La répression
de la désobéissance civile
se généralise
Ces derniers mois, plusieurs préfets ont exercé des pressions sur des associations écologistes au motif qu’elles inciteraient à la désobéissance civile, violant ainsi le contrat d’engagement républicain instauré par la loi « séparatisme ». Ces décisions répondent à une circulaire envoyée à toutes les préfectures en octobre 2022.
13 janvier 2023 à 19h19
Au cœur de celle-ci, le contrat d’engagement républicain (CER), que toute association doit signer depuis le 3 janvier 2022, au risque de se voir retirer ses subventions ou son agrément lui permettant d’agir en justice, et que les préfets utilisent pour sanctionner la « désobéissance civile » des associations.
Le premier cas d’application de la loi « séparatisme » au milieu associatif est intervenu au mois de septembre dernier. Comme l’avait raconté Mediapart, le préfet de la Vienne, Jean-Marie Girier, s’était alors ému de la tenue d’un « atelier de désobéissance civile » lors de la manifestation « Village des alternatives » organisée à Poitiers par l’association écologiste Alternatiba
Le représentant de l’État avait écrit à la mairie et à la communauté d’agglomération pour leur demander, comme le prévoit le CER en cas de violation, le remboursement de la partie des subventions correspondant à l’organisation de ces ateliers qu’elles avaient versées à Alternatiba.
« La loi dit que toute association subventionnée doit respecter un contrat d’engagement républicain et ne doit “entreprendre ni inciter aucune action manifestement contraire à la loi”, expliquait alors à Mediapart Jean-Marie Girier. Or il me semble que c’est la définition même de la désobéissance civile. »
La municipalité avait refusé d’accéder à la demande du préfet, lequel a depuis saisi le tribunal administratif qui devra dire si la désobéissance civile est compatible avec le CER. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, s’était à cette occasion positionné sur la question en apportant son soutien au préfet de la Vienne. « La République, ce n’est pas n’importe quoi, n’importe où, avec l’argent public », avait-il affirmé le mardi 20 septembre lors d’une audition à l’Assemblée nationale.
Au mois de décembre dernier, Mediapart révélait qu’un représentant de la préfecture de Corrèze avait annoncé, lors d’une réunion avec le monde associatif de la région, avoir supprimé les subventions de cinq associations qui « relevaient de mouvances radicales et ne remplissaient pas les conditions du contrat d’engagement républicain ».
Interrogée par Mediapart, la préfecture de Corrèze avait démenti, assurant que cette décision n’avait « aucun lien avec le CER » et que les subventions n’avaient pas été accordées à ces cinq projets « en raison uniquement de leur moindre intérêt ».
Enfin, au début du mois de janvier, La Voix du Nord a médiatisé le cas de la Maison régionale de l’environnement et des solidarités (MRES) de Lille, dont les représentants ont été convoqués, le 9 décembre dernier, à la préfecture pour un rappel à l’ordre après avoir prêté une salle à une association.
Dans un communiqué, la préfecture des Hauts-de-France affirme avoir été alertée « par un reportage sur une chaîne télévisée d’information en continu relayant une rencontre organisée dans les locaux de la MRES de Lille en octobre 2022, au cours de laquelle des temps d’actions de désobéissance civile étaient prévus ».
Il s’avère, comme le soulignait déjà La Voix du Nord, que la préfecture a en réalité été alertée par un courrier envoyé par la Région, présidée par Xavier Bertrand, avec qui les associations écologistes locales sont justement en conflit en raison d’un projet d’extension de l’aéroport de Lille-Lesquin.
Un courrier a été exposé aux représentants de la MRES lors de leur convocation à la préfecture. « C’est bien la Région qui saisit le préfet Leclerc en disant que quelqu’un a vu un journaliste de BFMTV citant le mot de désobéissance civile », explique à Mediapart Xavier Galand, directeur de la MRES. Celui-ci précise par ailleurs que, dans le reportage incriminé, l’expression « désobéissance civile » « n’a été prononcée à aucun moment par les personnes interrogées dans le reportage », mais uniquement par le journaliste.
De plus, l’association organisatrice du colloque hébergé par la MRES n’est autre que le collectif Nada, pour « Non à l’agrandissement de l’aéroport de Lille-Lesquin ». « Il y aujourd’hui une forte mobilisation des élus, des habitants survoltés et des associations qui font part de leur opposition et estent en justice contre ce projet d’extension, explique Xavier Galand. De nombreuses communes de la métropole lilloise se sont prononcées contre, et plusieurs ont refusé de délivrer le permis de construire. Mais M. Bertrand préfère avoir dans son viseur ce qu’il considère être des trublions. »
Sollicité par Mediapart, le président de la Région n’a pas souhaité répondre à nos questions. Également contactée, la préfecture des Hauts-de-France a répondu par un message qui se contente de reprendre, quasiment mot pour mot, son communiqué publié le 4 janvier dernier.
Xavier GalandNous hébergeons plusieurs milliers de réunions par an avec plusieurs centaines d’associations.
L’épisode n’a pour l’instant pas eu de conséquence pour la MRES. Lors de la convocation, Xavier Galand explique avoir été reçu par « le secrétaire général des affaires régionales adjoint » à qui il a exposé ses arguments, notamment le fait que la MRES était un lieu d’accueil des associations et non l’organisatrice des réunions.
« Nous hébergeons plusieurs milliers de réunions par an avec plusieurs centaines d’associations », précise Xavier Galand. « Quand le secrétaire général des affaires régionales a regardé la situation, il a bien vu que notre action ne pose pas de problème », affirme-t-il
La préfecture a ensuite envoyé un courrier à la MRES, dont les principaux passages sont repris dans le communiqué diffusé début janvier. Elle y prend « acte » des explications avancées « tout en incitant la MRES à faire montre de vigilance pour l’avenir, s’agissant des événements organisés dans ses murs ».
Le préfet Georges-François Leclerc en profite cependant pour donner son interprétation de la compatibilité de la désobéissance civile avec le CER. Les « incitations à la désobéissance civile s’apparentent à un trouble à l’ordre public », affirme-t-il avant d’avertir qu’« une association qui ne respecterait pas son contrat d’engagement républicain ne saurait bénéficier de subventions de l’État ».
La circulaire du 10 octobre envoyée à toutes les préfectures.
Et il y a fort à parier que ce type de pressions et de remises en cause des subventions des associations correspond bien à une directive nationale. Le 10 octobre dernier, le ministère de l’intérieur a en effet envoyé une circulaire à l’ensemble des préfectures, que Mediapart s’est procurée (Retrouvez l’intégralité du document dans l’onglet Prolonger), et détaillant les modalités d’application du CER.
Le document donne notamment des exemples concrets dans un chapitre intitulé « Dans quelles hypothèses peut-on considérer que le contrat d’engagement républicain (CER) n’est pas respecté ? ». Et les associations écologistes sont bien visées. La circulaire cite en effet comme exemple d’« atteinte à l’ordre public », « le cas d’une association locale de défense de l’environnement créée pour s’opposer à l’implantation d’un site de stockage de déchets radioactifs, dès lors qu’elle a organisé à cette fin des actions violentes, comme la destruction de matériels ou la mise à sac de locaux administratifs ».
Mais, comme le souligne Laura Monnier, juriste à Greenpeace, cette circulaire pourrait bien se retourner contre le gouvernement, notamment dans le cadre de la procédure intentée par le préfet de la Vienne, et à laquelle l’association devrait bientôt se joindre.
« Ça ne tient absolument pas. Ils vont droit dans le mur », assène Laura Monnier. « Quand on regarde dans la circulaire les types d’actions violant le CER, il s’agit d’actes délictuels très graves, proches des actes de terrorisme. Dans le cadre de formation à la désobéissance civile, on en est très loin. »
La circulaire appelle bien à sanctionner le fait « d’entreprendre ou d’inciter à toute action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ». Mais lorsqu’elle détaille juste après, « à titre d’illustration », les faits constitutifs d’un trouble grave à l’ordre public, on peine à trouver un lien avec la notion de désobéissance civile, par essence non violente.
Le CER doit être concilié « avec les libertés constitutionnellement reconnues ».
Le texte évoque en effet la provocation « à des manifestations armées ou à des agissements violents », la constitution « d’une milice privée », le fait de « porter atteinte à l’intégrité du territoire », la « collaboration avec l’ennemi », la provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence » ou encore à « des actes de terrorisme ».
Par ailleurs, la circulaire précise bien que « l’ensemble des principes déclinés dans le CER doivent [...] être conciliés, dans leur appréciation, avec les libertés constitutionnellement reconnues, notamment la liberté d’association et la liberté d’expression dont découle la liberté de se réunir, de manifester et de créer une association ».
Laura Monnier souligne également que, même si la justice ne s’est jamais penchée sur la notion de désobéissance civile en tant que telle, plusieurs décisions françaises et européennes en ont validé le principe. « Il y a une jurisprudence autour de la liberté d’expression et l’utilisation d’actes illégaux dans ce cadre, explique la juriste. Ceux-ci sont acceptés à deux conditions. Il faut tout d’abord qu’il y ait une proportionnalité de l’action menée. On ne peut donc pas tout faire, mais on peut bien aller au-delà de la simple expression de son opinion. Le second critère est celui de la contribution à l’intérêt général. »
Et, pointe Laura Monnier, cet intérêt général en manière de lutte pour l’environnement est évident. « Il y a une prise de conscience de l’inaction du gouvernement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Il a d’ailleurs été condamné par la justice à plusieurs reprises. »
Laura MonnierLes militants environnementaux sont de plus en plus considérés comme des ennemis de la République.
La juriste souligne également que cette offensive sur le terrain du CER s’inscrit dans une offensive plus large contre les actions de désobéissance civile, particulièrement prisée par les associations écologistes. Cette répression a d’ailleurs récemment fait l’objet d’un rapport commandé par Greenpeace à l’école de droit de Sciences Po.
« Les militants environnementaux sont de plus en plus considérés comme des ennemis de la République, affirme Laura Monnier. Désormais, dès que l’on organise une manifestation, il y a systématiquement des amendes et des personnes placées en garde à vue. Certains en sont arrivés à considérer que ça fait partie du jeu. Mais nous ne nous laissons pas faire. Nous avons déjà contesté une centaine d’amendes, et nous contestons de plus en plus systématiquement les gardes à vue. »
L’ensemble du monde associatif semble être en train de se mobiliser contre cette répression de la désobéissance civile. Au mois de mars 2022, un collectif de 25 associations a déjà déposé un recours devant le Conseil d’État contre le décret d’application de la loi « séparatisme » du 31 décembre 2021, dans lequel est inscrit le CER.
Concernant les poursuites lancées à Poitiers, plusieurs associations ont décidé de soutenir Alternatiba, parmi lesquelles la Ligue des droits de l’homme. Et le 3 janvier, le Collectif des associations citoyennes (CAC) a décidé de se joindre également à la procédure.
« Les gens ne comptent pas se laisser faire, quitte à aller dans toutes les batailles juridiques nécessaires, abonde Xavier Galand. Nous ne sommes pas tout seuls. Nous avons des liens au niveau national avec d’autres associations, avec le CAC. » Concernant ses futurs rapports avec la préfecture, le directeur de la MRES assure : « Notre position est de réaffirmer ce que nous sommes. Nous ne nous renierons pas. »
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