A Fukushima,
neuf ans après,
le casse-tête des eaux contaminées
Des ouvriers à la centrale de Fukushima le 15 janvier 2020. Photo Aaron Sheldrick. Reuters
Les cuves radioactives de la centrale victime de la catastrophe du 11 mars 2011 vont bientôt être pleines. Face aux contestations, l’exécutif a reporté l’annonce de leur déversement dans l’océan.
Bleus, gris, verdâtres, des centaines de réservoirs soudés, boulonnés, à
perte de vue ont envahi le terrain de la centrale nucléaire de
Fukushima Daiichi, saccagée par le tsunami du 11 mars 2011. L’eau
radioactive qu’ils renferment sera-t-elle déversée dans l’océan
Pacifique ? Officieusement, la décision est prise : 1,3 million de
mètres cubes de liquide - encore chargé en tritium (isotope radioactif
de l’hydrogène) essentiellement, mais aussi d’autres radionucléides en
plus faibles quantités - finiront dilués en mer.
Un rapport gouvernemental basé sur l’avis d’un sous-comité d’experts indique qu’il s’agit de la solution privilégiée, préférée à l’évaporation ou au stockage de long terme. L’annonce de cette décision aurait dû avoir lieu fin octobre. Elle a été reportée sine die en raison de contestations multiples (de la Chine, de la Corée du Sud, des pêcheurs et agriculteurs locaux). Ce n’est surtout pas le moment pour un pays qui espère attirer l’attention des médias planétaires avec les Jeux olympiques, prévus en 2021 et décrochés en 2013 parce que le Premier ministre d’alors, Shinzo Abe, avait assuré au Comité international olympique (CIO) que le traitement de l’eau et la pollution marine étaient «sous contrôle».
Liquide souillé
Pourtant, à Fukushima Daiichi, construite à la jonction des localités rurales d’Okuma et de Futaba, sur la côte nord-est, la présence des plus de 1 200 réservoirs d’eau « retraitée » embarrasse. « Ce n’est pas à nous de décider ce qu’on en fait, c’est au gouvernement. Mais nous avons besoin d’espace pour construire les équipements nécessaires aux prochaines étapes du démantèlement », explique sur place Takahiro Kimoto, un responsable de la compagnie exploitante, Tokyo Electric Power (Tepco). Depuis l’accident de mars 2011, la gestion de l’eau radioactive est un enfer. Ce liquide souillé provient des sols de la montagne, de la pluie, des arrosages des réacteurs morts. L’eau est pompée, filtrée, analysée, stockée, réutilisée pour refroidir le combustible fondu, mais tel le tonneau des Danaïdes, n’en finit jamais de dégouliner. « On prévoit que les capacités de stockage (1,37 million de tonnes) seront pleines à l’été 2022 », ajoute Kimoto.
Une partie, captée en sous-sol en amont des installations, est assainie et déjà rejetée depuis 2015 dans l’océan, car jugée peu ou pas contaminée. Mais le problème concerne l’eau entrée directement en contact avec les lieux et les matériaux les plus radioactifs. Celle-là, il faut la passer dans le système ALPS (pour « Advanced Liquid Processing System ») d’extraction des radionucléides. Les travailleurs de ces « hangars ALPS », bourrés de tuyauteries et de filtres, sont parmi les plus exposés aux risques d’irradiation sur un site par ailleurs largement déblayé, hormis les bâtiments des réacteurs.
Tragique symbole
Et l’eau retraitée et stockée est loin d’être claire comme de l’eau de roche : 73 % du total regorge encore de matériaux radioactifs « dans des proportions supérieures à celles pour lesquelles est autorisé un déversement en mer, il faut donc la refiltrer », admet le ministère de l’Industrie. Le premier système ALPS utilisé n’avait pas le même rendement que le dispositif actuel, plus récent. Une fois expurgée de l’essentiel des 62 radionucléides, cette eau sera encore très chargée en tritium et le restera.
« Déverser en mer ou rivière de l’eau tritiée, ça se fait dans les centrales en service et usines de retraitement partout dans le monde », se défend le ministère de l’Industrie. « Sauf qu’il y aura aussi du carbone 14 et du strontium 90 dans des quantités plus importantes », insiste un rapport de Greenpeace. Tepco reconnaît.
Mais Fukushima Daiichi est difficilement comparable à une centrale en fonctionnement normal. Son nom est désormais synonyme d’une catastrophe qui a déjà passablement nui à l’environnement et chassé de chez eux des dizaines de milliers d’habitants. Elle est devenue un tragique symbole national, et même mondial. Sur place, les pêcheurs de Fukushima, victimes de leur mauvaise réputation, sont à bout et les agriculteurs, qui ont à peine remonté la pente, ne veulent pas replonger. Le gouvernement peut-il passer en force ?
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