passage une indiscutable responsabilité-culpabilité ? Edith Cresson, première des ministres de l’Agriculture de François Mitterrand.
A cette date, le ministère de l’Agriculture SAIT que le chlordécone est l’un des pires poisons chimiques. Il a été interdit aux Etats-Unis en 1976 après un scandale sanitaire – des dizaines de travailleurs d’une usine d’Hopewell (Virginie) victimes de graves troubles neurologiques – qui a fait le tour du monde. Le ministère SAIT, mais impose le chlordécone.
Où sont passés les documents ? Le 1er février 1990, l’AMM du chlordécone est enfin retirée. Mais le nouveau ministre de l’Agriculture Henri Nallet, socialiste lui aussi, accorde le 5 juin une dérogation de deux ans au poison. Nallet a travaillé jusqu’à l’âge de 30 ans pour la FNSEA, et sera pendant vingt ans, à partir de 1997, lobbyiste des laboratoires Servier, responsables du cauchemar appelé Mediator.
En mars 1992, un troisième ministre socialiste de l’Agriculture, Louis Mermaz, accorde une nouvelle dérogation d’un an. En février 1993, Jean-Pierre Soisson, qui a pris sa place, offre six mois de plus aux empoisonneurs. Le chlordécone continuera d’être utilisé, illégalement cette fois, mais grâce à des complicités qui n’ont pas été recherchées.
Où sont passés les documents ? Un pesticide interdit dès 1976 aux Etats-Unis aura donc été massivement épandu en France de 1981 à 1993. En cette fin d’année 2019, 92% des Martiniquais et 95% des Guadeloupéens ont du chlordécone dans le corps. D’une stabilité rare, ce toxique ne sera dégradé dans les sols que dans environ 400 ans. Il provoque des cancers, des maladies neurologiques et de la fertilité, une hypertrophie du foie, etc. Les Martiniquais détiennent le record du monde du nombre de cancers de la prostate pour 100 000 habitants. Des études de haut niveau – celles du professeur Luc Multigner – relient nettement l’exposition au chlordécone et ces cancers.
Où sont passés les documents ? Ce mardi 26 novembre, la Commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone rend son travail, qui sera rendu public le 2 décembre. Elle ne vous racontera pas cette histoire, pour des raisons qui la regardent. Notons qu’il eût été surprenant que son président, le député socialiste de la Martinique Serge Letchimy, aille au bout d’une affaire qui devrait conduire devant la Cour de Justice de la République madame Edith Cresson, messieurs Nallet et Mermaz, tous socialistes, et monsieur Jean-Pierre Soisson.
Où sont passés les documents ? La Commission parlementaire a en tout cas confirmé ce que l’on savait déjà. Tous les documents concernant la Commission des toxiques entre 1972 et 1989 – la ComTox pour les initiés – ont disparu. Pour dire les choses avec un peu plus de clarté, ils ont été détruits. Et s’ils l’ont été, c’est qu’ils disaient pour une fois la vérité sur le lobby des pesticides.
Bien entendu, aucune enquête n’aura été diligentée. Comment une telle masse de documents ont-ils pu s’envoler du siège de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), ce centre nerveux du ministère de l’Agriculture qui a géré si abominablement la question des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles ? Poser la question, c’est entrevoir la réponse.
Source : http://fabrice-nicolino.com/?p=4905
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