Le scandale du Chlordécone :
suite mais pas fin
Fabrice Nicolino ·
Le
chlordécone c'est de l'or. Plus on creuse le sujet, plus on tombe sur
les agissements criminels de ceux qui savaient pertinemment et n'ont
rien dit. Des politiques et des représentants de la chimie siégeant dans
une commission donnant des avis d'experts.
Charlie vient de se cogner 297 pages, mais ça valait la peine. Le rapport parlementaire 2440 sur l’empoisonnement des Antilles par le chlordécone vaut en effet davantage qu’un détour. Dès qu’on a affreusement ricané devant l’énormité de la farce, on apprend beaucoup.
D’abord, chapeau, les amis députés. Pas un seul des ministres de l’Agriculture ayant autorisé le poison n’aura été auditionné. Le chlordécone – un pesticide qui mettra 400 ans à disparaître des sols – a été autorisé en France le 30 juin 1981. Par Édith Cresson, toute nouvelle ministre de l’Agriculture de Mitterrand, à peine installé à l’Élysée. Elle est vivante, mais on doit la considérer comme embaumée, car personne n’a songé à l’entendre. Dommage, hein ?
Et de même pour les trois ministres de l’Agriculture qui ont suivi. Henri Nallet, ancien chargé de mission de la FNSEA au temps de sa jeunesse, puis lobbyiste des laboratoires Servier – le Mediator – après sa carrière politique. Louis Mermaz. Jean-Pierre Soisson. Comme on ne dit pas un mot de leur écrasante responsabilité, on ne risque pas de comprendre ce qui s’est passé entre 1981 et 1993, date de la fin officielle du chlordécone.
Rappelons en deux mots que l’on savait l’essentiel depuis la fin des années 60 et vraiment tout depuis l’interdiction du produit aux États-Unis en 1976, après le retentissant scandale sanitaire de Hopewell.
Qui a donc poussé à l’autorisation d’un tel produit. Le rapport se contente de bluettes aussi insignifiantes que générales, et n’a pas même cherché à comprendre pourquoi tant de documents essentiels avaient disparu du ministère de l’Agriculture.
Le rôle de la ComTox
L’une des clés de l’affaire se situe pourtant dans l’histoire du puissant Service de protection des végétaux (SPV) et d’une Commission souvent appelée ComTox par les initiés, qui donnait des avis, automatiquement validés par le ministre en poste, sur la commercialisation des pesticides.
Beaucoup de comptes rendus de réunions de la ComTox sont donc introuvables – mais quelle malchance, hein ? -, mais dans ceux qui restent demeurent quelques perles.
On trouve ainsi page 242 un résumé d’une réunion de la ComTox tenue le 19 décembre 1968. Le chlordécone y est décrit comme un poison aux lourdes conséquences sur le foie et les reins de rats testés et « une forte accumulation du produit dans les graisses ». D’autres effets toxiques sont évoqués. Le dossier présenté par l’industriel est si insuffisant que « pour prendre position sur un insecticide organochloré de cette toxicité, il serait souhaitable d’avoir un rapport détaillé ».
Le 29 novembre 1969 – page 246 -, la ComTox se penche à nouveau sur le chlordécone, et ça ne s’arrange pas. Car « la toxicité à court terme et à long terme fait apparaître des effets cumulatifs nets. Sur rats, un régime de 50 ppm a provoqué la mort de tous les animaux au bout de six mois. L’intoxication se traduit principalement par des effets au niveau du foie et des reins. Le stockage dans les graisses est considérable ».
Question tout con : pourquoi une telle chose finit-elle par être autorisée douze ans plus tard, après la catastrophe sanitaire de Hopewell et l’interdiction du produit aux États-Unis ? Pour le comprendre, le rapport parlementaire aurait dû s’interroger sur la biographie des responsables de la ComTox, dans la plupart des cas étroitement liés aux intérêts industriels, parfois depuis des décennies. Et notamment au travers de la revue Phytoma, créée en 1948 par le premier lobbyiste des pesticides en France, Fernand Willaume.
« Il aurait fallu un courage politique qui n’était pas au programme des députés »
On peut citer dans les rôles principaux Guy Viel, René Truhaut, Lucien Bouyx, Hubert Bouron, Pierre Journet. Pour le comprendre, il aurait aussi fallu demander pourquoi des représentants de l’industrie des pesticides faisaient partie de la ComTox tout au long de ces années, comme messieurs Métivier, Picard et surtout François Le Nail, le grand lobbyiste-en-chef de l’époque. Mais évidemment, il aurait fallu un courage politique qui n’était pas au programme des députés.
Cette histoire est interminable et on referme ici, provisoirement, le dossier. Dans une réunion de juin 1989 – page 252 -, on voit apparaître parmi les membres de la ComTox présent un M.Rico. Il s’agit d’André Rico, qui fut pendant des années le président de cette Commission d’homologation, et ensuite son président d’honneur après 2001.
Eh bien, lisons ensemble une envolée retrouvée par Charlie pour vous. Nous sommes dans un colloque de l’UIPP en juin 2001. L’UIPP, c’est le syndicat de l’agrochimie, qui regroupe Bayer, Monsanto, BASF, DuPont, Dow, au total 98% de cette industrie installée en France. N’oublions pas trop vite que Rico est chargé de protéger la société en interdisant au besoin l’utilisation de pesticides dangereux. Et maintenant, lisons ce qu’il déclame : « Tous les êtres vivants sont protégés contre les effets des produits chimiques qui nous entourent et nous sommes bien protégés contre les faibles doses… Ce n’est pas à nous de prendre des décisions par rapport à ceux qui vont naître ; les générations se démerderont comme tout le monde ».
Un premier article est à lire ici : https://lemurparle.blogspot.com/2019/12/1-scandale-du-chlordecone-charlie.html
Source : https://charliehebdo.fr/2019/12/ecologie/le-scandale-du-chlordecone-suite-mais-pas-fin/?fbclid=IwAR0iaZcdFc-J5E90n1AL66wzfoMk8cAc57VRsEwqjTcTP5kTny-d_DtLeWA
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