Le gouvernement plombe
toute véritable transition
écologique
en soutenant massivement
le très décrié label HVE
Les aliments estampillés « haute valeur environnementale » (HVE) ne
garantissent aucunement l’absence de pesticides mais bénéficient de
subventions publiques massives et sont de plus en plus présents dans les
cantines scolaires.
L’argent public est-il correctement et efficacement dépensé pour favoriser la transition écologique dans l’agriculture, et enfin mettre un terme à la pollution massive des sols et des eaux par les pesticides ? La politique actuelle en la matière laisse... perplexe. Loïc Madeline est producteur bio en polyculture-élevage en Normandie. Il ne recourt donc pas aux produits chimiques de synthèse. Il milite également à la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) où il suit les questions relatives à la politique agricole commune (PAC). Il bataille depuis des mois pour que les agricultrices et agriculteurs en bio soient rémunérés pour les services environnementaux qu’ils rendent en n’épandant pas de produits toxiques. Ils et elles contribuent ainsi à ne pas dégrader la qualité de l’eau ou la biodiversité, ni à faire proliférer les algues vertes. Soutenir ces pratiques vertueuses était « une promesse d’Emmanuel Macron quand il s’est fait élire en 2017 », rappelle l’agriculteur.
L’enveloppe promise est finalement restée lettre morte. « À la place, ils ont proposé que la bio perçoive des aides de la PAC dans le cadre des écorégimes [les financements qui visent à accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique, ndlr], à la même hauteur que la HVE », la certification dite « haute valeur environnementale », créée en France en 2011. Or, cette certification est vivement critiquée pour son opacité et son inutilité. Exploitations bio comme HVE auraient donc reçu 80 euros par hectare, malgré des pratiques et des efforts très différents en matière de préservation de l’environnement et de non-pollution.
« C’était scandaleux ! Le gouvernement nous avait toujours dit que nous ne serions pas au même niveau que la HVE », juge Loïc Madeline. Un bras de fer s’engage alors. Le gouvernement finit par concéder cet été la création d’un échelon supérieur d’aides pour la bio. « On revient de loin, car la FNSEA (le syndicat majoritaire) voulait 1 euro symbolique de différence entre le HVE et la bio ! On a obtenu 30 euros de plus à l’hectare – soit 110 euros par hectare –, mais cette différence est loin d’être suffisante. Jamais on n’aurait imaginé que la HVE puisse concurrencer notre certification bio. »
« Une subvention néfaste pour la biodiversité »
La concurrence du HVE vis-à-vis de la bio est étayée par un rapport de la Cour des comptes publié en juin dernier [1]. « Alors que cette démarche est, en l’état actuel de son cahier des charges, bien moins exigeante que l’agriculture biologique, le ministère chargé de l’Agriculture la soutient fortement », écrit la Cour, rappelant qu’un crédit d’impôts de 2500 euros a été accordé en 2021 aux agriculteurs certifiés HVE, un niveau quasi équivalent à celui des exploitations bio. La Cour ajoute que ces « mesures de soutien public confortent une mise en équivalence avec l’agriculture biologique ». Les cahiers des charges n’ont pourtant rien à voir (lire notre enquête).
Face à la colère des agricultrices et agriculteurs bio, le gouvernement finit par leur accorder un bonus, faisant passer le crédit d’impôt pour la bio de 3500 à 4500 euros à compter de 2023. Il maintient cependant le crédit d’impôt pour la HVE, malgré la montée au créneau de sept organisations qui demandaient sa suppression [2]. « Le crédit d’impôt qui lui est accordé représente une subvention néfaste pour la biodiversité, allant même jusqu’à concurrencer les initiatives paysannes réellement bénéfiques à l’environnement, comme l’agriculture biologique », précisaient-elles dans leur courrier. « Pour rappel, il est toujours possible d’être certifié HVE en utilisant des pesticides dangereux. Utiliser le budget de l’État pour soutenir une labellisation qui ne garantit aucune amélioration concrète des systèmes de production ne fait que retarder davantage la nécessaire adaptation des paysan·nes aux nouvelles conditions climatiques et environnementales. »
Le label HVE tend à se substituer au bio dans la restauration collective
Le HVE bénéficie d’une autre mesure publique d’incitation : la possibilité d’approvisionner les cantines publiques. La loi Egalim adoptée en 2018, prévoit l’introduction de 50 % de produits labellisés dans les cantines. Malgré le fait qu’elle autorise l’épandage de produits cancérogènes, la certification HVE en fait partie. Un rapport d’évaluation de cette loi salue même « l’organisation de nouvelles filières d’approvisionnement, notamment pour les produits HVE » [3].
Dans le même temps, l’objectif de 20 % de produits biologiques en restauration publique fixé depuis dix ans est loin d’être atteint : il plafonne à environ 5 à 6 %, sans aucune sanction à la clé. « Le levier de la commande publique est essentiel pour assurer des débouchés aux produits bio, surtout en période de ralentissement de la demande, pour structurer des filières d’alimentation saine et aussi pour modifier les comportements alimentaires, notamment des plus jeunes fréquentant les cantines scolaires », souligne la Cour des comptes. « Or, ce levier reste insuffisamment utilisé, contrairement à d’autres pays comme le Danemark ou l’Italie. » Ce manque d’incitation des pouvoirs publics a un effet direct, soulevé dans le rapport de la Cour : « La restauration collective, à défaut de pouvoir acheter du bio, mise sur les produits HVE ».
« On a vraiment peur que le HVE se substitue à terme au bio dans la restauration collective » alerte Loïc Madeline. « Ce n’est pas légitime, car le HVE n’est pas un label européen. » En effet, le label AB (Agriculture biologique) est un signe officiel de qualité encadré par une réglementation européenne et contrôlé par des organismes indépendants. « Haute valeur environnementale » est une simple mention valorisante, utilisée uniquement en France. La certification HVE, qui aurait dû être confiée à l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao), en charge notamment du contrôle du « Label rouge » ou des appellations d’origine contrôlées (AOC). Cette distorsion de concurrence entre les producteurs AB et HVE pourrait être contestée devant les juridictions européennes, laisse entendre la Fédération nationale de l’agriculture biologique [4]
Une mise en équivalence « trompeuse » du bio et la HVE
On compte actuellement 58 000 fermes en bio contre 25 000 dite « haute valeur environnementale », percevant donc des subventions publiques quasiment à hauteur du bio. La dynamique actuelle est clairement en faveur de la seconde. Le nombre d’exploitations agricoles certifiées HVE a ainsi progressé de 73 % en un an (+ 10 500 exploitations environ). Le gouvernement dépasse ainsi ses objectifs puisqu’il visait 15 000 exploitations HVE en 2022, et compte atteindre les 50 000 d’ici 2030.
À l’inverse, les objectifs de transition vers l’agriculture biologique – qui, contrairement au HVE, interdit le recours aux pesticides sur les aliments ou aux engrais pétrochimiques – sont loin d’être atteints : les surfaces bio dépassent tout juste les 10 % alors que l’objectif était de 15 %. Bien que la Commission européenne fixe l’objectif de 25 % de surfaces agricoles bio d’ici 2030, le gouvernement en reste à 18 % en 2027. La Cour des comptes voit là un « manque d’ambitions sur la conversion et les moyens à mettre en œuvre pour passer de la surface en bio », bien éloigné des objectifs de croissance exponentielle de la HVE consignés dans le plan Biodiversité de juillet 2018 dont voici un extrait :
Nous renforcerons le développement de toutes les démarches de progrès s’inscrivant dans l’agroécologie, dont notamment l’Agriculture biologique, la certification Haute Valeur environnementale, les fermes Dephy. Toutes ces démarches contribuent à la prise en compte et à la préservation de la biodiversité.
Les fermes Dephy sont, elles aussi, censées réduire leur utilisation des pesticides, sans pour autant les bannir... Pour la Cour des comptes, cet extrait « accrédite une mise en équivalence trompeuse [de la HVE] avec l’agriculture bio ». En plaçant la mention HVE et le label AB au même niveau, tant dans ses mesures d’aides que dans son discours, le soutien du ministère de l’Agriculture à la certification HVE serait problématique à deux titres. « D’une part, le développement de la certification HVE se fait désormais au détriment du label AB », estime la Cour. D’autre part, il s’agit d’une promesse faite au consommateur, dont le caractère illusoire est dénoncé par diverses associations de consommateurs et environnementales. »
La HVE contribue au ralentissement de la demande en bio
Cette forte montée en puissance de la mention HVE depuis trois ans, contribue selon la Cour des comptes à expliquer le ralentissement de la demande de certains produits bio. Bien des acteurs de l’agroalimentaire y trouvent leur compte. Les producteurs n’ont pas à changer de modèle de production, bénéficient de coûts de production moindres qu’en bio et de rendements proches du conventionnel avec un prix de vente un peu plus élevé tout en percevant des aides. Les transformateurs comme les distributeurs accroissent leur marge sur les produits HVE. Quant à la restauration collective, elle se replie sur ces produits.
Une phrase de la Cour des comptes résume parfaitement la situation : « L’objectif initial [de la HVE] d’accompagner les agriculteurs dans un changement progressif vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement semble avoir été remplacé par celui de procurer au plus grand nombre possible d’exploitations agricoles des revenus supplémentaires ». Autrement dit, la mention HVE permet aux exploitations certifiées de dégager un meilleur revenu sans nécessairement changer de pratique, tout en continuant de bénéficier d’une image vertueuse. Les enseignes de grande distribution continuent ainsi de faire massivement la promotion de la HVE sur ses bienfaits environnementaux, comme en atteste cette capture d’écran :
En mai dernier, la FNAB tirait le bilan du premier mandat d’Emmanuel Macron, le considérant comme le « pire quinquennat pour le développement de la bio », et regrettant la suppression de l’aide au maintien de la bio en 2017. Cette suppression était demandée par la FNSEA, considérant qu’il revenait au marché de prendre le relais [5]. « Le syndicat majoritaire agricole n’a jamais considéré la bio comme une alternative, mais comme quelque chose de marginal, observe Loïc Madeline. Il s’est toujours concentré sur le modèle productiviste exportateur qui, au passage, ruine les économies du Sud. Il a aussi pesé sur le ministère et les instances agricoles, ça s’est vu dans les décisions politiques. Aujourd’hui, le marché bio se tasse alors que l’agriculture conventionnelle se renforce. La France perçoit pourtant 9 milliards d’aides de la PAC sur les 50 milliards, on pourrait insuffler une dynamique pour la bio. Ce n’est malheureusement pas l’option choisie. »
Sophie Chapelle
[2] La Confédération paysanne, France Nature Environnement, le Réseau CIVAM, Humanité et Biodiversité, Générations futures, Agir pour l’environnement et la FNAB
[3] Voir la page 74 du rapport d’évaluation de la loi Egalim
[5] Lire à ce sujet cet article publié dans Le Monde en septembre 2017 (accès libre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire