La même chose à l'écrit que la vidéo postée ici :
https://lemurparle.blogspot.com/2025/10/et-si-on-faisait-la-revolution-en.html
Et si... on faisait la révolution
en dansant ?
Avec Mathilde Caillard
11 octobre 2025
Mathilde Caillard à Paris, en septembre 2025. - © Mathieu Génon / Reporterre« Je veux un monde qui chante. » L’activiste Mathilde Caillard, alias MC danse pour le climat, énergise les luttes avec le collectif Planète Boum Boum. Pour elle, « la joie est collective, elle peut faire bouger les choses ».
Mathilde Caillard, militante écologiste, s’investit en tant que MC danse pour le climat au sein du collectif Planète Boum Boum. Son moyen de lutte : danser ! Elle s’exprime ici sur la joie, la jeunesse, les stratégies de luttes, le monde post-capitaliste.
Lisez ce grand entretien, que vous pouvez aussi écouter intégralement sur une plateforme de votre choix ou regarder en vidéo.
https://podcast.ausha.co/le-monde-d-apres-par-reporterre
Reporterre — La joie permet-elle de combattre les régimes autoritaires ?
Mathilde Caillard — Oui, complètement. Une stratégie
politique veut nous maintenir dans la tristesse et que les gens soient
tellement convaincus qu’ils ne peuvent rien faire qu’ils n’essayent même
pas de se battre. Et du coup, c’est une stratégie également politique
de rester en joie, d’aller cultiver la lumière pour agir et se mettre en
mouvement.
Comment être joyeux quand Donald Trump est un despote dingue,
quand Netanyahu commet avec l’État d’Israël un génocide à Gaza, quand la
catastrophe écologique s’accentue sans frein de la part des classes
dirigeantes ?
Il ne s’agit pas d’être optimiste à tout prix. Plutôt d’être lucide : sur le volet écologique, sur le volet géopolitique, sur le volet économique, il y a de quoi être extrêmement angoissé. Mais quand les révolutionnaires de 1789 se sont révoltés, ils ne se disaient pas, « On va renverser le roi et on va arriver à une République ». Ils n’avaient pas conscience de ce qu’ils étaient en train de faire, mais ils l’ont fait.
Les choses se construisent jour après jour par les actes qu’on pose.
Et avec la lucidité, l’action collective est la clé. Par elle, on recrée
des liens humains et on remet au centre de notre vie des choses qui
nous donnent de la joie, de la force, de l’énergie et qui nous
permettent d’imaginer autre chose. Et parce que la joie est collective,
elle peut faire bouger les choses.
Il y a aussi la question de pourquoi on se bat. James Oppenheim, un poète américain, a écrit en 1911 une poésie, Du pain et des roses, qui a été énormément reprise par les ouvrières et les ouvriers de l’époque. Ce poème disait : « Les cœurs s’affament comme les corps. Nous voulons du pain, mais nous voulons des roses. »
Ça dit bien que quand on lutte, on ne se bat pas que pour survivre : on
revendique aussi de jouir de la vie, du plaisir d’être en vie, d’être
ensemble, on revendique le plaisir du beau, de célébrer l’amour,
l’amitié, les relations humaines, l’art, la culture.
En 2018, année de la démission de Nicolas Hulot et des premières
marches climat, vous avez découvert la gravité de la situation
écologique. Pouvez-vous nous raconter ce choc qui a été partagé par
beaucoup de personnes de votre génération ?
J’étais étudiante et j’ai commencé à lire énormément de documentation
sur la crise écologique. Ce constat m’a mis dans un état de sidération.
Ce qui m’en a sorti, c’est de rencontrer des gens qui étaient dans le
même état d’esprit que moi et de former avec eux une communauté qui
s’est dit : « OK, il y a ça qui nous arrive, qu’est-ce qu’on peut faire pour retrouver du pouvoir d’agir ensemble ? »
Peut-on être en colère et dans la joie en même temps ?
Oui. Nous sommes des êtres complexes pouvant ressentir des choses à
l’apparence contradictoires. Et c’est ce qui fait aussi la beauté d’être
vivant et vivante.
La colère, ça peut pousser à des gestes de violence physique, à
vouloir se confronter à la police. La danse, qui est aussi une énergie
physique incroyable, est-elle une façon de sublimer cette colère ?
La joie, la danse et le chant, en manif, forment une stratégie puissante parce qu’elle est désarmante. Pourquoi ? Parce que quand on utilise la danse, on contrecarre le discours médiatique à charge contre les manifestants. C’est super dur de dire de gens qui sont en train de danser dans la rue qu’ils sont des écoterroristes.
Durant le mouvement des retraites, début 2023, le cadrage médiatique était très défavorable. Dès qu’il y avait un feu de poubelle, toutes les caméras filmaient le feu de poubelle et on ne parlait plus du fait qu’il y avait plus de 1 million de personnes dans la rue, un soutien massif dans la population, un taux de grévistes comme on n’en avait pas vu depuis des années.
« C’est dur dire de gens qui dansent qu’ils sont écoterroristes »
Quand il s’est produit des trucs drôles, avec des manifestants et des manifestantes qui dansaient, et ma vidéo qui a beaucoup circulé, ça a fait dévier ce cadrage médiatique : « Ah, il y a aussi des jeunes du mouvement climat ! Pourquoi des jeunes du mouvement climat sont dans une manif retraites ? » On pouvait enfin parler de pourquoi on était dans la rue, et déployer des revendications politiques.
Vous êtes une femme et vous dansez pour l’écologie et pour l’émancipation sociale. Y a-t-il un enjeu féministe dans cette forme de protestation ?
Oui. Utiliser son corps dans l’espace public pour passer un message a
une dimension de libération. Il suffit de voir toutes les critiques que
j’ai reçues de la part de plein d’hommes, y compris de mon propre camp,
pour comprendre que ça dérangeait. Pour certains hommes, les seules
émotions valables dans la lutte sont la tristesse et la colère. Et pour
les autres, j’étais ridicule, je ne savais rien. Et puis, il y en avait
aussi beaucoup que ça dérangeait de voir un corps qui n’était pas en
train de travailler à la reproduction marchande, qui ne produisait pas
de la valeur reconnue par l’économie capitaliste. « Va travailler au lieu de danser », me disait-on.
Habituellement, dans l’espace public, on scrute beaucoup le corps des
femmes, soit pour leur demander de ne pas être présentes parce que
c’est un espace dangereux pour elles et qu’il faut qu’elles restent à la
maison, soit parce que le corps scruté par le regard masculin doit
correspondre à ce que le regard masculin attend de lui.
Vous en parlez à l’imparfait. Pourquoi ?
Parce que je pense que les gens se sont habitués, et que ça a permis aussi beaucoup de discussions au sein même de nos cercles militants sur la joie, sur le fait de danser en manif. Il fallait rappeler que l’art et la culture ont toujours été utilisés dans les luttes et que c’était une méconnaissance de notre histoire commune de considérer qu’il ne fallait pas faire comme ça.
Il y a plein de signes que la jeunesse va mal. Comment analysez-vous ce fait ?
Oui, la jeunesse va mal. Il y a une étude sur les années post-Covid, avec des chiffres dramatiques en termes de santé mentale. 55 % des étudiants disent qu’ils ne vont pas bien [1]. Il y a aussi la précarité économique. La Fédération de tous les acteurs de solidarité a publié des chiffres où 8 étudiants sur 10 vivent avec moins de 100 euros par mois, une fois que les charges incompressibles ont été payées. Et 1 jeune sur 10, au cours des douze derniers mois, a dormi à la rue ou dans son véhicule parce qu’il ne pouvait pas se payer un logement.
Comment accepte-t-on cela quand les ultrariches détruisent notre avenir écologique et permettent que 2 000 enfants dorment à la rue tous les soirs, que des jeunes vivent dans les conditions que je viens de décrire et que 2 millions de retraités vivent sous le seuil de pauvreté ? Ça me révolte. Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas de révolte sanglante contre les ultrariches.
Mathilde Caillard le 23 mars 2023, à Paris, lors de la manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites. © Mathieu Génon / Reporterre
Et c’est encore plus douloureux au vu de la crise écologique qui
bouffe notre horizon. La solution, c’est l’organisation collective,
rejoindre des collectifs, les syndicats étudiants ou autres, et pourquoi
pas un parti politique. L’autre piste, c’est, une fois qu’on est dans
ces réseaux, qu’on milite dans les luttes ou qu’on vient d’y entrer, de
se concentrer sur : qu’est-ce qu’on peut gagner ici et maintenant ? Et c’est ce qui s’est passé cette année. Coup sur coup, on a gagné les PFAS puis la « taxe Zucman » [adoptée par l’Assemblée nationale en février, cette taxe qui vise à instaurer un impôt de 2 % sur le patrimoine des ultrariches a été annulée ensuite par le Sénat]. Quand on s’organise, quand on met la pression, ça marche.
Plusieurs révoltes dans le monde sont menées par les jeunes : en
Serbie depuis un an, au Bangladesh en 2024, au Népal en septembre et
récemment à Madagascar et au Maroc. Et la France ?
La société civile française est mobilisée. Aux législatives de 2024, le NFP [Nouveau Front populaire], donc l’Alliance des gauches, est arrivée en tête au second tour, ce qui n’était prévu par personne. Il y a eu cet été les 2 millions de signataires de la loi Duplomb. Il y a eu les mobilisations du 10 et du 18 septembre. Il y avait eu le mouvement massif contre la réforme des retraites.
En fait, la société civile est dynamique et active. Mais on a un chef
d’État sourd au mouvement social. On est plus mobilisés qu’il y a cinq
ans et on gagne moins. Les intérêts économiques sont de plus en plus
fragilisés par le constat de la science et du coup sont de plus en plus
offensifs.
Parmi les motifs qui pourraient nous rendre tristes, il y a
l’état de dislocation de la gauche. Pourquoi ne réussit-elle pas à
s’unir ?
La gauche a quand même réussi à s’unir par deux fois en 2022 et en 2024. Les électeurs et électrices de gauche attendent massivement une union. Et c’est parce qu’il y a eu une pression de la société civile qu’en 2024 que tous les partis de gauche ont fait bloc contre le Rassemblement national. J’espère vraiment que c’est le scénario qui va se reproduire pour 2027. Les électeurs et électrices de gauche se foutent des guerres de chapelles. Ils veulent un programme de rupture, qui change leur vie.
« Ça me dérange de dépendre de plateformes [types Instagram ou Facebook] possédées par des milliardaires fascisants outre-Atlantique. Mais vu l’influence qu’ils ont, on ne peut pas les quitter. » © Mathieu Génon / ReporterreEt peut-on faire reculer l’extrême droite ?
Même dans les villes comme Toulon ou Béziers avec une majorité de
votes Rassemblement national, des milliers de gens votent pour la
gauche. Donc il y a un travail pour mettre en lien ces gens pour qu’ils
s’organisent et qu’ils aillent convaincre plus autour d’eux. Après, il y
a un travail de discuter avec les électeurs. Il faut maintenir le
dialogue et coûte que coûte essayer de convaincre. On n’a pas le choix.
Vous êtes connue notamment par les réseaux sociaux. Cela ne vous rend-il pas dépendante à leur égard ?
Si, complètement. Ça me dérange de dépendre de plateformes possédées par des milliardaires fascisants outre-Atlantique. Mais ces espaces existent et vu l’influence qu’ils ont, on ne peut pas les quitter. Ce sont des champs de bataille contre l’extrême droite qui s’y développe, notamment parce qu’ils ont été longtemps peu invités par les médias traditionnels. Le RN est le premier parti politique qui a eu un site internet [en 2018] et un compte Facebook.
https://www.youtube.com/watch?v=8mtSGZrE9Ko
Les gens passent plusieurs heures par jour sur les réseaux sociaux. Comment on fait par rapport à ça ?
Il y a une addiction généralisée, mais qui est voulue. Les systèmes
des plateformes en ligne voient comment fonctionne le cerveau et vont
trouver des trucs qui vous accrochent et vous aliènent. L’issue est
collective. Il ne faut pas se dire « je suis nul, je suis toujours sur mon téléphone »,
c’est normal que vous ayez une addiction. Il faudrait des mesures
politiques pour les maîtriser. Une des pistes, c’est la société de
demain, c’est le ralentissement. Ça veut dire quoi ?
Remettre les liens humains au centre, avec l’art et la culture, alors
que ce système nous isole les uns et les unes des autres.
Comment imaginez-vous le monde à venir, le monde pour lequel vous dansez, le monde d’après le capitalisme ?
Il existe déjà pour plein de gens qui essayent de vivre de la manière dont ils aimeraient que tout le monde puisse vivre. Les demandes sont simples. On veut du pain et on veut des roses. On veut un monde où on vit ensemble, où on lutte contre l’isolement des uns et des unes et des autres. Moi j’adore les endroits intergénérationnels, j’imagine des habitats collectifs où on mêle les générations, pour que les plus anciens continuent à contribuer à la vie sociale. Et aussi, pour que les jeunes parents ne soient pas dans une espèce d’enfer, en huis clos, avec l’enfant dans 30 m2. Je veux qu’on remette les liens sociaux, l’art, la culture au centre, parce que c’est décarboné, que ça fait du bien au cœur et à la collectivité. Et voilà. Je veux un monde qui chante.









Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire