Mémorial du camp de Rivesaltes :
quand le Rassemblement national
réécrit l’histoire
Tribune
Par Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l'extrême droite
Publié le 4 octobre 2025
Publié le 4 octobre 2025
En accusant à tort l’institution d’invisibiliser les harkis, deux élus
d’extrême droite ont diffamé les équipes qui font vivre ce lieu de
mémoire et ont passé sous silence les républicains espagnols et les
Juifs qui y ont été internés, dénonce l’historien Nicolas Lebourg.
Nicolas Lebourg
J'ai pour principe d'éviter les polémiques et agitations. Ceci dit il était hors de question de laisser des élus hors-sol mettre la pression aux formidables équipes du Mémorial du camp de Rivesaltes. Donc points sur les i :
Le
député RN Laurent Jacobelli à la journée nationale d'hommage aux harkis
de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), le 25 septembre. (JC Milhet/Hans Lucas. AFP)
Ce
25 septembre, Laurent Jacobelli, télégénique député du Rassemblement
national, a posté une vidéo filmée devant le Mémorial du camp de
Rivesaltes (MCR), et prenant violement à partie ce dernier. Peut-être
encore troublé par sa condamnation judiciaire quelques jours avant, il
invente une politique du MCR qui en ferait un « temple du wokisme ». La
mémoire du camp aurait été détournée au détriment des quelques 22 000
harkis et membres de leurs familles passés par ce site. « Pour diffuser
une pensée de gauche et pro-migrants, dit-il. On ne parle plus des
harkis. Quelle honte ! ». La charge n’est pas solitaire puisque, le même
jour, Michèle Martinez, député RN des Pyrénées-Orientales (département
où se situe Rivesaltes), attaquait également le MCR lorsqu’elle
proposait la création d’une fondation nationale pour la mémoire des
Harkis. Les deux élus accusent le Mémorial d’invisibiliser les harkis,
ce que le premier qualifie de « scandale ».
Bien
sûr, on pourrait objecter que s’ils étaient rentrés dans le bâtiment,
ils auraient constaté que l’exposition permanente traite très largement
de ce sujet. Si nos députés étaient allés le lendemain au MCR ils
auraient assisté… à la journée d’hommage aux harkis qui s’y tient tous
les ans. Si nos députés daignent parfois se rendre à l’Assemblée
nationale et aux Invalides, ils y auront vu en 2024 une exposition sur
les harkis… créée par le MCR, d’abord installée au MCR. S’ils ont
préféré arpenter la Côte d’Or, ils auront pu visiter l’exposition sur
les harkis qui s’y tenait, réalisée avec le soutien du MCR. S’ils lisent
des livres sur les harkis, ils connaissent leur spécialiste :
Abderahmen Moumen. Il est le responsable scientifique de la partie sur
les harkis de la nouvelle exposition permanente du MCR, à venir dès
2026. S’ils sont attentifs à l’institution, ils auront noté que le
président de son conseil scientifique, l’historien de l’antisémitisme et
de Vichy Laurent Joly, rappelait dans sa réponse à M. Jacobelli être le
petit-fils d’un Kabyle ayant choisi la France.
D’ailleurs,
si nos députés s’intéressent à l’histoire, il semble qu’ils aient
quelques trous de mémoire. M. Jacobelli dit que le MCR a été créé en
hommage aux « harkis et pour tous ceux qui sont passés par le camp ». Il
ne les nomme pas. Mme Martinez affirme qu’au MCR « le passé harki est
parfois invisibilisé par d’autres mémoires ». Elle ne les nomme pas.
Aidons-les. Ouvert en 1941, le camp a interné des milliers de
républicains espagnols qui avaient fui les exécutions franquistes, des
milliers de juifs étrangers, ensuite transférés vers Drancy puis
Auschwitz. Était-ce des mots si difficiles à utiliser : « juifs », «
républicains » ? Sont-ce des mémoires honteuses avec lesquelles voisiner
? Tout ne fut pas si sombre. Il y eut aussi des collaborateurs internés
à la Libération. Et puis, le site fut même utilisé pour un centre de
rétention des clandestins jusqu’en 2007.
Selon
M. le député, le MCR fait des expositions « pour les LGBT, pour tout,
pour rien ». Qu’est-ce que ce « rien » ? L’exposition temporaire de 2024
dédiée à l’internement des « nomades », Rivesaltes ayant été le camp de
Vichy qui en concentra le plus ? Quant aux LGBT, le MCR est partenaire
du festival LGBT+66 : manifestement, oui, il faut continuer à dire leur
sort dans l’Europe de 1939-1945. Si M. Jacobelli se rend jusqu’à sa
circonscription, en Moselle, il pourra y songer à comment des
homosexuels mosellans vivant dans des territoires rattachés au Troisième
Reich y furent arrêtés, « pour tout, pour rien ».
Il
ne s’agit même plus d’opposer une vision de l’histoire à une autre. Le
trumpisme a lâché la bride : on peut inventer entièrement le réel pour
mieux le dénoncer. Le travail historique est l’exact opposé de ce
palimpseste où le vrai n’est même plus un moment du faux. Résultat, les
adaptes du retour autoritaire l’ont en horreur. En Allemagne, c’est le
Mémorial du Buchenwald qui est dans le viseur de l’AFD. Que nous raconte
l’histoire du camp de Rivesaltes ? La gestion coercitive des flux
humains dans une société qui se désintéresse des populations
ostracisées. Cela vaut pour les harkis comme pour les autres groupes qui
y ont été relégués. C’est le signifié de l’histoire qu’on voudrait
effacer. Quitte à recourir aux tentatives classiques de clientélisation
de minorités blessées. Quitte à diffamer les équipes du MCR qui, elles,
travaillent dans un département champion de France du chômage et de tous
les défis sociaux, pour tenter de reconstruire du lien et du sens.
C’est bien pour l’histoire, pour les harkis, pour ces équipes, que
l’historien des extrêmes droites et unique historien de toutes les
périodes du camp de Rivesaltes que je suis tient à rappeller que ce
n’est pas la mémoire qui divise, mais le ressentiment. Le MCR a ouvert
en 2015. Comme le dit sa directrice Céline Sala-Pons, cela fait « dix
ans à faire taire les silences ».
Car le silence, c’est terminé.
Source : https://tinyurl.com/rzs2df5b


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