Guillaume Meurice :
« Le pouvoir déteste l’humour
car il désacralise les dominants »
Texte : Laurie Debove
Photographie : Joël Saget / AFP
12 juin 2024
"L’humour arrive dans la politique comme un chien dans un jeu de quilles car il est assez efficace pour désacraliser les choses. Or, le pouvoir et le dominant ont besoin de sacré pour dominer ; sinon les politiques ne sont que des êtres humains face à d’autres êtres humains."
Une blague mal reçue lui a coûté sa place. L’humoriste Guillaume Meurice a été renvoyé de FranceInter au mépris des décisions de justice qui validaient sa galéjade. L’occasion de discuter de la place de la satire dans la politique avec l’ex-trublion des ondes publiques françaises.
Guillaume Meurice vient d’être licencié de FranceInter suite à des mois de polémique, le « prépuce gate », comme l’appelle avec ironie l’humoriste. Loin de se laisser ronger par la tourmente, ce troubadour des temps modernes a cherché à prendre de la hauteur avec le livre « Dans l’oreille du cyclone », un plaidoyer pour la satire politique (dont les droits d’auteur sont intégralement reversés à Médecins du monde).
LR&LP : Qu’avez-vous essayé de démêler avec ce livre “Dans l’oreille du cyclone” ?
Guillaume Meurice : Il y a plusieurs épisodes, c’est une saga. “Dans l’oreille du cyclone” traite de ce qu’il s’est passé du 30 octobre au 21 novembre 2023, c’est-à-dire la polémique suite à une blague où je traitais Benyamin Netanyahou (le premier ministre d’Israël au parti d’extrême-droite, ndlr) de nazi sans prépuce. Ce livre traite de deux choses : le traitement judiciaire avec ma convocation à la police judiciaire, pas le petit commissariat du coin, pour expliquer une blague à deux OPJ avec mon avocat.
Et la polémique médiatique car tout part de l’extrême-droite à travers CNews qui s’est emparé de cette blague pour expliquer en quoi elle est problématique. J’ai essayé de prendre du recul à travers cet ouvrage pour analyser comment l’extrême-droite impose ses thématiques dans le débat public puisque c’est devenu rapidement un sujet de discussion.
LR&LP : Effectivement, cette polémique médiatique s’est vite emparée des services publics d’information. Elle est remontée jusqu’à l’Assemblée nationale où un député RN s’est insurgé contre cette blague…
Guillaume Meurice : C’est même allé jusqu’à ce que Gérard Larcher, président du Sénat, n’accepte de venir à l’antenne de FranceInter qu’à la seule condition qu’il s’exprime d’abord sur mon cas et que sa demande soit acceptée sans aucun contradictoire. Qu’un homme de pouvoir s’en prenne publiquement à un salarié du service public en attente de jugement, c’est très problématique. Je livre plutôt un témoignage, je ne dis pas que j’ai la bonne vision mais je tenais à partager ma subjectivité.
LR&LP : Dans le livre, vous écrivez d’ailleurs « Je n’ai jamais caché mes opinions. C’est même le but de mon métier. Exposer un point de vue en essayant d’en rire et de faire rire. C’est une tentative éminemment subjective et assumée comme telle. Je n’ai aucun problème avec le fait que des gens ne soient pas d’accord avec moi. Fort heureusement, car beaucoup le sont souvent. »
Je pense qu’un point de vue artistique en général est subjectif. Quel que soit le degré auquel on pratique son art, du théâtre amateur au dessin d’enfant, cela reste un point de vue sur le monde.
Photo du spectacle « Meurice 2027 » – Crédit : Magali R.
LR&LP : Vous faites souvent le parallèle entre Charlie Hebdo et les dessins de Charb dans le livre. On vous avait refusé de diffuser un dessin de Charb pour des raisons de sécurité sur Canal+, ce qui vous avait conduit à démissionner pour des « raisons de foutage de gueule ». On voit qu’il y a un peu deux justifications sur la censure : soit cela va heurter des sensibilités politiques, soit cela menacerait la sécurité intérieure. Au final, les réactions médiatiques à ces tentatives de censure montrent-elles que l’humour est éminemment politique ?
Guillaume Meurice : C’est logique : c’est le fameux pas de vague qu’on retrouve à peu près partout. Les gens au pouvoir détestent les vagues car ils adorent maîtriser et gérer la population et ce qui s’y dit, et à plus large échelle comment rester au pouvoir. L’humour arrive dedans comme un chien dans un jeu de quilles car il est assez efficace pour désacraliser les choses. Or, le pouvoir et le dominant ont besoin de sacré pour dominer ; sinon les politiques ne sont que des êtres humains face à d’autres êtres humains.
Les politiques ont besoin de dire aux autres qu’ils leur sont supérieurs pour justifier leurs privilèges et les décisions qu’ils nous imposent. L’humour arrive et les remet face à leur condition humaine et au fait qu’on a le droit de se moquer d’eux. Cela revient un peu à tirer la barbe du Père Noël. Et ça les dominants n’aiment pas du tout. Cela peut expliquer en partie ce qui m’est arrivé et arrive malheureusement régulièrement. Je ne suis pas le premier humoriste concerné à FranceInter, il y a eu Stéphane Guillon et Didier Porte avant, etc.
J’assume mon point de vue, cela ne veut pas dire que je dis que j’ai raison sur tout ou que je cherche à convaincre. Souvent on me dit que je suis un humoriste militant, mais je ne crois même pas, c’est m’accorder beaucoup d’importance. Je suis juste un gars qui partage son point de vue en faisant des blagues. Je n’ai jamais bloqué personne sur les réseaux sociaux ou les commentaires. Pour moi, la subjectivité est la condition d’une pratique artistique saine.
Affiche du spectacle « Meurice 2027 » avec Guillaume Meurice et Julie DuquenoÿLR&LP : Vous dites d’ailleurs lors de votre entretien avec Adèle Van Reeth, la directrice de France Inter, « je lui explique l’importance de la satire politique dans une société qui se veut démocratique, la nécessité de l’outrance dans la pratique de cette discipline ». C’est justement cette outrance qui vous est reprochée dans la blague. Mais si on fait du politiquement correct, fait-on encore de l’humour ? ce n’est plus de la satire ?
Guillaume Meurice : Il faudrait s’entendre sur ce qu’est le politiquement correct car cette expression a beaucoup évolué et a été reprise par tout le monde jusqu’à la vider de son sens. Je n’ai jamais considéré l’humour comme un contre-pouvoir, par contre il peut être un bon thermomètre de l’état d’une société.
J’ai écrit un autre livre il y a quelques années nommé « Le roi n’avait pas ri » autour de Triboulet, le bouffon du roi au XVIe siècle, et à quel point cela permettait de tester le degré de magnanimité et d’auto-dérision du roi, la figure du pouvoir. Et je considère que les structures n’ont pas tellement évolué depuis.
Il y a toujours ce pouvoir très centralisé, très vertical, qui va du haut vers le bas, et les humoristes gravitent à l’intérieur de cela avec une position particulière. A l’intérieur d’une radio publique, le pouvoir nous autorisait à nous moquer de lui jusqu’à une certaine limite. J’ai toujours considéré que ma limite c’était la loi française, et pas en-deçà. Avec ce qu’il m’arrive aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a un dysfonctionnement puisque je n’ai enfreint aucune loi.
LR&LP : C’était d’ailleurs le sujet d’un de vos échanges avec Sibyle Veil, la présidente de Radio France, où vous lui rappeliez que vous n’enfreignez pas la loi.
Guillaume Meurice : Le procureur a classé les plaintes contre moi sans suite, c’est pour cela que je suis vraiment étonné par cette décision de renvoi. Comme ils n’ont pas grand chose à me reprocher, ils ont empilé plusieurs trucs abscons comme le « manque de loyauté », « instrumentalisation de l’antenne à des fins personnelles », « réitération des propos » ou « dénigrement de la direction ». J’ai comparé Sibyle Veil à une CPE mais pour moi ce n’est pas dénigrant du tout, le métier de CPE est tout à fait respectable.
LR&LP : Ce genre de polémique dit de notre société que l’extrême droite donne le ton de l’agenda médiatique et politique en France. Mais vous avez aussi reçu des soutiens inédits comme des journalistes du Figaro ou de personnalités de droite.
J’ai été agréablement surpris du soutien que j’ai pu recevoir, même de salariés de CNews qui ne me portent pas dans leur cœur mais considèrent que l’affaire va trop loin. Car il y a quelques personnes qui défendent aussi la liberté d’expression. C’est là où le clivage se crée entre eux et moi : je ne défends pas les blagues racistes, antisémites ou homophobes.
LR&LP : Vous avez d’ailleurs été accusé de faire une blague antisémite, d’où la polémique. De nombreux autres médias ou humoristes tiennent des propos très borderlines et ne sont jamais repris ne serait-ce que par leurs compères, des politiques, ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
On voit qu’il y a un deux poids / deux mesures assez spectaculaire, au vu et au su de tout le monde, mais personne ne réagit. Il y a une impunité assez incroyable. Zemmour va dire que Pétain a sauvé des juifs, et pas de soucis, on le laisse dérouler son discours partout où il veut. Des fois un historien va lui taper sur les doigts mais au final tout le monde s’en fout et il continue.
Cette polémique parle d’une accusation d’antisémitisme mais je trouve cette accusation antisémite. Dans mon sketch, je mentionne uniquement Benyamin Netanyahou et d’un coup on m’a reproché de parler de tous les juifs. Ce qui revient à tous les assimiler à Netanyahou ce que je trouve très essentialisant et donc très raciste. Cela m’a toujours interloqué car je n’ai jamais parlé des juifs. Surtout que le parti de Netanyahou est un parti complètement assumé d’extrême droite.
LR&LP : Quand vous en avez parlé à la direction de RadioFrance, du fait que le tribunal avait reconnu que votre blague n’était pas antisémite, qu’ont-ils dit ?
Guillaume Meurice : Eux se basent sur le rapport qu’ils ont à l’ARCOM avec des termes flous « on défend tous les droits des humoristes mais ». L’ARCOM a été saisi en novembre pour la blague mais on me reproche d’avoir réitéré mes propos. Or, on ne peut pas refaire une blague dont le principe est la surprise. Je l’ai juste citée comme quelque chose faisant partie d’actualité, et comme les médias citent sans arrêt les propos d’autres personnes. On rappelle que l’information c’est beaucoup de punchlines et de propos polémiques qu’on répète en écho de partout.
Ils se sont appuyés sur le cahier des charges, un document qui lie RadioFrance à ses obligations dans lequel un article dit qu’on ne doit pas causer des torts à des tiers, donc les auditeurs sont des tiers. C’est donc une porte qu’ils ouvrent à travers laquelle peut s’engouffrer tout un tas de procédures…
LR&LP : Des membres de RadioFrance et des syndicats avaient aussi lancé une grève, pas seulement pour vous défendre mais aussi pour protester de la purge des émissions écologiques et sociales suite à la réforme de l’audiovisuel public. On a déjà pu le ressentir en tant qu’auditeur : à un moment où on allumait la radio publique où il n’y avait plus que de la musique, mais du coup où va être la place de l’information sur la radio publique ? Et surtout la place de l’humour sur la Radio Publique ?
Guillaume Meurice : La genèse de tout ça, c’est la fin de la redevance qui est passée un peu inaperçue car la radio publique est toujours financée par l’argent du contribuable dans l’esprit du grand public. Sauf que la redevance était une somme sanctuarisée pour la radio publique et qu’elle est passée dans le budget général. Cela veut dire que si Marine Le Pen arrive au pouvoir elle peut en effacer la ligne en un trait de crayon et donc supprimer tout simplement la radio publique. On est en train de livrer les clés du pays à l’extrême droite.
Résultat, ils cherchent à fusionner les différents postes pour faire des économies. On nous a demandé de faire la même émission du “Grand dimanche soir” avec 30% de budget en moins. Mais c’est impossible pour nous.
Il y avait déjà une fébrilité des directeurs de la radio publique par rapport au pouvoir, mais leur soumission est maintenant encore plus affirmée. Le pouvoir a la main sur l’information publique. Les directeurs ont tellement peur pour leur place qu’ils vont se mettre au diapason du pouvoir, et ce que le pouvoir n’apprécie pas c’est l’investigation et l’humour.
On l’a vu quand Bolloré a racheté Canal+, il a commencé par supprimer l’investigation puis il a continué par les Guignols. Ce sont souvent les deux indicateurs de la mainmise d’un pouvoir autoritaire sur un média et c’est exactement ce qu’il est en train de se passer à RadioFrance. Et ce n’est pas n’importe quel type d’humour qui dégage, c’est l’humour satirique qui est pourtant une tradition française. Je croyais que la droite aimait bien les traditions mais visiblement pas toutes.
Je ne suis pas inquiet pour mon cas personnel mais plutôt pour les jeunes générations. Je me suis formé à travers les Guignols de l’Info, Charlie Hebdo ou les révélations du Canard Enchaîné, Groland, etc. J’étais impressionné par la liberté de ton qu’ils possédaient mais aujourd’hui les espaces se réduisent énormément.
Il reste Internet, mais Internet est géré par les GAFAM qui possèderont toujours le pouvoir de supprimer ton compte du jour au lendemain. Et là, ça se fait en un clic et il n’y a pas de recours juridique possible.
« Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. » A. Einstein Éric Lagadec (Astrophysicien / Enseignant-chercheur) et Guillaume Meurice (spécialiste autoproclamé de la connerie, auteur de conneries lui-même) proposent un voyage à travers ces deux infinis.LR&LP : Cela peut même être beaucoup plus insidieux avec les algorithmes. C’est assumé par Mark Zuckerberg depuis 2021, les contenus jugés politiques sont invisibilisés. C’est donc aux gens de faire le choix d’aller voir ces contenus et pas juste de scroller sur leur fil d’actualité. Puisqu’on parle d’espaces et de lieux d’expression libre, vous avez deux spectacles en ce moment : les théâtres deviennent-ils le bastion de la liberté d’expression en France ?
Il y a “Meurice 2027”, qui va bientôt se finir, et “Vers l’infini…” avec l’astrophysicien Éric Lagadec. La scène a toujours été l’espace de liberté ultime avec des contraintes quand même car les scènes appartiennent de plus en plus, notamment à Paris, à des financiers. J’ai un producteur de gauche (si, si, ça existe) et on ne veut pas jouer dans des salles qui appartiennent ni à Bolloré, ni à Lagardère : bon c’est la même chose, mais non plus Charrière, Jean-Marc Dumontet, etc. Paris est donc très vite limité, l’Olympia appartient par exemple à Bolloré.
Une fois sur scène, les flics ne vont pas venir nous censurer mais pour y accéder c’est compliqué financièrement. Et puis c’est ambivalent de dénoncer un modèle économique dans des endroits qui appartiennent aux profiteurs de ce modèle.
L’autre particularité, c’est qu’on s’adresse à des gens qui nous connaissent déjà dans une salle de spectacle. Quand on fait des chroniques à la radio, on peut tomber dans l’oreille de gens qui ne nous connaissent pas, qui sont un peu interloqués. Peut-être que ça va leur plaire ou pas, mais cela a l’avantage de créer plus de débat public que dans un endroit où les gens sont d’accord avec toi.
Photo du spectacle « Meurice 2027 » – Crédit : Magali R.LR&LP : Finalement, sommes-nous en train de faire disparaître le pluralisme d’opinions sur le service public ?
Guillaume Meurice : Oui, mais pas n’importe lequel. Le pluralisme d’opinions de gauche. Ce qu’on est en train de censurer ce sont des gens qui disent qu’il faut redistribuer les richesses, de l’égalité femmes / hommes, de moins détruire la planète… ce sont des bisounours, et on est en train de lancer les bazookas contre des bisounours.
Pour moi, le parallèle qui tend à opposer l’extrême gauche et l’extrême droite est une fumisterie assez hallucinante. On a des gens qui veulent laisser mourir des humains dans la Méditerranée d’un côté, et d’autres qui disent que comme ce sont des humains il faudrait les sauver de l’autre, cela n’a rien à voir.
LR&LP : C’est d’ailleurs un constat que l’on retrouve dans votre livre où vous écrivez : « Le wokisme, terreur de celles et ceux qui s’agrippent à leurs privilèges comme à des bouées de sauvetage, a depuis un moment remplacé l’insulte “droitdelhommiste” dans le débat politique. Quant à l’islamo-gauchisme, sa résonance avec les accusations de judéobolchévisme d’un autre temps ne semble même plus étonner ». A quel moment cela a-t-il pu être une insulte que de vouloir défendre les droits de l’homme ?
C’est effectivement choquant et le premier dont je me souvienne à l’avoir utilisé c’est Alain Finkielkraut, puis il y a eu islamogauchiste, passé de mode assez rapidement mais wokiste a bien fédéré. Comme cela vient des Etats-Unis et qu’on les déteste, cela a créé une cible idéale dans l’imaginaire politique. MacDonalds, malbouffe, tout est lié (rires).
Je trouve assez intéressant que ces gens aient peur de ça : de l’égalité des droits de tout le monde. Il faut vraiment être faible sur ses appuis pour en avoir peur. Je sais qu’ils sont faibles, qu’ils sont violents parce qu’ils sont faibles donc ils sont brutaux. Les répressions policières et le pouvoir qui panique sont une marque de faiblesse. Cela me donne l’espoir qu’il est possible de changer les choses.
J’aime l’idée de montrer leur brutalité car leur vitrine est le dialogue et la bienveillance, alors qu’ils décident toujours de tout sans nous concerter. Et la réalité, ce sont des flash-balls dans la tête des manifestants. Mais ils ne sont pas intéressés par la réalité car dans la leur, tout va bien. Ils sont tellement déconnectés des préoccupations quotidiennes des gens que cela va bien finir par leur retomber dessus.
Laurie Debove
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