Gaspard Glanz voit les menaces dont il est victime comme les stigmates
d’une société de plus en plus violente et segmentée. Pierre
Gautheron/Hans Lucas
Gaspard Glanz,
le journaliste « à tuer direct »
Mardi, 28 Mars, 2017
Suite
à une vidéo dévoilant des agents de police grimés en reporters lors
d’une manifestation, le journaliste de Taranis News est la cible de
menaces sur les réseaux sociaux.
« À
tuer direct. Nous sommes en France ou pas ?
Les anciens auraient pris
le fusil depuis longtemps » ;
« C’est sa gueule de con qu’il faut
diffuser, avec à la clé une prime à celui qui lui explosera » ;
« Y a
pas une balle perdue pour ce fils de pute ? »
Ces menaces et ces
insultes, qui, tour à tour, peuvent prendre un caractère homophobe ou
xénophobe, sont actuellement proférées en quantité sur la page Facebook
dénommée « Soutien aux forces de l’ordre ». Elles visent toutes Gaspard
Glanz, 29 ans, journaliste et gérant depuis 2012 de la société de
production Taranis News.
Le jeune homme fait ses premiers reportages en suivant le
mouvement des zones à défendre, puis en se concentrant sur la question
des réfugiés. Caméra au poing, il filme la route des Balkans et les
différentes étapes de ce qui se trame à Calais, entre 2014 et fin 2016.
Ses reportages agacent. Le 26 octobre dernier, à l’heure du
démantèlement du bidonville de Calais, Gaspard se fait interpeller et
est placé en garde à vue par des policiers en possession d’une photo de
lui. On lui signifie une interdiction de séjour dans l’ensemble du
Pas-de-Calais dans le cadre de son contrôle judiciaire jusqu’au 2 mars
dernier. Le jeune journaliste est accusé par la préfecture d’avoir
dérobé un talkie-walkie à un agent de police pendant une précédente
manifestation de soutien aux exilés. Lui affirme que le fonctionnaire a
fait tomber sa radio. Le procès de Gaspard vient d’être reporté au 7
juin. Rien à voir, cependant, avec les menaces dont il fait aujourd’hui
l’objet. Du moins en apparence.
L’un des policiers crache sur l’objectif de sa caméra
Tout commence en avril 2016, pendant le mouvement contre
la loi El Khomri. Gaspard a l’habitude de prendre des images en tête de
manifs, à Paris. Alors que l’une d’elles donne lieu à des affrontements
avec les forces de police, il repère un homme équipé comme tout bon
reporter habitué à ce genre de situation particulièrement tendue. Mais
il ne l’a jamais vu auparavant. Il se dirige vers lui.
L’homme lui
soutient qu’il est journaliste. Gaspard n’en croit pas un mot. Pour lui,
c’est un policier planqué. Les mois passent. Gaspard revient dans la
capitale, au mois de février dernier, pour suivre le mouvement qui agite
les lycées parisiens. Il retrouve l’homme rencontré au mois d’avril.
Deux comparses l’accompagnent qui lui maintiennent, eux aussi, qu’ils
sont journalistes.
Puis vient le 19 mars dernier. Lors de la Marche pour la
justice et la dignité, à Paris, Gaspard est avec des confrères du Monde
et de StreetPress. Les personnes qui, depuis le mois de février, se
présentent à lui comme journalistes sont là, une fois encore, sur un
trottoir. Gaspard ne va pas tout de suite à leur rencontre. Ses
confrères dialoguent tranquillement avec eux. Les hommes avouent alors
sans vergogne qu’ils sont des policiers grimés en journalistes. Gaspard
décide de les filmer. Il demande à un bénévole d’Amnesty International
de l’accompagner. « Devant Amnesty, vous maintenez que vous êtes
journalistes ? » leur lance-t-il. L’un d’entre eux tente un « je n’ai
jamais dit ça… » tandis que l’autre assène deux coups à Gaspard et
crache sur l’objectif de sa caméra. C’est dans la boîte. Le 20 mars, le
site Taranis News diffuse la vidéo dénonçant une atteinte à la
convention de Genève de 1987, qui fait du métier de journaliste une
profession protégée et qui interdit à quiconque de se faire passer pour
tel.
Les réactions ne se font pas attendre. « Une balle dans la
tête. Une bonne balle entre les deux yeux. J’vous garantis qu’il n’y
aura plus jamais aucun problème avec lui », écrit, vers 17 heures, un
internaute dans les commentaires de la vidéo reprise sur la page
Facebook « Soutien aux forces de l’ordre ». L’auteur de ces lignes se
présente sur sa page personnelle en uniforme de la gendarmerie.
Des centaines d’appels au meurtre ou au lynchage
« J’ai déjà été menacé suite à certains reportages,
indique Gaspard. Ça a été le cas, de la part de membres de groupuscules
d’extrême droite, après la diffusion de vidéos sur Calais. Mais que ça
vienne aujourd’hui de policiers est particulièrement inquiétant. » Les
avocats de Gaspard demandent immédiatement que soient retirés du site
les commentaires haineux à l’encontre du journaliste. Mais, pour les
administrateurs du géant des réseaux sociaux, ces propos « n’enfreignent
aucun de (leurs) standards ». Jusqu’à aujourd’hui, les centaines
d’appels au meurtre ou au lynchage de Gaspard Glanz continuent d’être
consultables en ligne. D’autres menaces lui sont encore parvenues par
mail et sur d’autres réseaux sociaux.
Le jeune homme n’entend pas en rester là. Il s’apprête à
porter plainte contre Facebook pour « complicité d’appel à la haine et
menace de mort », contre l’auteur des coups portés et du crachat sur sa
caméra pour « violence par personne dépositaire de l’autorité publique »
et aussi contre les auteurs des différents commentaires, facilement
identifiables à partir de leurs profils Facebook. « Je ne souhaite pas
devenir un martyr, explique Gaspard. Mais j’ai l’impression qu’on a
franchi un cap dangereux. Les gens sont habitués à voir des journalistes
prendre des coups de la part d’agents de sécurité ou de militants comme
ceux de la Manif pour tous. Ces brutalités sont devenues banales. » Le
journaliste y voit les stigmates d’une société de plus en plus violente
et segmentée. « Ça ne sent pas bon… », prévient-il en s’inquiétant du
résultat des prochaines élections présidentielles.
Emilien Urbach
Source : https://www.humanite.fr/gaspard-glanz-le-journaliste-tuer-direct-633960
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire