L’étrange zèle
des forces de l’ordre
pour rechercher et interpeller
les « décrocheurs »
des portraits de Macron
Une vingtaine de militants écologistes qui ont osé décrocher des portraits du président de la République un peu partout en France sont poursuivis pour « vol en réunion ». Même des journalistes et des youtubeurs qui couvraient ces actions symboliques contre le réchauffement climatique ont été interpellés ou convoqués par les forces de l’ordre. Un zèle particulièrement « insolite » selon des magistrats qui rappellent que policiers et tribunaux ont d’autres priorités que de juger en urgence des faits d’une « d’une gravité très modérée ».
Toute action de désobéissance civile va t-elle désormais être systématiquement poursuivie en justice ? Suite au décrochage de 32 portraits d’Emmanuel Macron dans des mairies depuis le 21 février, le mouvement écologiste « Action non violente COP21 », à l’initiative de ces actions, dénombre à ce jour 43 personnes auditionnées, 19 perquisitions, 24 gardes à vue et 20 personnes en attente d’un procès. Ces dernières sont poursuivies pour « vol en réunion », un délit passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Une répression qui, selon ANV COP21, vise à les « faire taire ». Pour rappel, ces actions non violentes intitulées « Sortons Macron », menées à visage découvert, visent à dénoncer l’inaction du gouvernement face au dérèglement climatique et l’urgence sociale, en laissant symboliquement des murs de mairies vides de portrait présidentiel (notre précédent article).
Un nouveau cap dans la répression judiciaire a été franchi avec la poursuite de youtubeurs et journalistes couvrant ces actions militantes au motif qu’ils en seraient non les témoins, mais des acteurs. Le 21 mars, le vidéaste Vincent Verzat, youtubeur de la chaîne « Partager c’est sympa », s’est ainsi retrouvé en garde à vue après avoir filmé une action et publié une vidéo. Vincent Verzat est convoqué avec trois autres activistes au tribunal le 11 septembre prochain pour « vol en réunion ».
Liberté d’informer ?
Le 2 avril, c’est un journaliste d’un média local, Le Maine Libre, qui a reçu une convocation de la gendarmerie du Mans pour une audition dans le cadre d’une enquête. Il est « soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction de vol en réunion », rapporte le Syndicat national des journalistes (SNJ). Un correspondant local de Ouest France est également convoqué par la gendarmerie pour le même motif, et une reporter de la télévision locale viàLMtv devrait se voir remettre bientôt une convocation. Tous trois ont couvert une opération de décrochage de portrait le 23 mars à la mairie de Rouillon, dans la Sarthe.
Interrogé, le parquet du Mans souhaite « mener des investigations dans le calme ». « Mais pourquoi donc s’en prendre à un journaliste qui exerçait sa mission d’information ? » s’insurge le SNJ. « Je vous le concède, ce n’est pas l’affaire du siècle », a répondu le parquet qui a depuis « rectifié » le motif de la convocation. C’est finalement en qualité de « témoins » que ces journalistes seront auditionnés. Reste que selon le procureur, l’objet de ces auditions est bien de « savoir s’ils ont participé ou non au sens pénal » à l’opération.
Mobilisation du bureau de lutte... antiterroriste !
Le journal Le Monde a récemment confirmé l’existence d’une circulaire interne envoyée par la direction générale de la gendarmerie nationale, début mars, concernant le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron dans les mairies. La circulaire incite « à recueillir les plaintes des maires ou, à défaut, celles des préfets en substitution, de manière à conforter la réponse pénale des parquets ».
Lorsque les faits sont revendiqués au nom de l’association ANV-COP21, précise la circulaire, il faut « vérifier que les mis en cause sont membres ou sympathisants de cette association » et « prendre attache avec le BLAT [bureau de la lutte antiterroriste] afin de déterminer les modalités à mettre en œuvre pour rechercher la responsabilité morale de cette association ». Le Service central de renseignement criminel (SCRC) est également mobilisé pour analyser chaque semaine les comptes rendus de police judiciaire « faisant apparaître les termes “portrait président” et/ou “ANV-COP21” ». « Mettre le service antiterroriste sur le coup, n’est-ce pas un peu disproportionné ? », interroge ANV COP21.
Un « zèle » qui interpelle des magistrats
Si la gendarmerie nationale assure qu’il s’agit d’une « procédure courante » et d’un « message assez habituel », Vincent Charmoillaux, du Syndicat de la magistrature s’étonne du « zèle de la gendarmerie à traiter ces procédures », ce qui nuit à d’autres enquêtes. « Au quotidien, la gendarmerie qui ne déborde pas de moyens, est souvent obligée de choisir parmi les priorités au détriment de dossiers parfois graves », souligne t-il auprès de Basta !. Alors que « les faits semblent quand même d’une gravité très modérée », le choix des poursuites pénales quasi systématique lui parait « insolite ». « La justice ne manque pas non plus de travail et n’a déjà pas forcément le temps de traiter tous les faits graves qui lui sont soumis », rappelle t-il.
D’autres actions non violentes visant l’inaction climatique du gouvernement font également l’objet de répressions. Le 16 mars, sept militants ont été interpellés dont six placés en garde à vue pour avoir recouvert d’un liquide noir la façade vitrée de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à Bordeaux. Cette action menée par Attac 33 et ANV COP 21 Gironde, dans le cadre de la campagne nationale « Fin du monde, fin du mois, même combat » dénonce l’utilisation faite par la CDC de l’épargne populaire et des fonds de retraite pour financer l’extraction d’énergie fossile (notre article). Une action similaire a également été menée à Nantes pour dénoncer les pratiques de la banque HSBC et a conduit un militant, Thomas, à être placé en garde à vue le 21 mars.
« La police enferme les lanceurs d’alerte alors que le gouvernement cautionne la destruction du climat » s’indignent les organisations. Les procès des 20 militants ayant décroché les portraits d’Emmanuel Macron, prévus à Bourg-en-Bresse le 28 mai, à Strasbourg le 26 juin, à Lyon le 2 septembre et à Paris le 11 septembre, pourraient devenir les procès de l’inaction du gouvernement en matière climatique. La réponse apportée par le ministre de la Transition écologue et solidaire, François de Rugy, aux deux millions de personnes soutenant le recours de l’Affaire du siècle, est jugée largement insuffisante.
Sophie Chapelle
Photo : © Clément Tissot / opération Sortons Macron, le 21 février 2019 à Paris.
Source : https://www.bastamag.net/L-etrange-zele-des-forces-de-l-ordre-pour-rechercher-et-interpeller-les
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