Implants Essure :
un sinistre sanitaire national
Empoisonnées
par les implants de stérilisation Essure, puis méprisées par les
responsables de ce désastre sanitaire, des victimes se sont groupées
pour assigner le laboratoire Bayer, l’État ainsi que certains médecins
et hôpitaux devant les tribunaux. Par ailleurs, lundi 16 janvier sera
rendu le jugement concernant une centaine de plaintes pour préjudice
d’anxiété déposées contre Bayer.
Commercialisés
dès 2002 par la société californienne Conceptus, les implants Essure
apparaissaient comme l’avenir de la contraception féminine définitive.
Cette nouvelle méthode consistait à placer, par hystéroscopie (tube
introduit par les voies naturelles), deux minuscules spirales à l’entrée
des trompes utérines pour barrer la route aux spermatozoïdes – donc
sans le risque d’une cœlioscopie (examen pratiqué au moyen d’une
incision de l’abdomen) et d’une anesthésie générale. Remboursée par
l’Assurance maladie dès 2005 (700 euros la boîte de deux implants et 600
euros la pose), la méthode est si rentable qu’elle devance, jusqu’en
2016, les méthodes plus classiques de ligature des trompes.
Séduit
par le succès mondial d’Essure, le géant pharmaceutique Bayer acquiert
Conceptus en juin 2013. Or, dès 2010, aux États-Unis, puis dans
plusieurs pays européens – dont la France –, des femmes témoignent du
calvaire qu’elles endurent. « Si certains maux concernent la sphère
gynécologique (douleurs pelviennes et urinaires, règles hémorragiques,
endométriose interne), la plupart sont extra-gynécologiques : douleurs
musculaires et articulaires, maux de tête, troubles de la mémoire, du
langage, de la mobilité, maladies cutanées, pertes de cheveux, de dents,
etc. », explique Brigitte Marty, présidente de l’association
Victim-DMI (pour « dispositifs médicaux implantables »), qui regroupe
notamment des victimes d’Essure.
Face
à des signalements en forte augmentation et à plus d’une quinzaine de
milliers d’incidents non signalés par le fabricant, l’Agence nationale
de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) consent à
ouvrir un peu la paupière : le dispositif est placé sous surveillance
renforcée en 2015. Résultat : les complications signalées « relèvent de la pose et non du dispositif lui-même »,
prétend le ministère de la Santé, en décembre 2016. Mais au même
moment, la Food and Drug Administration (FDA) (Agence fédérale
américaine des produits alimentaires et médicamenteux) appose une «
black box » sur le produit : un avertissement sur les risques d’effets
secondaires. Les ventes s’écroulent, le nombre de signalements explose.
En
avril 2017, l’ANSM annonce avec tambour et trompette la création d’un
comité scientifique spécialisé temporaire (CSST). Au cours du même mois,
l’Agence reçoit une expertise alarmante sur le risque de corrosion du
dispositif Essure et sur ses conséquences sur la santé des femmes. Dans
son analyse, l’ANSM choisit d’écarter ce rapport embarrassant et rend
ses conclusions : la balance bénéfices-risques de l’implant est toujours
« favorable » et « de nouvelles conditions en termes de réglementation ne sont pas nécessaires ». Circulez, y a rien à voir.
Mais
nouvel affront pour l’agence française : le 3 août 2017, soit moins de
quatre mois plus tard, l’organisme irlandais qui doit garantir la
conformité du produit dans l’UE suspend le marquage CE des implants
Essure. Dès le lendemain, l’ANSM, qui doit sauver la face, demande aux
médecins de ne plus poser ce dispositif. Enfin, en septembre 2017, Bayer
stoppe la commercialisation d’Essure en France (et aux États-Unis,
l’année suivante) : « une décision qui n’est pas liée à des problèmes de sécurité ou de qualité du produit »,
précise la firme. Le laboratoire, qui a senti le vent tourner, tente
d’étouffer l’incendie judiciaire qui s’annonce de part et d’autre de
l’Atlantique. En août 2020, Bayer a ainsi déboursé 1,6 milliard de
dollars pour apaiser la majorité des 39 000 plaintes américaines.
Dans
le monde, 1 million de ces spirales ont été commercialisées et
implantées à des femmes. En France, sur les quelque 200 000 femmes
porteuses d’Essure, 30 071 ont dû subir une ablation des trompes (et
parfois de l’utérus) pour explanter le dispositif – sans garantie de
guérison. Si, après l’explantation, la plupart des femmes recouvrent la
santé, pourquoi certaines continuent-elles de souffrir ? Plusieurs
études révèlent la présence, dans les tissus utérins des victimes, de
nombreuses particules d’étain, de fer, de chrome, de nickel et de
platine… preuves d’une dégradation des implants. Les prochains résultats
(imminents) d’une nouvelle étude scientifique confirmeraient
l’hypothèse d’une intoxication généralisée par le cocktail de métaux
présents dans le dispositif Essure. Afin
de faire reconnaître la défectuosité des implants et la non-information
des patientes sur ses effets secondaires, l’association Réseau
d’entraide, de soutien et d’informations sur la stérilisation tubaire
(Resist) a engagé, en mars 2018, une action de groupe contre Bayer
auprès du tribunal judiciaire de Paris. Mais, le 11 mai 2022, l’action
de groupe a été jugée irrecevable : « L’hétérogénéité des cas a fait obstacle : trop de symptômes différents chez les plaignantes »,
explique Émilie Gillier, présidente de Resist. Par ailleurs, dans
quelques jours, le tribunal judiciaire de Paris rendra son jugement
concernant 132 plaintes individuelles assignant le laboratoire Bayer au
titre du préjudice d’anxiété (l’exposition à des substances nocives ou
toxiques génère une situation d’inquiétude permanente face au risque de
déclarer à tout moment une maladie). Quant aux quelque 70 plaintes contre X, déposées en avril 2019, « pour blessures involontaires, mise en danger, voire tromperie aggravée », elles semblent, pour l’heure, perdues dans les limbes du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris. Évidemment,
les autorités sanitaires françaises sont aussi ciblées par les
plaignantes. Une centaine de plaintes ont été regroupées au tribunal
administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis). « Malgré le rapport
français escamoté en 2017, ainsi que deux études de Conceptus, datées de
2002 et 2004, qui montraient la corrosion du dispositif, l’ANSM n’a pas
exercé ses pouvoirs de police sanitaire, dénonce Me Stéphen Duval, du cabinet lyonnais Lyris. Par
ailleurs, Bayer, qui n’est pas directement visé, s’est immiscé dans la
procédure en déposant une montagne de rapports qui visent à noyer le
débat. » Le laboratoire vole au secours de son généreux protecteur, dernier rempart avant sa mise en accusation directe. Du
côté de la voie indemnitaire, les procédures achoppent sur la
reconnaissance scientifique du lien d’imputabilité entre les taux
anormaux de métaux dans le corps des femmes et les divers symptômes
qu’elles présentent. « Bien qu’un florilège de publications le confirme, ces études sont récusées au prétexte que leurs cohortes sont insuffisantes »,
indique Stéphen Duval. Les autorités de santé ont promis une étude
nationale. Mais le projet (visant surtout à enfumer les victimes) semble
être tombé dans les oubliettes du ministère de la Santé. Les
procédures au civil s’attaquent donc aux gynécologues : mauvaises
pratiques, défaut d’information, non-prise en charge de la douleur…
Certaines femmes ont été multi-implantées (pose de trois à six
implants, ayant parfois migré et perforé des organes), d’autres
ignoraient que l’explantation (au succès incertain) impliquait une
ablation d’organes. En France, 51 femmes sont décédées des suites de
cette opération entre 2006 et 2018. « Durant la procédure civile,
les victimes sont face à des experts, chirurgiens gynécologues, qui ont
eux-mêmes posé des Essure. Ce sont parfois des chefs de service
hospitalier qui ont reçu de généreux subsides de Bayer », pointe
l’avocat Stéphen Duval. Les indemnités versées aux plaignantes, de 5 000
à 45 000 euros, paraissent bien chiches au regard de ces vies
dévastées. « L’ablation des trompes seules ou celle des trompes et
de l’utérus sont indemnisées à l’identique. Pire : certains experts
estiment qu’il n’y a aucun préjudice puisque la patiente voulait une
stérilisation », constate Me Duval. « Aujourd’hui, le grand responsable, c’est l’État, confie Brigitte Marty, de Victim-DMI. Malgré
les alertes aux autorités de santé, nos courriers aux plus hautes
instances du gouvernement et une mobilisation de nombreux députés dès
2018, les victimes ne sont ni reconnues, ni soignées, ni indemnisées. Et
surtout, l’État refuse d’avertir toutes les femmes qui ont été
implantées. » Encore
aujourd’hui, nombreuses sont celles qui, faute d’information, n’ont
pas fait le lien entre leurs implants Essure et la dégradation de leur
état de santé. Des victimes à qui les médecins continuent de dire
qu’elles n’acceptent pas la ménopause, qu’elles sont dépressives et que
leurs douleurs sont « dans la tête ». |
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