Contre les mégabassines,
« nous sommes condamnés à agir »
7 janvier 2023
© Laury-Anne Cholez / Reporterre |
Cinq personnes ont été condamnées pour des faits de dégradations et de violences envers les gendarmes, commis durant la manifestation contre la mégabassine de Mauzé, dans les Deux-Sèvres. Parmi elles, Thomas, paysan-boulanger.
Niort (Deux-Sèvres), reportage
Avec un peu de chance, on aurait pu apercevoir des chevreuils sautillants dans le chemin plongé dans les ténèbres. Mais ce soir-là, ils sont restés cachés dans les prés entourant la ferme où vit Thomas, dans les Deux-Sèvres. Seuls deux yeux brillants d’un renard ont jailli de la nuit, éclairés par les phares de sa voiture. Les terres bordant l’exploitation familiale sont une réserve de chasse, véritable refuge pour la faune de la région. Un territoire aujourd’hui célèbre pour sa lutte contre les projets de mégabassines, ces contestés réservoirs d’eau dédiés à l’agriculture industrielle. Thomas fait partie des opposants historiques. Le jeune paysan boulanger a participé aux nombreuses manifestations, dont celle de Mauzé-sur-le-Mignon en septembre 2021. À l’époque, il avait versé du son de blé [1] dans le réservoir hydraulique d’un engin du chantier.
Accusé de dégradation de bien d’autrui, il a comparu au tribunal correctionnel de Niort (Deux-Sèvres), vendredi 6 janvier. À ses côtés, quatre autres militants — dont deux agriculteurs — accusés de dégradations et de violences envers les gendarmes. Leurs avocats ont plaidé la désobéissance civile et l’état de nécessité. Des arguments balayés par la procureure de Niort. « Évidemment, il y a une urgence climatique. Quand il fait 15 °C un 6 janvier, on voit qu’il y a un problème. Mais cette urgence ne peut pas justifier des actes de violence à l’encontre d’autres êtres humains. »
Le visage grave, les cheveux bruns ramassés en chignon, Thomas a été le seul des cinq prévenus à prendre la parole durant l’audience pour expliquer son acte. « Tant que les principes de base du vivant ne sont pas pris en considération, rien ne changera notre détermination. Nous sommes condamnés à agir, » a-t-il déclaré dans un émouvant plaidoyer contre les mégabassines.
« Il s’agit d’une captation d’eau potable au profit d’une minorité »
Passionné d’ornithologie, Thomas, 32 ans, est originaire du Pays basque. Pendant une dizaine d’années, il a bourlingué dans toute la France comme éducateur à la nature, avant d’être embauché par la réserve naturelle nationale du marais de Lavours (Ain). En parallèle, il s’est formé au maraîchage dans la ferme où il vit aujourd’hui, celle de la famille de sa compagne, Agathe. Des terres cultivées depuis six générations. En 2010, son beau-père, Fabrice, a décidé de convertir l’exploitation à l’agriculture biologique, après des décennies de conventionnel. « À l’époque, les bidons de produits chimiques s’entassaient dans la cour », se souvient Simon, le frère d’Agathe et beau-frère de Thomas. « Mon père sentait bien qu’il arrivait au bout du système. D’autant qu’il aurait fallu remettre la ferme aux normes et prendre de lourds crédits. Il a décidé de passer en bio pour devenir autonome. » Après cette transformation, la ferme a réduit sa consommation d’eau de 60 % et fait désormais travailler six personnes. Ils cultivent des céréales qui résistent mieux au stress hydrique et produisent des légumes qu’ils vendent en direct. « Bien sûr, il nous faut de l’eau pour le maraîchage et nous ne sommes pas opposés aux réserves. Mais il faut repenser la façon de les faire », poursuit Simon.
La ferme est adhérente à la Coop de l’eau, l’organisme qui porte les projets de bassines et qui répartit les quotas d’irrigation entre les agriculteurs de la région. Une dépendance douloureuse pour Agnès, la belle-mère de Thomas. « Nous sommes pris en otages car si nous quittons la Coop, nous n’aurons plus d’eau et ne pourrons plus faire de maraîchage. Mais nous ne serons jamais raccordés aux bassines. D’ailleurs, nous ne le voudrions pas. » En effet, ces réservoirs ne seront raccordés qu’à seulement 6 à 8 % des exploitations agricoles. « Il s’agit d’une captation d’eau potable au profit d’une minorité », a plaidé maître Lise-Marie Muchaud, l’avocate de la défense.
Agathe, la compagne de Thomas, est venue le soutenir à l’audience. « Cette répression va très loin par rapport à la “bêtise” de Thomas. Cela m’inquiète, car je n’ai pas envie de passer ma vie au tribunal et je me demande quelles proportions tout cela va prendre. » Elle se rappelle encore ce petit matin d’octobre 2021, où huit gendarmes armés jusqu’aux dents ont cueilli son compagnon au réveil pour l’embarquer menotté. « C’est arrivé très vite, c’est seulement lorsqu’ils sont partis que j’ai réalisé qu’on aurait pu essayer de se défendre plutôt que de les laisser prendre tous les ordinateurs, disque dur et clés USB de la maison. » Thomas a passé une journée en garde à vue à la gendarmerie. « Les policiers m’ont dit qu’il avaient reçu des ordres du préfet comme quoi c’était un dossier prioritaire. Mais cela les emmerdait de s’occuper d’un gars comme moi. Ils avaient autre chose à faire. » Il dénonce une débauche de moyens, de temps et d’énergie pour criminaliser les opposants aux bassines. « Je préférerais que tout cet argent soit mis au service de la lutte contre le réchauffement climatique ou la préservation de la biodiversité. Car, à part stigmatiser et couper court au débat, je ne vois pas à quoi tout cela sert. »
Après une longue audience, qui a duré jusqu’à 20 heures, le tribunal a rendu sa décision. Thomas a été condamné à deux mois de prison avec sursis simple ainsi qu’une interdiction de se rendre sur le territoire de Mauzé et de Sainte-Soline avec exécution provisoire. Les autres prévenus ont été condamnés entre quatre et six mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, des interdictions de paraître dans les Deux-Sèvres ou à Mauzé et Sainte-Soline ainsi que des amendes pour refus de prélèvement d’ADN. Seul un d’entre eux a été relaxé. À cette annonce, la foule a laissé éclater sa colère. Les avocats de la défense ont annoncé faire appel. « Ce que je retiens de ce procès, c’est que l’avocat de la Coop de l’eau a été malhonnête en détaillant les effets bénéfiques des bassines pour l’environnement alors que c’est un mensonge. » Dans un communiqué, la Confédération paysanne a dénoncé des peines très sévères : « La justice est instrumentalisée pour criminaliser, décrédibiliser et intimider une mobilisation qui ne cesse de grandir et de s’élargir. Pour autant, notre détermination à œuvrer pour la protection et le partage de l’eau reste entière. La manifestation du 25 mars, à laquelle nous prendrons toute notre part, en fera la démonstration. »
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