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mercredi 8 octobre 2025

Tirs des loups sans contrôle : L'État piétine les engagements internationaux de la France

Tirs des loups sans contrôle : 

L'État piétine les engagements 

internationaux de la France

 

Publié le 22 septembre 2025
 
 

Communiqué commun FNE, ASPAS, FERUS, Humanité & Biodiversité, LPO, WWF

Après avoir obtenu le déclassement du loup sans avoir présenté la moindre production scientifique sur l’état de conservation de l’espèce dans notre pays, le gouvernement prétexte cette évolution du statut pour ouvrir les possibilités de destruction tous azimuts de loups, sans possibilité effective de contrôler le nombre d’individus tués. Cette orientation est en contradiction directe avec les engagements juridiques de notre pays, tant au titre de la Convention de Berne que de la Directive « Habitats ».

Pour rappel, le déclassement du loup s’accompagne de l’obligation pour les Etats de garantir la viabilité de l’espèce, et que les possibles mesures de « gestion » prises par les Etats restent compatibles avec le maintien de la population dans un état de conservation favorable.

Or déjà aujourd’hui, les estimations de la population en France pour les dernières années indiquent une stagnation du nombre de loups et même une légère baisse. Une étude récente réalisée par le CNRS, le Muséum et l’Office Français de la Biodiversité conclut à un risque important de baisse de la population si le niveau d’autorisation de destruction de loups actuel est maintenu. Selon cette étude, que l’Etat refuse de publier, la population est aujourd’hui « au seuil de mortalité supportable ».

Et c’est dans ce contexte que l’Etat choisit non d’encadrer mieux les tirs et de limiter le nombre annuel de destruction possibles, pour garantir l’état de la population, mais de libéraliser complètement les possibilités de tir. Il prévoit de passer d’un système d’autorisations par les préfets à un simple système déclaratif, ne reposant de plus sur aucune conditionnalité : pas de nécessité de protection des troupeaux, pas de prise en compte du niveau des dommages.. en clair, l’ouverture d’une chasse aux loups.

Incapacité à contrôler les destructions de loups

L’Etat indique qu’il maintient un plafond annuel du nombre maximum de loups pouvant être tués. Mais il est dans l’incapacité de dire comment il pourra contrôler les destructions de loups, et donc très concrètement les moyens de faire respecter ce plafond annuel. Qu’est ce qui pourrait demain dans ces conditions limiter les destructions de loups à grande échelle ? Qu’est-ce qui pourrait permettre d’éviter la baisse annoncée du nombre de loups ? Et qu’est-ce qui pourrait permettre à l’Etat d’assurer qu’il garantit l’état de conservation de l’espèce ?

Pire : le gouvernement « réfléchit » à faire évoluer le régime de sanction concernant les destructions illégales de loups. Celle-ci, constituant des délits lourdement sanctionnés s’agissant d’une espèce protégée, pourraient relever demain de simples contraventions pour « atteinte non intentionnelle ».

Comment donner plus clairement un signal incitant à plus de destructions ?!

L’ensemble des nouvelles mesures annoncées montrent clairement que la volonté de l’Etat est bien d’organiser une réduction drastique de la présence des loups en France, à l’encontre des engagements de notre pays à atteindre un état de conservation favorable de cette espèce protégée.

Le loup fait partie de notre patrimoine naturel commun. Sa présence apporte de nombreux services écosystémiques et elle est désirée par la grande majorité de nos concitoyens. Les difficultés créés pour les élevages par le retour naturel de l’espèce, qu’il est important de ne pas minorer, font l’objet de financements pour la protection et les indemnisations de dommages. L’Etat ferait mieux d’approfondir l’accompagnement des élevages en matière de moyens de protection plutôt que de se focaliser exclusivement sur des destructions qui n’empêcheront nullement des attaques. En toute logique, il pourrait décider de ne plus indemniser les animaux prédatés dans des élevages non protégés. Il n’en est rien.

Plusieurs de nos organisations, en partenariat avec des éleveurs, sont engagées dans cette voie et font la démonstration sur le terrain de l’efficacité du triptyque «présence humaine-clôtures-chiens de protection», dès lors qu’il est calibré et suivi au plus près des spécificités de chaque élevage.

Devant le refus de l’Etat de publier l’étude scientifique sur l’état de la population et l’impact des tirs, indispensable pour déterminer ce qu’il est possible de faire ou non dans les conditions postdéclassement, les organisations de protection représentées au GNL ne participeront pas à la réunion du 23. Prétendre conduire un dialogue en cachant des éléments de connaissance déterminants n’incite pas à croire au respect apporté par l’Etat à cette instance consultative.

Nous demandons à l’Etat de respecter les engagements juridiques de notre pays, de renoncer à cette politique néfaste et de reprendre complètement les dispositions qu’il a annoncées. Nous continuerons pour notre part à agir pour promouvoir la possibilité d’une coexistence entre l’élevage et la faune sauvage.

 

Source : https://fne.asso.fr/communique-presse/tirs-des-loups-sans-controle-l-etat-pietine-les-engagements-internationaux-de-la

mardi 7 octobre 2025

Les écoliers exposés aux Pfas autour de l’incinérateur d’Ivry

 

Les écoliers exposés aux Pfas 

autour de l’incinérateur d’Ivry

Par Jeanne Cassard
24 septembre 2025
 
 
L'incinérateur d'Ivry-sur-Seine, en service depuis 1969, est le plus grand d'Europe.
 

Une étude révèle la présence de « polluants éternels » dans les filtres d’aération d’écoles à côté de l’incinérateur de déchets d’Ivry-sur-Seine, près de Paris. Les rejets toxiques de la structure sont dénoncés depuis des années.

Les enfants de cinq écoles primaires d’Ivry-sur-Seine et Charenton-le-Pont (Val-de-Marne) respirent-ils des PFAS dans leur salle de classe ? C’est la question qui se pose après la publication d’une étude effectuée par le collectif de riverains 3R et les ONG Zero Waste France et Zero Waste Europe, le 24 septembre.

Pour la première fois, des analyses révèlent la présence de ces « polluants éternels » — omniprésents dans nos produits de consommation et toxiques pour l’humain — dans les filtres d’aération de cinq écoles situées à moins de 1 500 m de l’incinérateur de déchets d’Ivry-Paris XIII, où 700 000 tonnes de déchets sont brûlées chaque année. Les relevés, menés entre 2024 et 2025, sont sans appel : tous les filtres d’aération étudiés contiennent des PFAS.

L’étude confirme ainsi un élément essentiel : « Ces polluants éternels sont présents dans l’air extérieur et sont donc au contact des enfants lorsqu’ils jouent dehors pendant la récréation », dit Noémie Brouillard, chargée de projets chez Zero Waste France. En revanche, « l’étude ne prouve pas la présence des PFAS à l’intérieur des salles de classe, car on ne sait pas si les systèmes d’aération sont efficaces pour les filtrer », ajoute-t-elle.

Pour parvenir à ces résultats, l’organisme indépendant de recherche Toxicowatch a mené des analyses sur les filtres d’aération en utilisant la technologie Calux, bien plus sensible que les analyses classiques de référence.

« Ce qui nous inquiète, c’est ce que l’on ne sait pas »

Certains filtres contenaient beaucoup plus de PFAS que d’autres, mais ces prélèvements ne sont pas comparables entre eux. « Ils n’ont pas été posés au même moment, ni pour les mêmes durées, dit Amélie Boespflug, coprésidente du Collectif 3R, qui alerte depuis des années sur les nuisances liées à l’incinérateur d’Ivry. Certains ont été changés de manière trimestrielle, alors que celui d’une école à Ivry-sur-Seine n’avait pas été changé depuis trois ans. Par ailleurs, dans deux écoles, les résultats ont été sous-estimés pour des raisons techniques qui n’ont pas permis de séparer la poussière du filtre lui-même. »

Pour les riverains, cette étude pilote n’est qu’une première étape, qui soulève beaucoup de questions. « Il faut maintenant mener des études complémentaires pour savoir si des PFAS sont présents dans les salles de classe et si les systèmes de ventilation sont efficaces ou non, résume Amélie Boespflug. Ce qui nous inquiète, ce n’est pas ce que l’on sait, c’est ce que l’on ne sait pas. »

Pollutions multiples autour de l’incinérateur

Au-delà des PFAS, l’étude a montré que les concentrations en dioxines — une famille de molécules classées cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer — des des poussières dans un appartement situé à 700 m de l’incinérateur d’Ivry dépassaient celles retrouvées dans les résidus de l’incinération des déchets d’un incinérateur aux Pays-Bas.

Cette étude s’inscrit dans une série de travaux menés depuis 2021 par le collectif 3R, Zero Waste Europe et le bureau d’études de Toxicowatch pour évaluer la pollution autour de l’incinérateur d’Ivry. Tout a commencé avec l’analyse d’œufs de poules élevées dans les jardins autour de l’incinérateur, fortement contaminés aux dioxines.

Lire aussi : Des métaux lourds dans les cours d’écoles du Val-de-Marne

Des recherches sur les données de surveillance de l’incinérateur ont ensuite révélé près de 7 000 heures sur deux ans sans contrôle des émissions de dioxines, en raison de dysfonctionnements. Une troisième étude a été menée en 2024, révélant que des mousses — représentatives de la pollution de l’air récente — collectées à proximité de l’incinérateur contenaient de fortes concentrations de dioxines et de métaux lourds.

« La France a fait le choix de l’incinération »

« On a mis trente ans à se rendre compte que les dioxines émises par les incinérateurs d’ordures ménagères étaient problématiques. Avec les PFAS, on se retrouve confrontés au même problème avec des années de retard », regrette Noémie Brouillard, de Zero Waste France.

Bien qu’un arrêté ministériel publié en octobre 2024 prévoie de mesurer 49 PFAS émis par les incinérateurs de déchets à partir du 31 octobre, pour elle, « cela ne résout pas le problème de la pollution, car l’arrêté ne prévoit plus aucun seuil de quantification ». Autrement dit, même si les concentrations de PFAS sont connues, il n’y aura aucune limite réglementaire, ni sanction en cas de dépassement.

Régler le problème à la source

C’est pourquoi, pour le collectif 3R et Zero Waste France, le seul moyen de se protéger des polluants émis par les incinérateurs de déchets est d’appliquer le principe de précaution. Concrètement, cela signifierait un moratoire sur la construction de nouveaux incinérateurs et la réduction au maximum de la production de déchets à la source.

« L’incinérateur d’Ivry-sur-Seine est en fin de vie, sa construction remonte à 1969. Notre collectif s’est mobilisé contre sa reconstruction, mais on a perdu cette lutte, car une nouvelle usine est en train d’être progressivement mise en service », retrace Amélie Boespflug. Sa capacité a été réduite à 350 000 tonnes de déchets brûlés par an, soit environ 50 % de la capacité actuelle. Sauf que le problème a seulement été déplacé, le reste des déchets devant être acheminé vers les incinérateurs de Créteil (Val-de-Marne) et du Havre (Seine-Maritime).

« On investit pour traiter des conséquences plutôt que de s’attaquer aux causes »

Selon la coprésidente du Collectif 3R, ce cas n’est pas isolé. « La France a fait le choix de l’incinération : 30 % des incinérateurs européens sont sur le territoire. Cette politique industrielle est influencée par les deux géants du secteur, Suez et Veolia. » Puisque des investissements massifs sont réalisés pour construire ou rénover des incinérateurs, il faut ensuite les rentabiliser, ce qui crée une dépendance à l’incinération.

Résultat, les milliards d’euros investis dans les incinérateurs ne sont pas disponibles pour faire de la sensibilisation à la réduction des déchets, ni pour développer des solutions alternatives comme la collecte séparée des biodéchets, la consigne, la réparation, la lutte contre l’obsolescence programmée et le réemploi.

« On est typiquement dans un cas de maladaptation. On continue d’investir dans des solutions qui traitent des conséquences plutôt que de s’attaquer aux causes, déplore Amélie Boespflug. Même avec les meilleurs filtres du monde, les enfants vont continuer à respirer l’air pollué de la cour de récréation. »

 

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lundi 6 octobre 2025

« Reconnaître un État palestinien, c’est reconnaître quelqu’un qui est en train de mourir »

Journal de bord de Gaza 106

 

« Reconnaître un État palestinien, 

c’est reconnaître quelqu’un 

qui est en train de mourir »

 

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, il a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l’armée israélienne. Ils se sont réfugiés à Rafah, ensuite à Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat. Un mois et demi après l’annonce du cessez-le-feu de janvier 2025 — rompu par Israël le 18 mars —, Rami est rentré chez lui avec Sabah, Walid et le nouveau-né Ramzi. Pour ce journal de bord, Rami a reçu le prix de la presse écrite et le prix Ouest-France au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024. 

23 septembre 2025


Bande de Gaza, le 13 septembre 2025. Des Palestiniens déplacés évacuant la ville de Gaza vers le sud se déplacent à pied et en véhicule le long de la route côtière à Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Eyad Baba / AFP

Beaucoup de gens me demandent mon avis, et celui des Palestiniens de Gaza, sur la reconnaissance de l’État palestinien par le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, puis par la France. L’opinion des Palestiniens de Gaza ? Ils se noient dans la souffrance. Les Gazaouis n’arrivent même pas à sortir leur tête de cette noyade pour comprendre ce qui se passe autour d’eux. Ils ne savent même pas que des pays occidentaux ont reconnu un État palestinien.

Et s’ils le savaient, ils ne s’en préoccuperaient sans doute pas. Des milliers de personnes cherchent à prendre la fuite et à trouver un abri, sous les bombardements, au milieu de massacres qui ne s’arrêtent pas. Des familles entières sont noyées dans la souffrance de la pauvreté. Les gens n’ont plus d’argent. Ils vendent les bijoux de leurs femmes. Ils vendent tous leurs biens. Simplement pour payer leur fuite. Pour aller où ? Ils ne le savent même pas.

On n’a jamais vu cela : payer des milliers de dollars pour se retrouver à la rue. Cette plongée dans la déchéance revient à environ 5 000 dollars (environ 4 240 euros), pour le moyen de transport, la location d’un bout de terrain au sud et l’achat d’une tente ou d’une bâche. Beaucoup de gens partagent la location d’un camion, jusqu’à six familles par véhicules. Autant dire qu’ils ne peuvent emporter que le strict minimum.

Ceux qui partent fuient vers la mort

Chadli, mon voisin du onzième étage, a, lui, voulu tout emporter. Quand les Israéliens ont commencé à bombarder les tours, il est parti pour le sud avec toute sa famille et tous ses biens : les lits, les meubles... Même les portes, pour faire du bois à brûler. Le transport en camion lui a coûté une fortune. Il avait la chance d’avoir trouvé un appartement dans une résidence, les immeubles d’Aïn Jalout, à côté de Nusseirat.

« On n’a pas le choix, on va rester ici à attendre. On ne sait pas quoi faire après, et on n’a nulle part où aller. »

Cet exemple montre qu’il n’y a aucun endroit sûr dans la bande de Gaza. Ceux qui partent fuient vers la mort. Les seuls choix, ce sont l’heure et la manière de mourir. Beaucoup d’autres fuient vers le sud à pied, dans la peur, dans la panique, parce qu’ils n’ont trouvé ni camion ni endroit où s’installer. On est noyés dans cette mort lente et silencieuse. Reconnaître un État palestinien, c’est reconnaître quelqu’un qui est en train de mourir. On te dit « Voilà, on te reconnaît, maintenant tu peux t’éteindre tranquillement. Tu peux t’éteindre en étant fier, parce qu’à la fin, 70 ans après, on te reconnaît ». C’est vraiment la pire chose que l’on peut entendre : « tu t’appelles Palestine, on te fait une belle cérémonie d’adieu, tu peux disparaître. »

L’occupé est en train de disparaître

Jusqu’ici ces pays occidentaux reconnaissaient l’occupant, mais pas l’occupé. C’est bien de reconnaître enfin l’occupé, mais l’occupé est en train de disparaître, et ils ne font rien pour l’empêcher. Ils savent que nous sommes en train de mourir, d’être déportés, car même l’occupant lui-même l’affirme ouvertement. La France et les autres savent qu’un génocide est en marche, mais ils se contentent de nous « reconnaître ». Tu peux partir maintenant, car on ne fera rien pour empêcher ta mort.

Les Gazaouis, eux, ne pensent qu’à survivre un jour de plus. Ces derniers jours, la fuite vers le sud ne s’est pas arrêtée. Des flots de camions défilent dans les rues de Gaza. Leur chargement dépasse de trois ou quatre mètres en hauteur, ce qui explique parfois les pannes d’Internet : ils arrachent régulièrement les câbles tendus d’un bord à l’autre de la route. Après l’ouverture pendant 48 heures de l’axe principal nord-sud, la route Salaheddine, les bombardements ont repris à l’est et au sud de la ville. Gaza est en train de se vider petit à petit.

Tout à l’heure, les Israéliens ont lancé des tracts juste à côté de chez moi, près du rond-point Ansar. Ils nous ordonnent d’aller vers le sud. Beaucoup de gens veulent partir, mais n’en ont pas les moyens. D’autres ont les moyens mais ne veulent pas partir. Souvent, ceux qui veulent rester ont déjà fait l’expérience du déplacement et de la vie sous la tente, et ils savent à quel point c’est affreux. Au contraire, nombre de ceux qui veulent partir sont restés à Gaza-ville depuis le début, ils ne peuvent imaginer ce qui les attend. Au sud, il n’y a plus aucun endroit libre.

Hier encore, il n’y avait pas de troupes israéliennes au sol dans mon environnement. Mais des quartiers entiers se vident sous les tirs des quadricoptères, ces drones armés qui visent les gens, et qui précèdent souvent des bombardements massifs. Il y a aussi les blindés télécommandés, des véhicules transformés en bombes roulantes, qui explosent un peu partout. La première cible, ce sont toujours les lieux qui abritent des déplacés, écoles ou camps de fortune.

La boussole du quartier

Ces derniers jours, les massacres ont continué dans les quartiers de Chati nord et de Sabra, entre autres. Des familles entières ont été tuées dans le bombardement de leur maison, que ce soit à Gaza-ville ou au sud. Ma famille et moi, nous sommes toujours chez nous, dans notre tour. Autour de nous, les gens hésitent. Et on en arrive à ce que je craignais : je suis devenu comme une sorte de boussole du quartier. Tout le monde me pose la question : tu restes ou tu pars ?

Je sais que si je reste, beaucoup vont rester. Si je pars, beaucoup vont partir. C’est une responsabilité trop lourde. Je ne veux pas que des gens restent chez eux uniquement parce que je ne bouge pas, et porter le poids de ce qui pourrait leur arriver.

Beaucoup de ceux qui sont partis vers le sud y ont été assassinés, massacrés. Il n’y a pas de « zone humanitaire » au sud comme le prétendent les Israéliens. Ils emploient beaucoup plus de force que d’habitude, dans le but de déplacer tout le monde, afin de nous déporter vers l’étranger. Pour le moment, je ne sais pas comment la situation va évoluer, je n’en ai aucune idée. J’espère seulement que tout cela va s’arrêter.

 

Source : https://orientxxi.info/dossiers-et-series/reconnaitre-un-etat-palestinien-c-est-reconnaitre-quelqu-un-qui-est-en-train-de,8518