[ PESTICIDES ]
Les victimes bretonnes
n'en peuvent plus !
Créé le : 02/09/2018
Par Emilie Veyssié
Ils sont paysans et ont contracté une pathologie suite à l’utilisation de pesticides. Commencent alors deux combats. Celui contre la maladie et celui pour la faire reconnaître auprès de la MSA. Entre le manque d’information, les démarches complexes et les rentes minorées, les agriculteurs ne s’en sortent pas tous seuls. La proposition de loi pour la création d’un fonds d’indemnisation des victimes pourrait changer les choses. Mais la ministre de la Santé y est fermement opposée.
La nuit s’apprête à
tomber sur l’exploitation familiale. La ferme, située à Caro dans le
Morbihan, compte une centaine de vaches laitières. Elle est en bio
depuis 2015. Une conversion impensable auparavant pour Noël Rozé,
habitué dès l’enfance à utiliser le pulvérisateur pour traiter
chimiquement les cultures. « C’était systématique, on ne se demandait même pas si c’était nécessaire »,
explique calmement le paysan. Cela durera plus de trente ans. Puis en
2014, il sent une grosseur dans sa gorge. Le diagnostic est grave : il
est atteint d’un cancer atypique fulgurant. « Les médecins m’ont dit que les pesticides étaient sûrement responsables de mon état
», poursuit-il, amer, en se préparant un café dans la petite cuisine
encombrée. C’est le déclic. Il continuera à travailler, mais en
agriculture biologique.
En 2016, poussé par son
médecin traitant, Noël Rozé fait une demande de reconnaissance en
maladie professionnelle auprès de sa caisse d’assurance maladie : la
Mutualité sociale agricole (MSA). D’abord, pour être indemnisé, mais
aussi pour que la cause de ses maux, l’utilisation de produits
phytosanitaires agricoles, soit connue.
Mais dans l’un comme dans l’autre de ses combats, Noël Rozé se lance dans un parcours du combattant qui ne fait que commencer...
Noël Rozé se souvient : « Les insecticides, c'était systématique. On ne se posait même pas la question de leur nécessité. » © E. Veyssié
Un collectif remonté
Heureusement pour lui,
Noël Rozé est soutenu par le Collectif de soutien aux victimes des
pesticides, très remonté contre l’organisme public. « La MSA ne joue absolument pas son rôle de protection des adhérents, déplore Michel Besnard, président du collectif, elle n’informe pas le malade du fait qu’il est en droit d’entamer une procédure.
» Démarches compliquées, aucune aide téléphonique, taux d’incapacité
minorés, etc. Les reproches faits à la caisse agricole sont lourds.
La maladie de Noël
Rozé, par exemple, n’est toujours pas reconnue par la MSA après un an et
demi de démarches administratives. En fait, son cancer atypique ne
rentre pas dans les tableaux de définitions des maladies. Or, pour être
reconnu, il faut que la maladie y soit inscrite et que toutes les
conditions (temps d’exposition, produits utilisés etc.) soient remplies.
L’avocat du collectif a pris son dossier en main et a contesté la
décision de la MSA. Sans réponse de leur part, il a saisi le Tribunal
des affaires de sécurité sociales (Tass) de Vannes. L’audience est
prévue en septembre.
Tout l’enjeu est de
déterminer le lien de causalité entre la maladie et l’exposition
professionnelle. L’expertise de 2013 de l’Inserm, intitulée « Pesticides : effets sur la santé », fait référence à ce sujet. Elle confirme la possibilité d’un lien entre « exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte
». Pourtant, les tableaux de maladies actuels ne les recensent pas
toutes, comme les cancers de la prostate et des testicules par exemple.
A propos de Noël Rozé
https://www.parismatch.com/Actu/Environnement/Glyphosate-du-bon-sens-paysan-pour-sortir-de-la-chimie-1559939
A propos de Noël Rozé
https://www.parismatch.com/Actu/Environnement/Glyphosate-du-bon-sens-paysan-pour-sortir-de-la-chimie-1559939
Encore du glyphosate
Face à ces résultats
scientifiques et à la contestation de plus en plus vive de la société
civile, le gouvernement peine à prendre des mesures concrètes pour
réduire l’utilisation des produits phytosanitaires malgré de bonnes
intentions.
Le plan pesticides, par exemple, est vivement critiqué par
les associations environnementales. « Le gouvernement propose encore
des solutions qui n’ont pas fonctionné ces dix dernières années.
Qu’est-ce qui va changer cette fois ? », s’interroge Claudine Joly,
responsable pesticides à France Nature Environnement. Au sujet du
glyphosate, le plan a commandé à l’Inserm une expertise sur les risques
pour la santé, alors que l’herbicide est classé cancérogène probable par
le Centre international de recherche sur le cancer depuis 2015. Mesure
très limitée et en contradiction avec l’annonce, fin 2017, d’Emmanuel
Macron de l’interdire totalement en France « au plus tard dans trois ans ». La
mission parlementaire sur les pesticides, elle, suggère d’interdire
seulement le produit dans sa fonction dessicative, c’est à dire pour
accélérer la maturation des plantes. Un usage jugé très minoritaire par
Générations futures.
Un espoir se dessine
toutefois. La sénatrice socialiste de Charente, Nicole Bonnefoy, est à
l’initiative de la proposition de loi sur un fonds d’indemnisation des
victimes des pesticides. « Le fonds a pour objectif de réparer les
préjudices qui résultent de l’exposition aux pesticides. Il va changer
le parcours du combattant de la victime », explique la sénatrice. Le fonds serait abondé à l’aide d’une taxe prélevée sur le volume des ventes des produits phytosanitaires.
Mais là encore, le gouvernement fait barrage. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a exprimé son opposition : « La création d’un tel fonds m’apparaît prématuré. »
Armel Richomme est passé en bio en 2000 : « Heureusement, souligne t-il, sinon j'aurais continué mon auto-intoxication involontaire et j'aurais été encore plus malade. »
« Incapacité permanente partielle »
Retour à la ferme. Chez
Armel Richomme cette fois, à Bourgbarré en Ille-et-Vilaine. Lui aussi
fait du lait bio depuis 2000. Entouré de voisins agriculteurs « tous en conventionnel
». A 62 ans, l’éleveur a traité ses terres une bonne partie de sa vie :
blé, orge, pois, à coup d’herbicides, fongicides et insecticides dans
un tracteur sans cabine. Les conséquences sont visibles aujourd’hui.
Armel Richomme est atteint d’un lymphome non hodgkinien, diagnostiqué en
2011. L’agriculteur a pu obtenir la reconnaissance de sa maladie
professionnelle à la publication du nouveau tableau sur les hémopathies,
en 2015, mais après deux demandes refusées.
A présent, il se bat
pour obtenir un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) correct.
C’est ce dernier qui donne droit à une rente. Or il a été évalué à 20%
par le médecin de la MSA, soit très peu. Le collectif de soutien aux
victimes des pesticides est derrière lui. Une aide précieuse pour le
couple : « Si on n’avait pas eu contact avec le collectif, on serait encore dans notre coin sans faire de bruit
», concède Armel Richomme. L’avocat du collectif a contesté la
proposition devant le Tass qui a nommé un expert. Ce dernier a remonté
le taux à 73%. En octobre, le tribunal statuera sur le taux d’IPP à
retenir.
Le collectif a
rencontré des membres des MSA bretonnes afin d’expliquer les difficultés
rencontrées. Quelques avancées ont été obtenues, notamment le fait
d’avoir un référent administratif et un référent médical par caisse à
appeler en cas de besoin.
Philippe Meyer, directeur général de la MSA d’Armorique, concède : « C’est forcément une procédure et un parcours difficiles pour les malades. Mais, se justifie t-il, notre intention n’est pas de sous-évaluer les demandes. Notre travail, c’est de faire bénéficier les assurés de leurs droits. »
Dans la cour de sa
ferme, Armel Richomme caresse son chien, un Border collie, avec qui il
participe à des concours nationaux. Dans ces moments-là, il oublie un
peu la procédure « trop technocratique » dans laquelle il s’est lancé. Et peut-être même la maladie...
Ici des nouvelles d'Armel Richomme
https://www.letelegramme.fr/bretagne/armel-richomme-reconnu-malade-des-pesticides-17-05-2019-12284762.php
Plus d'infos : victimepesticide-ouest.ecosolidaire.fr
Des victimes des pesticides difficiles à quantifier
Aujourd’hui, aucune
étude ne recense entièrement les potentielles victimes d’exposition aux
pesticides qu’elles soient agriculteurs ou riverains. Générations
futures a lancé en 2016 une carte interactive sur le site Victimes des
pesticides listant plus de 780 témoignages. Un récent rapport de trois
inspections d’État porte à 10 000 le nombre d’agriculteurs qui seraient
atteints de Parkinson ou d’un Lymphome non hodgkinien, soit 10 fois plus
que le nombre de reconnaissance pour ces pathologies.
Docteur Pierre-Michel Périnaud :
« La loi Agriculture et Alimentation
est une douche froide ! »
Le Docteur
Pierre-Michel Périnaud est président de l’association Alerte des
médecins sur les pesticides. Il réagit face aux non-avancées de la loi
Agriculture et Alimentation votée par l’Assemblée nationale le 30 mai
dernier.
Propos recueillis par VG
Le gouvernement s’est opposé, mi-mai, à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides…
C’est une douche
froide. Il y avait deux choses complémentaires : la création de ce fonds
d’indemnisation et l’ouverture de nouveaux tableaux des maladies
professionnelles dans le régime agricole. Mais rien n’a été voté. Les
tableaux des maladies professionnelles qui concernent les expositions
chroniques aux pesticides existent mais ne reconnaissent que deux
pathologies : la maladie de Parkinson et les lymphomes non hodgkiniens.
Ils ne reflètent absolument pas les connaissances scientifiques sur le
sujet.
Quelles sont justement les connaissances scientifiques sur le sujet ?
Pour la ministre de
la Santé, on manque encore de connaissances pour ouvrir les tableaux.
Or, je rappelle qu’une expertise de l’Inserm a justement permis de
classifier le niveau des connaissances scientifiques : pour quatre
pathologies – Parkinson, les lymphomes non hodgkiniens, les myélomes (un
autre cancer du sang) et le cancer de la prostate, on a un niveau de
preuves scientifiques qualifié de fort. Pour quatre autres, le niveau de
preuves est moyen, cela veut dire qu’il y a des arguments en faveur du
lien entre l’exposition aux pesticides et ces pathologies mais ce n’est
pas totalement bouclé d’un point de vue scientifique. Le fait de
reconnaître ces maladies comme professionnelles nous semble du domaine
de la justice sociale.
Et pas d’interdiction du glyphosate non plus ?
L’interdiction du
glyphosate dans trois ans sans passer par la loi… on n’est pas
convaincu ! Mais en dehors des pesticides, il y a d’autres décisions
qui, d’un point de vue sanitaire, nous paraissaient essentielles et qui
ont été abandonnées. Le Nutriscore (étiquetage nutritionnel simplifié,
NDLR), à la trappe, l’interdiction des contenants alimentaires en
plastique dans les cantines pour la problématique des perturbateurs
endocriniens, pareil, fini ! Que reste-t-il ? Une petite avancée sur la
définition de l’élargissement des néonicotinoïdes. C’est déjà pas mal,
mais attention aux dérogations qui pourront être accordées !
D’autres associations d’aide aux victimes
Phyto-Victimes (www.phyto-victimes.fr)
est une association nationale qui, depuis 2011, accompagne les
professionnels du monde agricole victimes des pesticides dans leurs
démarches de demande de reconnaissance en maladie professionnelle et
plus globalement lutte contre la sous-évaluation des conséquences
sanitaires des pesticides.
Mais aussi Victimes des pesticides : victimes-pesticides.fr
Justice Pesticides : www.justicepesticides.org
Source : http://www.sans-transition-magazine.info/societe/pesticides-les-victimes-bretonnes-nen-peuvent-plus
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