Aujourd'hui trois articles sur la forêt
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Raid chinois sur le chêne français
Par Laurent Martinet, publié le 07/06/2018
Les scieries de chêne françaises ont peur de mettre la clé sous la porte, car la Chine s'accapare leur matière première.
Bois de Quincy, à une dizaine de kilomètres de Vierzon, dans le Cher. Compas forestier en main, Victor Steenwinckel se baisse pour mesurer la circonférence d'un chêne récemment abattu. Ce solide quadra exploite cette parcelle broussailleuse pour Unisylva, une coopérative qui gère les biens de 12 000 propriétaires privés à travers la France. "Cet arbre, il sera découpé dans le Loiret par une scierie qui travaille pour Leroy-Merlin", explique-t-il sans prêter gare aux nombreux et voraces moustiques alentour. En voilà toujours un que les Chinois n'auront pas, serait-on tenté de dire ! En 2017, une grume - tronc entier et non écorcé - sur quatre est partie à l'étranger, et dans 70% des cas pour prendre la direction de la Chine. La tendance s'accélère encore en 2018, alerte la Fédération nationale du bois (FNB).
Ce chêne abattu dans le bois de Quincy sera transformé en France contrairement à nombre de ses congénères qui partiront vers la Chine. Laurent Martinet/L'Express |
Quel succès pour cet arbre qui couvre 10% du territoire français ! La balance commerciale de la filière chêne est d'ailleurs excédentaire, alors que la filière bois, dans son ensemble, perd de l'argent. Le problème, c'est que les industriels français qui transforment ce bois noble ne trouvent plus rien à se mettre sous la scie. Il en manque actuellement 400 000 mètres cube dans les scieries, estime la FNB.
"Malgré un carnet de commande plein, faute de matière première nous ne travaillons plus le vendredi", se désole depuis la Haute-Saône Valérie Deschaseaux, qui fabrique des traverses de chemin de fer pour toute l'Europe. Du chiffre d'affaires en moins, et des angoisses en plus. Notamment celle de mettre la clé sous la porte, comme la SETB, une petite scierie dans la Meuse qui a dû fermer boutique faute de matériau. Toute la filière, soit quelque 500 scieries représentant 26 000 emplois directs, craint de subir le même sort.
Les Chinois font flamber les prix
La raison de la pénurie ? "Les Chinois, qui lors des ventes aux enchères organisées pour vendre le bois des forêts privées surenchérissent systématiquement, enrage Jean-Bernard Bahier, un scieur de l'Eure. A un moment on ne peut plus suivre". Ce qui contribue d'ailleurs à la flambée du cours du chêne : rien qu'en 2017, il a augmenté de 38% pour atteindre en moyenne 170 euros au mètre cube, selon les chiffres de la FNB. En quatre ans son prix a carrément doublé. Si les Chinois ne regardent pas à la dépense, c'est qu'en 2014 Pékin a interdit le bûcheronnage dans ses forêts du nord-ouest, dont les ressources sont épuisées. En 2016, elle a même élargi cette interdiction à tout le pays. Les industriels du bois locaux sont donc obligés de se fournir à l'étranger pour répondre à la forte demande intérieure.
Comment faire dans ces conditions pour que la majorité des chênes français ne finissent pas dans des cargos, direction l'empire du Milieu ? Pour les scieurs, la solution est toute trouvée : appliquer aux forêts privées le label UE, qui interdit depuis 2015 à l'ONF de vendre des grumes de chêne non-transformées à l'extérieur de l'Union européenne. Voire carrément privilégier les scieries hexagonales lors des ventes. "En Allemagne, les entreprises locales sont servies les premières. Qu'est-ce qui empêche la France de faire de même ?", maugrée le député PS de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier.
Pas question de renoncer à cette manne
Mais les forestiers privés sont du genre durs de la feuille. "Depuis 10 ans, on leur a littéralement donné notre bois", vitupère Antoine d'Amecourt, président de Fransylva, la fédération qui regroupe leurs syndicats. De fait, le marché du chêne sort d'une longue crise, avec des prix qui se sont effondrés après la crise financière de 2008. La hausse actuelle ne lui a finalement fait retrouver que son cours des années 1980, tandis que dans l'intervalle, les coûts d'entretien de la forêt grandissaient aussi régulièrement que les arbres. "80% de notre chiffre d'affaires passe en réinvestissement et il faut trois générations pour produire un chêne", poursuit le représentant des propriétaires.
Pas question donc pour eux de se priver des tarifs alléchants proposés par les acheteurs chinois. "Au lieu d'essayer systématiquement de faire baisser le cours du chêne, les scieurs français feraient mieux d'essayer de se mettre au niveau de la concurrence", lâche David Caillouel, un exploitant forestier qui, déçu par les velléités protectionnistes de la FNB, a fait sécession pour fonder en 2016 le syndicat de la filière bois (SFB), fort de 217 adhérents et de 80% du chiffre d'affaires des exploitants forestiers. Pour eux, si les transformateurs français ne peuvent pas suivre, c'est qu'ils n'ont pas assez investi pour améliorer la rentabilité de leurs scieries.
Des critiques qui mettent hors de lui Samuel Deschaumes, scieur depuis quatre générations, établi dans le Cher, tout près de la forêt de Tronçais. Des investissements ? "Je n'arrête pas d'en faire, regardez autour de vous". Dans un des immenses hangars de sa société, les grumes écorcées sont scannées l'une après l'autre au laser avant de passer et de repasser sous la scie, commandée depuis une cabine de pilotage en surplomb. Les planches débitées seront transformées sur place en lames de parquet ou en plans de travail pour les cuisines.
Dans la scierie de Samuel Deschaumes, des grumes de différentes tailles sont débitées en planches. Laurent Martinet/L'Express |
Source : https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/raid-chinois-sur-le-chene-francais_2014847.html?fbclid=IwAR1PuCqsjAqiOtwXkh1FtZ0dbST8oMJlezH_1jRqQV2lOpM8qngjNlWY8BE
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