Manifestation contre l’A69 :
des affrontements,
mais de l’espoir
dans les rangs
Plusieurs milliers de manifestants ont tenté de rejoindre samedi des tronçons du projet de l’autoroute A69, en dépit de l’interdiction de la préfecture. Après plusieurs heurts à travers champs, les organisateurs déplorent une vingtaine de blessés, dont trois graves. Pour sa part, la préfecture annonce deux blessés du côté des policiers.
8 juin 2024
(Puylaurens, Tarn) - La scène ressemble aux impressionnantes images de la manifestation qui s’était déroulée à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les mégabassines en mars 2023, même si le bilan humain semble heureusement moins lourd. Des centaines de militants courent à travers champs face à des forces de l’ordre en nombre, qui lancent des gaz lacrymogènes et des grenades de désencerclement de manière quasi continue.
Devant eux, des jeunes répliquent avec des tirs de feux d’artifice. Sur ce champ proche de la D926, les parcelles de blé prennent feu. En haut de la colline, le cortège dit « traditionnel » regarde les affrontements de loin et réceptionne les quelques blessés.
À 18 heures, cela fait bientôt quatre heures que les 7 000 manifestants (selon les organisateurs, 2 000 selon la préfecture) tentent de rejoindre un tronçon de la future autoroute A69 en passant par des sentiers de campagne et des champs.
Dans les rangs du cortège dit « traditionnel »À l’appel d’Extinction Rebellion, du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), du collectif La voie est libre et des Soulèvements de la terre, la « manif’action » a démarré depuis le nouveau camp de base, monté la veille, à proximité du village de Puylaurens. Primo-manifestants, militants de tous âges et syndicats se sont mélangés dans une marche organisée sur le tracé du projet.
Toute la matinée, le camp s’est rempli au rythme des prises de parole des différents collectifs invités et de points organisés en vue de l’organisation du cortège de l’après-midi. La veille, les zones à défendre (ZAD) installées depuis plusieurs mois à Saïx avaient été pénétrées par les forces de l’ordre, sans pour autant être démantelées.
Jeudi 6 juin, la manifestation – qui n’avait pas encore été déclarée – avait été interdite par la préfecture du Tarn. Un recours en référé contre cette interdiction avait été déposé le lendemain par la Confédération paysanne et le GNSA devant le tribunal administratif de Toulouse, qui l’a rejeté tard hier soir.
Pour certains militants présents, le traumatisme de Sainte-Soline reste encore vif. Spirale, 37 ans, est venu sans protection. Dans le cortège syndical, il raconte : « J’ai encore des blessures psychiques de mars 2023. Pendant trois jours, je m’endormais en rêvant d’explosions. Aujourd’hui, je préfère être dans le cortège calme. »
Le dispositif policier a, lui aussi, été similaire à celui de la manifestation contre les mégabassines : la préfecture a annoncé le déploiement de vingt-deux escadrons de gendarmes mobiles et de deux hélicoptères. À 13 heures, le camp de base était déjà cerné par des gendarmes et des canons à eau à toutes les sorties. Les deux hélicoptères surveillent les cortèges disséminés en permanence et envoient des renforts de police au sol en conséquence.
« On est légitimes à s’interposer »
Malgré l’interdiction, la manifestation a reçu le soutien d’associations qui ne comptent pas forcément la pratique de la désobéissance dans leur ADN, à l’instar de la Confédération paysanne ou du collectif Sans bitume, qui lutte depuis un an contre les centrales à bitume qui seront installées pour produire sur place le revêtement de l’autoroute, et dont l’une sera construite à Puylaurens.
« On est pacifistes, mais aujourd’hui on est obligés d’être solidaires avec les autres collectifs qui luttent contre l’A69, parce que tout est intimement lié, explique Régis Lux, le représentant de Sans bitume. On est au bord du craquage. »
Artificialisation des sols, tarissement des ressources en eau et impact sur la biodiversité : les associations et les habitants affectés par le chantier dénoncent un projet « absurde » compte tenu de la route nationale qui existe déjà sur cet itinéraire.
Avant la manifestation, la Confédération paysanne avait, elle, annoncé vouloir un rassemblement « sans se mettre en danger ». Objectif : semer des graines sur le tracé, « un mélange paysan », avec un tracteur prévu à cet effet, paré d’une mésange bleue géante en papier mâché. De leur côté, les organisateurs comme Extinction Rebellion Toulouse avaient scandé devant la presse : « On incarne une posture d’autodéfense face au gouvernement, on est légitimes à s’interposer. »
Émilie et Judith se sont déplacées de Paris et Toulouse pour l’occasion. Les deux amies âgées de 35 ans viennent pour la première fois manifester contre l’A69. Pour elles, c’était important de protester contre un projet qui « détruit les écosystèmes pour gagner vingt minutes de trajet en voiture ». Ce 8 juin, c’est leur « première manifestation interdite » ; elles n’ont d’ailleurs prévu aucun équipement de protection pour faire face à de possibles heurts. « C’est intimidant de voir les CRS », explique Émilie. La chercheuse en chimie et son amie restent dans le cortège le plus calme.
Nathalie, 57 ans, est elle aussi présente malgré l’interdiction, accompagnée de sa fille, Oukoa, 18 ans. Venues de Savoie, elles sont arrivées la veille et ont fait sept heures de route en voiture pour l’occasion. « Je ne pouvais pas rester assise chez moi, explique la mère de famille. Les mouvements écologistes sont tellement réprimés que c’est mieux d’être nombreux. »
Bruno
Julié, 68 ans, est habitué à ce combat depuis plus de dix ans. L’homme
est élu local de la commune de Teulat, un village qui va être coupé en
deux par l’A69. Le retraité travaillait à Toulouse en tant
qu’informaticien : « Je n’ai jamais vu un seul bouchon de ma vie. »
Si lui a pris conscience depuis plusieurs années des conséquences
néfastes du projet, il estime que beaucoup d’élus locaux du Tarn n’ont
pas la même vision de la ruralité, « restés dans un modèle figé datant des années 1980 qu’on ne peut plus appliquer aujourd’hui ».
Martin* est l’un des coorganisateurs du mouvement. Militant actif des Soulèvements de la terre depuis un an, il dénonce un projet « absurde » et dévastateur pour l’environnement. Originaire du Tarn, le jeune homme de 34 ans estime que rien n’est encore joué. « Les chantiers ont commencé mais le bitume n’a pas encore été déposé », explique celui qui voit aujourd’hui les « forêts de [s]on enfance » et les « chemins de [s]on école » détruits par les avancées des travaux.
Après plusieurs tentatives pour rejoindre le tracé de l’A69 toute l’après-midi, vivement réprimées par les forces de l’ordre, les militants se sont repliés à l’appel des Soulèvements de la terre en voyant une dizaine de blindés de police arriver sur les lieux des affrontements. « Nous ne voulons pas d’un Sainte-Soline bis », avait-on pu entendre sur le chemin remontant la colline. Vers 19 h 30, les tirs se mettent à résonner à nouveau dans la vallée. À cette heure, le collectif comptait au moins une vingtaine de blessés, dont trois graves, « dus aux armes policières », selon les organisateurs. D’après le préfet du Tarn, il y a « deux blessés légers » du côté de la police et trois véhicules dégradés.
Source : https://tinyurl.com/8dk3r3ak
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