Vous
en avez forcément entendu parler. Ces jours-ci, les militants de
Dernière rénovation font les gros titres des médias grâce à leurs
actions, comme le blocage du périphérique parisien. Mais qui sont-ils
vraiment ? On
les a découverts attachés à un filet à Roland-Garros, interrompant le
Tour de France, se collant les mains sur le bitume pour bloquer le
périph ou une autoroute… Qui sont-ils ? Ce sont les activistes de
Dernière rénovation. On les voit sans arrêt depuis des semaines, une
action chassant l’autre, occupant la scène médiatique pour faire passer,
de manière souvent incomprise du public, leurs messages « écoanxieux » :
fini les bla-bla, place à l’action, « parce qu’on n’a plus que deux à trois ans pour agir ». C’est ce que répète Victor, le premier à prendre la parole lors d’une réunion publique d’information ouverte à tous. L’intitulé
de la soirée, un rien grandiloquent – Nos responsabilités à ce moment
de l’Histoire –, laisse présager, sinon quelques maux de tête, la
certitude qu’on n’allait pas rigoler. Dans le bâtiment public de
l’Académie du climat, tout près de la mairie du 4e arrondissement de
Paris, une trentaine de personnes, beaucoup de jeunes mais pas
seulement, sont présentes et écoutent religieusement l’orateur. Le
discours de Victor est rodé. S’il rappelle les prévisions et les
avertissements du Giec, il dénonce aussi la frilosité des scientifiques.
« On nous parle d’un réchauffement climatique de 2 °C, mais il y a
un biais statistique : 2 °C, c’est une donnée qui inclut les océans,
qui, eux, savent se refroidir. En fait, c’est 5 °C supplémentaires sur
la terre ferme. Et si on ne lisse pas sur l’année, ça signifie des mois
d’été à 7 °C de plus. » Conséquence : « 20 % de la surface terrestre […] va connaître le climat actuel du Sahara. » Re-conséquence : « Le déplacement de plus de 3,5 milliards de personnes. » Face à cette situation catastrophique, il faut donc agir, car « des solutions existent, ce qui manque, c’est la volonté politique. Et, spoiler alert, la solution, c’est nous ! »
lance Victor pour tenter de faire sourire les visages inquiets de son
auditoire. Heureusement, les références aux grands mouvements de
désobéissance civile s’enchaînent pour rappeler que « même en petit nombre, des citoyens éclairés peuvent changer le monde ». C’est Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd, « pirate, écoterroriste, comme dirait l’autre, et fier de l’être »,
mais aussi Rosa Parks ou les Pèlerins de la liberté, ces Freedom Riders
qui, en 1961, luttaient contre la ségrégation dans les bus aux
États-Unis… Autant de figures de la désobéissance civile non violente
dont le point commun n’est pas seulement la dénonciation des injustices,
mais la mise en avant, voire la mise en danger, de son corps. «
Dans l’Alabama, les Freedom Riders étaient prêts à risquer leur vie dans
des bus. Ils étaient frappés, les bus incendiés, mais, à chaque fois,
il y avait de nouveaux Freedom Riders, de nouveaux bus… », raconte Victor. Dans
l’assistance, on commence à comprendre le but de la réunion. Le
recrutement de nouveaux corps pour faire partie des cohortes
d’activistes qui veulent aiguillonner la société, quitte à se coller les
mains à la glu. « On vise à être des milliers, explique Sacha, qui,
lui, s’est récemment illustré en mettant en berne le drapeau tricolore
au sommet du Panthéon. On pourra alors faire des actions de dégradation
du monde économique. » Dans l’assistance, certains restent
dubitatifs. Quelle cohérence entre le discours philosophique, les modes
d’action dérangeants et la revendication finalement très pragmatique du
mouvement : la rénovation thermique des bâtiments ? « C’est une
mesure phare de la Convention citoyenne. Surtout, c’est consensuel et
gagnable, alors qu’on empile défaite sur défaite », tente Victor sans convaincre tout le monde. Mais, pour l’heure, il s’agit surtout de rassurer les futurs activistes. «
Désobéir aux lois injustes illégitimes. C’est un devoir. Mais
rassurez-vous, on est en France. Même si une garde à vue, ce n’est pas
marrant, on n’est pas au Brésil où les militants écolos sont tués. On ne
risque pas sa vie, ici. » Cheveux grisonnants, Florence, médecin
hospitalier, témoigne de trois actions de blocage sur les routes. Après
un rappel à la loi, elle sera traduite en justice en janvier 2023. Pas
grave pour cette quinquagénaire, qui dit avoir pris conscience de la
gravité de la situation après la trahison politique de la Convention
citoyenne lancée par Macron et aussitôt enterrée par le même. « Dans
ma génération, on est nombreux à se dire : qu’est-ce que j’aurais fait
pendant la guerre ? Ce qui vient, c’est des famines, des violences, des
morts… L’équivalent de deux guerres mondiales. À ma mesure, je veux être
du bon côté de l’Histoire », dit-elle sans emphase. « Lors des
actions, j’avais le sentiment d’être alignée. D’être à la bonne place,
au bon moment. On sent aussi la force du groupe, du collectif », poursuit-elle. Le
collectif Dernière rénovation dépasse l’agrégation des individus à une
cause. Le mouvement s’inscrit dans le réseau international A22, qui
compte des ramifications dans une dizaine de pays. Proche des groupes
Extinction Rebellion, Dernière rénovation bénéficie du financement
international via le Climate Emergency Fund, une grosse cagnotte mise en
place en 2019 par la milliardaire américaine Aileen Getty, dont le
grand-père était un magnat du pétrole. Ça n’empêche pas les activistes
de rappeler à chaque réunion, à chaque coup de téléphone, l’importance
de s’engager financièrement en donnant « une heure de son salaire par mois pour aider les activistes qui ont lâché leur travail pour se consacrer à la cause ». Comme quoi, les activistes iconoclastes qui se collent la main savent aussi la tendre de manière tout à fait classique. • | | |
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