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mercredi 2 novembre 2022

Écoféminisme, désertion, écologie décoloniale… ces penseurs d’une nouvelle écologie


Écoféminisme, désertion, 

écologie décoloniale… 

ces penseurs 

d’une nouvelle écologie

 

28 octobre 2022

 


[2/2] - Désertion, droits de la nature, écoféminisme... Elles et ils sont les penseurs d’une nouvelle écologie. Rencontre.

« Techno-solutionnisme », « conflictualité », « extractivisme », « imaginaires », « écoféminisme matérialiste »... Les 21 et 22 octobre, des dizaines de chercheuses et chercheurs ont participé aux Rencontres des nouvelles pensées de l’écologie, rendez-vous organisé par le collectif L’Instant d’après avec Reporterre. Quelles sont ces nouvelles pensées de l’écologie ? Elles et ils répondent. D’autres intervenants répondent dans un second article.

Corinne Morel Darleux : « Les imaginaires sont essentiels »

 

Corinne Morel Darleux, écrivaine. © Mathieu Génon / Reporterre

En quoi les imaginaires sont-ils essentiels aujourd’hui ? « La fiction relève d’un “moment perspectiviste”, au sens décrit par Philippe Descola et Alessandro Pignocchi [1]. Par le biais de la fiction, on peut changer de perspective, se mettre à la place d’un autre, et expérimenter des choses que l’on ne peut pas expérimenter dans la vraie vie. C’est l’un des grands pouvoirs du romanesque et de la fiction : les seules limites sont celles de notre imagination, tout est possible. Par exemple, on peut tout à coup faire advenir un certain type de société, on peut faire parler des objets inanimés si le cœur nous en dit…

Cela permet de bousculer les normes, les conventions, les évidences, tout en créant une forme de trouble. Mais comme le dit la philosophe Donna Haraway dans son texte Staying with the Trouble (Duke University Press, 2016), ce trouble, il va falloir apprendre à vivre avec. Et pour ce faire, la fiction et l’imaginaire apportent une très grande liberté et une très grande puissance qui n’ont pas encore été suffisamment explorées. »

Antoine Chopot : « Penser le communisme du vivant »

 

Antoine Chopot, philosophe en écologie politique. © Mathieu Génon / Reporterre

Qu’est-ce que le « communisme du vivant » ? « Il s’agit d’une expression forgée par Paul Guillibert dans son livre Terre et Capital (Amsterdam, 2022). Avec Léna Balaud, dans notre livre Nous ne sommes pas seuls (Seuil, 2021), nous avons aussi créé le terme de “communisme interspécifique”, c’est-à-dire entre espèces. Le vieux motif du communisme est de penser le monde comme constitué de relations, de communs, qu’il s’agit de défendre face à leur accaparement par la classe dominante capitaliste. Son actualisation écologique est donc le communisme du vivant, avec l’idée que les humains ne sont pas les seuls acteurs à qui on fait violence. Il y a une continuité de violences entre les humains et les non-humains dans le monde — sachant que celui-ci est engendré non seulement par les humains qui travaillent, les chômeurs, etc., mais aussi par tous ces vivants interdépendants qui fabriquent ce que beaucoup appellent “l’habitabilité du monde”

Parler de communisme du vivant, c’est donc dire qu’il n’y aura pas d’enrayement de la logique de destruction actuelle, de la logique d’exploitation et d’expropriation du monde vivant, si l’on ne sort pas des logiques capitalistes d’accaparement et d’appropriation des terres, mises en oeuvre par le colonialisme depuis Christophe Colomb. Le communisme du vivant, c’est se saisir de cette question du commun en tant que ce qui nous relie avec les non-humains, avec le vivant sauvage et domestique. Il s’agit d’un mouvement de reprise de terres, qui vise à sortir de nos conditions de subsistance — et par “nos”, j’entends un “nos” général, avec toutes les espèces. »  

Barbara Glowczewski : « Soignons la terre »

 

Barbara Glowczewski, anthropologue, chercheuse au CNRS. © Mathieu Génon / Reporterre

Que veut dire « prendre soin de la terre » ? « Prendre soin, ce n’est pas nécessairement soigner au sens où quelque chose serait malade, même si, effectivement, la terre et les humains le sont. Prendre soin est un mode de vie qui consiste à assumer ses responsabilités vis-à-vis de toutes les relations que l’on entretient avec les autres humains, les non-humains et les lieux que l’on habite. Par exemple, je travaille en Australie depuis quarante-trois ans. Pour les Aborigènes australiens, soigner la terre veut dire se mettre à l’écoute de tout ce qui vit, y compris des lieux qui transmettent une mémoire. Et cette mémoire, on l’entend en rêve.

Le rêve nous transmet de ce fait des guidances, car la mémoire d’un lieu n’est pas seulement celle de ce que les humains y ont fait, mais aussi de toute la vie qui l’a traversée, la mémoire géologique. En rêve, on peut entendre quelque chose de cette mémoire, la voir, la sentir, ce qui implique que l’on ne rêve pas seuls. On rêve avec les gens à côté de nous dans le lieu où l’on habite, et on se raconte les rêves le matin, car les autres ont des clés de compréhension pour nous-même, et réciproquement. C’est ce partage collectif qui crée du commun, des règles de vie, mais aussi des réponses à la fois individuelles et collectives. Tout cela ne relève pas d’une posture culturaliste, passéiste : ce que les aborigènes nous disent est que nous pouvons tous retrouver dans nos rêves la mémoire des lieux où nous sommes… pour pouvoir mieux vivre ensemble. »

Erwan Molinié : « Penser l’écologie décoloniale depuis les territoires ultramarins »

 

Erwan Molinié, sociologue, codirigeant de l’Observatoire Terre-Monde. © Mathieu Génon / Reporterre

En quoi est-il fécond de penser l’écologie décoloniale depuis les territoires ultramarins ? « Aujourd’hui, ces territoires restent dépendants du territoire hexagonal, que ce soit politiquement, économiquement, environnementalement ou matériellement. Par exemple, à La Réunion, l’autonomie alimentaire du territoire est seulement de quelques semaines. 

Il apparaît donc fécond de penser l’écologie décoloniale depuis ces territoires dans la mesure où leur histoire témoigne de cette double exploitation des êtres humains et de l’environnement. Ce qui montre la nécessité de décoloniser les manières dont on s’y rapporte au monde. À l’écologie coloniale, il s’agit d’opposer de nouvelles formes et visions de l’écologie qui permettent, à travers les savoirs inhérents aux populations historiquement dominées, de penser des manières réinventées d’habiter le monde. »
 

Catherine Larrère : « L’écoféminisme a un bel avenir devant lui »

Catherine Larrère, philosophe. © Mathieu Génon / Reporterre

Quel est l’avenir de l’écoféminisme ? « L’écoféminisme est une grande nouveauté, et ce tant par rapport à l’écologie qu’au féminisme. Les écoféministes ne sont pas des féministes qui font de l’écologie ou des écologistes qui font du féminisme. Ce sont des femmes qui se battent autour de questions écologiques et féministes dans le sens où il existe une domination commune et croisée des femmes et de la nature. Quand les femmes se battent pour elles, elles se battent aussi pour la nature et réciproquement — ce qui n’a évidemment rien à voir avec une quelconque “nature féminine”, bien entendu. Une chose est sûre : si les femmes sont plus nombreuses que les hommes à mener des luttes écolos dites du quotidien, c’est bien parce que de nos jours, les femmes restent très majoritairement en charge du quotidien au sein des foyers. 

L’écoféminisme a un bel avenir devant lui dans le sens où sortir du productivisme n’implique pas seulement de s’occuper de la production : sortir du productivisme, c’est aussi s’occuper de la reproduction, notamment sociale, car une société ne tient que si elle reproduit ses conditions d’existence. Durant la crise du Covid, on a bien vu que les personnes qui ont fait tenir notre société, alors même que l’on percevait de nombreux signes d’effondrement, étaient des femmes : caissières, soignantes… Bref, ce sont elles qui ont fait en sorte que demain puisse être un autre aujourd’hui qui recommence. »  

Éléa et Delphine, déserteuses : « Déserter, pour vivre autrement les territoires »

 

Éléa (à g.) et Delphine, déserteuses qui se forment à la paysannerie. © Mathieu Génon / Reporterre

En quoi la désertion permet-elle d’expérimenter de nouvelles façons d’habiter le monde ?

Éléa : « Déserter, c’est aussi déserter la norme, et notamment celle du travail salarié où l’on consacre 35 heures de notre temps à des activités qui relèvent finalement de la production d’argent. Par conséquent, déserter, c’est aussi sortir de ce modèle pour se réapproprier notre temps et, par la même occasion, le consacrer à nos activités de subsistance. »

Delphine : « Déserter, c’est une façon de vivre autrement les territoires. Et ce, en retissant des liens avec le vivant, qu’il soit humain ou non-humain, en vivant, en expérimentant, en luttant de façon locale, ancrée, avec les diverses dynamiques qui émergent sur les territoires. »

Cédric Villani : « Il ne faut pas compter sur la technologie avancée pour nous sauver »

 

Cédric Villani, mathématicien, conseiller du 14e arrondissement de Paris. © Mathieu Génon / Reporterre

L’intelligence artificielle (IA) est-elle l’avenir du monde ? « La réponse est très clairement non. Est-ce qu’elle fera partie du monde ? La réponse est oui, et c’est d’ailleurs déjà le cas. Par exemple, pour me rendre à ces Rencontres, je me suis servi d’un logiciel d’IA bien connu : Google Maps... Cela étant dit, attention : il ne faut surtout pas compter sur l’IA ou sur toute autre technologie avancée pour nous sauver du grand pétrin dans lequel nous sommes embourbés.

L’obstacle majeur est politique : comment agir ? Agir, cela veut dire sortir du pétrole, comme l’affirment les jeunes activistes de Just Stop Oil. Agir, c’est passer à un régime plus végétalisé, comme le répètent sur tous les tons nombre de personnes, des nutritionnistes jusqu’aux militants animalistes. Agir, c’est sortir de la voiture individuelle. Il faut que l’on arrête le débat autour de la pollution (réelle) engendrée par les véhicules électriques pour se concentrer sur la priorité : que l’on cesse d’utiliser individuellement les voitures. »

Marine Calmet : « Défendons les droits de la nature »

 Marine Calmet, juriste et présidente de l’ONG Wild Legal. © Mathieu Génon / Reporterre

Pourquoi défendre les droits de la nature ? « Défendre les droits de la nature est la suite logique de l’impossibilité, aujourd’hui, d’obtenir vraiment justice dans les tribunaux. Par exemple, dans les procès contre la Montagne d’or en Guyane, ou contre Total, le droit est incapable de penser l’interdépendance, d’être en empathie vis-à-vis du vivant. Notre droit est froid, procédurier et ne répond pas à nos besoins tout en empêchant les citoyens d’obtenir justice.

A contrario, le mouvement des droits de la nature vise à redonner du pouvoir aux citoyens, à recréer des démocraties locales. Et ce, de façon à enfin adopter un modèle de gouvernance qui non seulement ne nous oblige plus à aller réclamer justice dans les tribunaux, mais invente une démocratie biodynamique. En somme, une pensée en mimétisme avec la nature, qui soigne notre relation aux autres. »

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Notes

[1Ethnographies des mondes à venir, (Seuil, 2022).

Source : https://reporterre.net/Ecofeminisme-desertion-ecologie-decoloniale-ces-penseurs-d-une-nouvelle-ecologie

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