Ce blog rassemble, à la manière d'un journal participatif, les messages postés à l'adresse lemurparle@gmail.com par les personnes qui fréquentent, de près ou de loin, les cafés repaires de Villefranche de Conflent et de Perpignan.
Mais pas que.
Et oui, vous aussi vous pouvez y participer, nous faire partager vos infos, vos réactions, vos coups de coeur et vos coups de gueule, tout ce qui nous aidera à nous serrer les coudes, ensemble, face à tout ce que l'on nous sert de pré-mâché, de préconisé, de prêt-à-penser. Vous avez l'adresse mail, @ bientôt de vous lire...

BLOG EN COURS D'ACTUALISATION...
...MERCI DE VOTRE COMPREHENSION...

jeudi 9 octobre 2025

Mémorial du camp de Rivesaltes : quand le Rassemblement national réécrit l’histoire


Mémorial du camp de Rivesaltes : 

quand le Rassemblement national 

réécrit l’histoire

Tribune
 
Par Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l'extrême droite
Publié le 4 octobre 2025
 
 
 En accusant à tort l’institution d’invisibiliser les harkis, deux élus d’extrême droite ont diffamé les équipes qui font vivre ce lieu de mémoire et ont passé sous silence les républicains espagnols et les Juifs qui y ont été internés, dénonce l’historien Nicolas Lebourg.
 

Nicolas Lebourg


J'ai pour principe d'éviter les polémiques et agitations. Ceci dit il était hors de question de laisser des élus hors-sol mettre la pression aux formidables équipes du Mémorial du camp de Rivesaltes. Donc points sur les i :
 

 

Le député RN Laurent Jacobelli à la journée nationale d'hommage aux harkis de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), le 25 septembre. (JC Milhet/Hans Lucas. AFP)


Ce 25 septembre, Laurent Jacobelli, télégénique député du Rassemblement national, a posté une vidéo filmée devant le Mémorial du camp de Rivesaltes (MCR), et prenant violement à partie ce dernier. Peut-être encore troublé par sa condamnation judiciaire quelques jours avant, il invente une politique du MCR qui en ferait un « temple du wokisme ». La mémoire du camp aurait été détournée au détriment des quelques 22 000 harkis et membres de leurs familles passés par ce site. « Pour diffuser une pensée de gauche et pro-migrants, dit-il. On ne parle plus des harkis. Quelle honte ! ». La charge n’est pas solitaire puisque, le même jour, Michèle Martinez, député RN des Pyrénées-Orientales (département où se situe Rivesaltes), attaquait également le MCR lorsqu’elle proposait la création d’une fondation nationale pour la mémoire des Harkis. Les deux élus accusent le Mémorial d’invisibiliser les harkis, ce que le premier qualifie de « scandale ».
 
Bien sûr, on pourrait objecter que s’ils étaient rentrés dans le bâtiment, ils auraient constaté que l’exposition permanente traite très largement de ce sujet. Si nos députés étaient allés le lendemain au MCR ils auraient assisté… à la journée d’hommage aux harkis qui s’y tient tous les ans. Si nos députés daignent parfois se rendre à l’Assemblée nationale et aux Invalides, ils y auront vu en 2024 une exposition sur les harkis… créée par le MCR, d’abord installée au MCR. S’ils ont préféré arpenter la Côte d’Or, ils auront pu visiter l’exposition sur les harkis qui s’y tenait, réalisée avec le soutien du MCR. S’ils lisent des livres sur les harkis, ils connaissent leur spécialiste : Abderahmen Moumen. Il est le responsable scientifique de la partie sur les harkis de la nouvelle exposition permanente du MCR, à venir dès 2026. S’ils sont attentifs à l’institution, ils auront noté que le président de son conseil scientifique, l’historien de l’antisémitisme et de Vichy Laurent Joly, rappelait dans sa réponse à M. Jacobelli être le petit-fils d’un Kabyle ayant choisi la France.
 
D’ailleurs, si nos députés s’intéressent à l’histoire, il semble qu’ils aient quelques trous de mémoire. M. Jacobelli dit que le MCR a été créé en hommage aux « harkis et pour tous ceux qui sont passés par le camp ». Il ne les nomme pas. Mme Martinez affirme qu’au MCR « le passé harki est parfois invisibilisé par d’autres mémoires ». Elle ne les nomme pas. Aidons-les. Ouvert en 1941, le camp a interné des milliers de républicains espagnols qui avaient fui les exécutions franquistes, des milliers de juifs étrangers, ensuite transférés vers Drancy puis Auschwitz. Était-ce des mots si difficiles à utiliser : « juifs », « républicains » ? Sont-ce des mémoires honteuses avec lesquelles voisiner ? Tout ne fut pas si sombre. Il y eut aussi des collaborateurs internés à la Libération. Et puis, le site fut même utilisé pour un centre de rétention des clandestins jusqu’en 2007. 
 
Selon M. le député, le MCR fait des expositions « pour les LGBT, pour tout, pour rien ». Qu’est-ce que ce « rien » ? L’exposition temporaire de 2024 dédiée à l’internement des « nomades », Rivesaltes ayant été le camp de Vichy qui en concentra le plus ? Quant aux LGBT, le MCR est partenaire du festival LGBT+66 : manifestement, oui, il faut continuer à dire leur sort dans l’Europe de 1939-1945. Si M. Jacobelli se rend jusqu’à sa circonscription, en Moselle, il pourra y songer à comment des homosexuels mosellans vivant dans des territoires rattachés au Troisième Reich y furent arrêtés, « pour tout, pour rien ». 
 
Il ne s’agit même plus d’opposer une vision de l’histoire à une autre. Le trumpisme a lâché la bride : on peut inventer entièrement le réel pour mieux le dénoncer. Le travail historique est l’exact opposé de ce palimpseste où le vrai n’est même plus un moment du faux. Résultat, les adaptes du retour autoritaire l’ont en horreur. En Allemagne, c’est le Mémorial du Buchenwald qui est dans le viseur de l’AFD. Que nous raconte l’histoire du camp de Rivesaltes ? La gestion coercitive des flux humains dans une société qui se désintéresse des populations ostracisées. Cela vaut pour les harkis comme pour les autres groupes qui y ont été relégués. C’est le signifié de l’histoire qu’on voudrait effacer. Quitte à recourir aux tentatives classiques de clientélisation de minorités blessées. Quitte à diffamer les équipes du MCR qui, elles, travaillent dans un département champion de France du chômage et de tous les défis sociaux, pour tenter de reconstruire du lien et du sens. C’est bien pour l’histoire, pour les harkis, pour ces équipes, que l’historien des extrêmes droites et unique historien de toutes les périodes du camp de Rivesaltes que je suis tient à rappeller que ce n’est pas la mémoire qui divise, mais le ressentiment. Le MCR a ouvert en 2015. Comme le dit sa directrice Céline Sala-Pons, cela fait « dix ans à faire taire les silences ». 
 
Car le silence, c’est terminé.
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire