Vitrines brisées, faux sang jeté, graffitis… Dans la ville, plusieurs établissements ont été l’objet de dégradations commises par des partisans de la cause animale. Chez les commerçants, le ton monte, tandis que les militants se divisent sur la pertinence de ce type de vandalisme.
Les antispécistes passent à l’attaque. Des pavés ont été
lancés dans des vitrines d’artisans - bouchers, poissonniers, fromagers…
- principalement à Lille, mais aussi dans les Yvelines ou à Angers
(Maine-et-Loire), accompagnés de slogans antispécistes, ce mouvement
opposé à l’exploitation animale sous toutes ses formes, élevage compris.
Le ministère de l’Intérieur s’en est ému, sur interpellation de la
Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie,
traiteurs (CFBCT). Dernier fait en date, à Lille, le 31 juillet : le
monument en l’honneur des 20 000 pigeons voyageurs morts pour la France,
messagers de la guerre de 14-18, a été tagué : «Stop spécisme.»
Etonnement du quidam, qui voit dans cette stèle, unique dans
l’Hexagone, une reconnaissance du rôle des oiseaux dans le conflit.
Mais les militants y voient d’abord une exploitation animale. L’antispécisme va plus loin que le simple véganisme, qui bannit la consommation de tous les produits issus de l’exploitation animale.«Il n’y a pas une espèce supérieure aux autres. L’homme n’a pas le droit de les exploiter pour son propre intérêt, alors qu’il peut faire autrement», explique Camille Ots, Lilloise et coordinatrice du réseau national des bénévoles de L214, cette association qui, entre autres, filme les mauvais traitements dans les abattoirs et les diffuse.
Au départ, la protestation a consisté à asperger les boucheries de faux sang, où un simple nettoyage suffisait. Au cours du seul mois d’avril, sept ont été visées dans les Hauts-de-France. A la mi-mai, changement de braquet : la boucherie haut de gamme de la rue Esquermoise, au cœur du chic Vieux-Lille, retrouve ses deux vitrines explosées. Suivront un volailler, une poissonnerie, une rôtisserie et enfin une fromagerie, le 18 juillet. Juste en face du magasin de Laurent Rigaud, le président du syndicat des bouchers-charcutiers traiteurs du Nord. Comme une provocation. C’est en tout cas comme cela qu’il le prend. «C’est toujours le même principe : provoquer le maximum de dégâts pour causer un coût financier à l’entreprise», et la fragiliser, affirme-t-il. Selon la taille des vitrines, la facture va de 3 000 à 10 000 euros par magasin. Rigaud est catégorique : «C’est la volonté d’extrémistes, pour qui on ne doit pas exister. Mais on ne courbera pas l’échine.» Laurent Rigaud a porté plainte pour diffamation contre Camille Ots. Elle avait dit sur RCF, une radio catholique, que «casser des vitrines est un acte citoyen». Elle plaide le quiproquo, avoir en réalité voulu parler d’un acte de citoyens isolés, non encadré par une association. Et la plainte a été classée sans suite, tient-elle à préciser.
Camille Ots, de son côté, condamne les caillassages. «Ce ne sont pas les modes d’action que nous prônons. Nous menons des actions de sensibilisation du grand public, avec des stands d’information. La stratégie, c’est d’emmener toute la société avec nous, pas de nous la mettre à dos.» Elle souligne aussi que ces vitrines brisées «créent des divisions, même au sein de la communauté végane». Sur Facebook par exemple, beaucoup sont remontés contre ces actes radicaux qu’ils estiment inutiles. Camille Ots le reconnaît, elle a été «assez partagée» lors du premier commerce touché. D’un côté, se disait-elle, si cela ouvre le débat sur le spécisme… «Mais au fur et à mesure, j’ai mesuré les conséquences dans le débat interne, et à l’extérieur. Cela ne donne pas une bonne image du mouvement. Il ne faudrait pas que le grand public résume la lutte antispéciste à des personnes qui cassent des vitrines.»
Ce n’est pas l’avis de tous les militants, loin s’en faut. Agathe, organisatrice du mouvement antispéciste Anonymous for the Voiceless à Lille s’appuie sur les résultats de Google Trends, l’outil de mesure des mots les plus demandés sur le moteur de recherche. Depuis mai et le premier caillassage, la recherche «spécisme» explose, affirme-t-elle. La courbe s’envole effectivement, mais le lien avec les actes de vandalisme n’est pas prouvé. Fabian Santer, militant de L214, est «persuadé» que la multiplication des débats autour du spécisme «a été déclenchée par les pavés». Les deux refusent de condamner les bris de vitrines même si, disent-ils, eux-mêmes n’iront pas agir. «Ne faire que de la sensibilisation ne suffit pas, estime Agathe. Il y a de plus en plus de végans, de végétariens, mais l’offre animale reste importante, le nombre d’animaux tués ne baisse pas. Il faut d’autres types d’actions, plus directes et plus conflictuelles.» Elle souligne le contexte politique, avec le refus de l’Assemblée nationale au mois de mai d’interdire l’élevage des poules pondeuses en cage et la castration à vif des porcelets, ou le broyage des poussins. Fabian s’indigne : «Même [François] Ruffin a dit qu’il était opposé à l’élevage des poules en batterie, mais qu’il n’avait rien contre leur mort.» Il a le sentiment d’un combat inaudible : «Nous avons pourtant besoin de lois pour protéger les animaux.»
Le terme de casseur ne convient pas à Agathe. Elle voudrait qu’on parle plutôt d’activistes antispécistes. A ses yeux, «une vitrine brisée, c’est dérisoire par rapport au degré de violence que subissent les animaux». Et le geste rendrait publique la souffrance des espèces, par exemple celle des vaches laitières «invisibilisées» à qui on enlève les bébés pour fabriquer fromages, beurre et yaourts. La fromagère lilloise attaquée avoue ne pas bien comprendre : «Ils se trompent de cible. Nos petits producteurs respectent leurs animaux.» Laurent Rigaud brandit un argument qui fait mal : pourquoi viser des artisans, attentifs à la qualité, alors que 80 % de la viande est vendue en grande surface ? «C’est trop risqué pour eux, c’est de la lâcheté», tranche-t-il. De fait, cet aspect de la question met mal à l’aise les militants rencontrés. Camille Ots le reconnaît à demi-mot : «Ils ne veulent pas se faire attraper, ils sont encagoulés, avec des gants.» Fabian Santer est plus direct : «C’est dégueulasse de s’attaquer aux boucheries, elles ne sont qu’un maillon de la chaîne. Mais malheureusement c’est facile, et le symbole est fort.» Camille Ots trouve une autre explication : «Pourquoi ces commerces-là, en pleine ville ? Ils ont pignon sur rue, cela interpelle le chaland. Une grande surface, c’est réparé plus rapidement.» Elle en veut pour preuve une attaque contre le McDonald’s de la grand-place de Lille, dont personne n’a parlé : l’enseigne n’a pas communiqué, mais confirme par téléphone. Camille Ots l’a appris, affirme-t-elle, par les renseignements territoriaux, qui suivent de près ces affaires.
Pour Agathe, cibler les grandes surfaces comporterait un risque de mauvaise interprétation : «On verrait d’abord un message anticapitaliste, alors que le message est antispéciste.» Et le mouvement n’est pas fondamentalement contre l’industrie de la nourriture. Agathe : «Si les OGM peuvent empêcher l’abattage des animaux, je suis pour.» Fabian Santer sourit : «S’ils arrivaient à reproduire la viande en grande quantité en laboratoire, des tas de végans en mangeraient.» Lui estime cependant que les luttes sont liées : «On ne sortira du spécisme que si on sort du capitalisme : s’il y a une ressource animale à exploiter, celui-ci le fera.»
On touche là un élément déterminant, source de divergences : si le refus de la souffrance animale unit ces militants, ils sont issus de sphères différentes, certains de la mouvance anarchiste et/ou écolo, d’autres pas du tout. Agathe explique : «Le véganisme a été totalement réapproprié par le capitalisme. C’est devenu du consumérisme, les steaks de soja, le shampooing végan. On ne parle plus des animaux, mais d’un idéal de pureté personnel.» Insuffisant pour ces militants politiques, qui veulent changer la loi. Agathe : «Il faut profiter de cette vitrine offerte pour parler des animaux, ce qui serait plus intelligent que de dire que ces militants sont des extrémistes qui desservent la cause dans les commentaires Facebook.» Fabian Santer abonde : «C’est la stratégie du good cop, bad cop. Les associations sont là pour rattraper le coup, et gagner en notoriété.» Mais il le reconnaît, «casser à tout va» n’est pas tenable sur le long terme : «Ils doivent penser à stopper les attaques contre ces commerces.» Sinon, la rentrée s’annonce tendue, avec des charcutiers excédés et prêts à en découdre.
Mais les militants y voient d’abord une exploitation animale. L’antispécisme va plus loin que le simple véganisme, qui bannit la consommation de tous les produits issus de l’exploitation animale.«Il n’y a pas une espèce supérieure aux autres. L’homme n’a pas le droit de les exploiter pour son propre intérêt, alors qu’il peut faire autrement», explique Camille Ots, Lilloise et coordinatrice du réseau national des bénévoles de L214, cette association qui, entre autres, filme les mauvais traitements dans les abattoirs et les diffuse.
Au départ, la protestation a consisté à asperger les boucheries de faux sang, où un simple nettoyage suffisait. Au cours du seul mois d’avril, sept ont été visées dans les Hauts-de-France. A la mi-mai, changement de braquet : la boucherie haut de gamme de la rue Esquermoise, au cœur du chic Vieux-Lille, retrouve ses deux vitrines explosées. Suivront un volailler, une poissonnerie, une rôtisserie et enfin une fromagerie, le 18 juillet. Juste en face du magasin de Laurent Rigaud, le président du syndicat des bouchers-charcutiers traiteurs du Nord. Comme une provocation. C’est en tout cas comme cela qu’il le prend. «C’est toujours le même principe : provoquer le maximum de dégâts pour causer un coût financier à l’entreprise», et la fragiliser, affirme-t-il. Selon la taille des vitrines, la facture va de 3 000 à 10 000 euros par magasin. Rigaud est catégorique : «C’est la volonté d’extrémistes, pour qui on ne doit pas exister. Mais on ne courbera pas l’échine.» Laurent Rigaud a porté plainte pour diffamation contre Camille Ots. Elle avait dit sur RCF, une radio catholique, que «casser des vitrines est un acte citoyen». Elle plaide le quiproquo, avoir en réalité voulu parler d’un acte de citoyens isolés, non encadré par une association. Et la plainte a été classée sans suite, tient-elle à préciser.
«Divisions»
Les échanges entre les deux camps sont à fleurets mouchetés, mais la situation pourrait s’envenimer. Laurent Rigaud menace de répliquer en septembre si la série de dégradations ne s’arrête pas. «Si L214 ou d’autres groupes végans ont des actions prévues à Lille, nous viendrons au contact et nous aurons nos propres outils de communication. Ils montrent des animaux en sang, eh bien, nous aurons des affiches des façades fracassées.» On note cependant que le président du syndicat des bouchers-charcutiers a légèrement modéré son propos : il y a peu, il parlait de s’en prendre aux magasins végans de la métropole lilloise. Pourtant, Rigaud n’est pas le plus réfractaire à la notion de bien-être animal : avant d’être boucher, il a été éleveur et respecte les bêtes même s’il les met à mort, ce qui est antinomique pour un antispéciste. Il se dit favorable à l’installation de caméras dans les abattoirs, à l’étourdissement obligatoire des animaux avant leur mise à mort, refuse l’élevage en batterie des poulets.
Camille Ots, de son côté, condamne les caillassages. «Ce ne sont pas les modes d’action que nous prônons. Nous menons des actions de sensibilisation du grand public, avec des stands d’information. La stratégie, c’est d’emmener toute la société avec nous, pas de nous la mettre à dos.» Elle souligne aussi que ces vitrines brisées «créent des divisions, même au sein de la communauté végane». Sur Facebook par exemple, beaucoup sont remontés contre ces actes radicaux qu’ils estiment inutiles. Camille Ots le reconnaît, elle a été «assez partagée» lors du premier commerce touché. D’un côté, se disait-elle, si cela ouvre le débat sur le spécisme… «Mais au fur et à mesure, j’ai mesuré les conséquences dans le débat interne, et à l’extérieur. Cela ne donne pas une bonne image du mouvement. Il ne faudrait pas que le grand public résume la lutte antispéciste à des personnes qui cassent des vitrines.»
Ce n’est pas l’avis de tous les militants, loin s’en faut. Agathe, organisatrice du mouvement antispéciste Anonymous for the Voiceless à Lille s’appuie sur les résultats de Google Trends, l’outil de mesure des mots les plus demandés sur le moteur de recherche. Depuis mai et le premier caillassage, la recherche «spécisme» explose, affirme-t-elle. La courbe s’envole effectivement, mais le lien avec les actes de vandalisme n’est pas prouvé. Fabian Santer, militant de L214, est «persuadé» que la multiplication des débats autour du spécisme «a été déclenchée par les pavés». Les deux refusent de condamner les bris de vitrines même si, disent-ils, eux-mêmes n’iront pas agir. «Ne faire que de la sensibilisation ne suffit pas, estime Agathe. Il y a de plus en plus de végans, de végétariens, mais l’offre animale reste importante, le nombre d’animaux tués ne baisse pas. Il faut d’autres types d’actions, plus directes et plus conflictuelles.» Elle souligne le contexte politique, avec le refus de l’Assemblée nationale au mois de mai d’interdire l’élevage des poules pondeuses en cage et la castration à vif des porcelets, ou le broyage des poussins. Fabian s’indigne : «Même [François] Ruffin a dit qu’il était opposé à l’élevage des poules en batterie, mais qu’il n’avait rien contre leur mort.» Il a le sentiment d’un combat inaudible : «Nous avons pourtant besoin de lois pour protéger les animaux.»
«Lâcheté»
Le terme de casseur ne convient pas à Agathe. Elle voudrait qu’on parle plutôt d’activistes antispécistes. A ses yeux, «une vitrine brisée, c’est dérisoire par rapport au degré de violence que subissent les animaux». Et le geste rendrait publique la souffrance des espèces, par exemple celle des vaches laitières «invisibilisées» à qui on enlève les bébés pour fabriquer fromages, beurre et yaourts. La fromagère lilloise attaquée avoue ne pas bien comprendre : «Ils se trompent de cible. Nos petits producteurs respectent leurs animaux.» Laurent Rigaud brandit un argument qui fait mal : pourquoi viser des artisans, attentifs à la qualité, alors que 80 % de la viande est vendue en grande surface ? «C’est trop risqué pour eux, c’est de la lâcheté», tranche-t-il. De fait, cet aspect de la question met mal à l’aise les militants rencontrés. Camille Ots le reconnaît à demi-mot : «Ils ne veulent pas se faire attraper, ils sont encagoulés, avec des gants.» Fabian Santer est plus direct : «C’est dégueulasse de s’attaquer aux boucheries, elles ne sont qu’un maillon de la chaîne. Mais malheureusement c’est facile, et le symbole est fort.» Camille Ots trouve une autre explication : «Pourquoi ces commerces-là, en pleine ville ? Ils ont pignon sur rue, cela interpelle le chaland. Une grande surface, c’est réparé plus rapidement.» Elle en veut pour preuve une attaque contre le McDonald’s de la grand-place de Lille, dont personne n’a parlé : l’enseigne n’a pas communiqué, mais confirme par téléphone. Camille Ots l’a appris, affirme-t-elle, par les renseignements territoriaux, qui suivent de près ces affaires.
Pour Agathe, cibler les grandes surfaces comporterait un risque de mauvaise interprétation : «On verrait d’abord un message anticapitaliste, alors que le message est antispéciste.» Et le mouvement n’est pas fondamentalement contre l’industrie de la nourriture. Agathe : «Si les OGM peuvent empêcher l’abattage des animaux, je suis pour.» Fabian Santer sourit : «S’ils arrivaient à reproduire la viande en grande quantité en laboratoire, des tas de végans en mangeraient.» Lui estime cependant que les luttes sont liées : «On ne sortira du spécisme que si on sort du capitalisme : s’il y a une ressource animale à exploiter, celui-ci le fera.»
«Consumérisme»
On touche là un élément déterminant, source de divergences : si le refus de la souffrance animale unit ces militants, ils sont issus de sphères différentes, certains de la mouvance anarchiste et/ou écolo, d’autres pas du tout. Agathe explique : «Le véganisme a été totalement réapproprié par le capitalisme. C’est devenu du consumérisme, les steaks de soja, le shampooing végan. On ne parle plus des animaux, mais d’un idéal de pureté personnel.» Insuffisant pour ces militants politiques, qui veulent changer la loi. Agathe : «Il faut profiter de cette vitrine offerte pour parler des animaux, ce qui serait plus intelligent que de dire que ces militants sont des extrémistes qui desservent la cause dans les commentaires Facebook.» Fabian Santer abonde : «C’est la stratégie du good cop, bad cop. Les associations sont là pour rattraper le coup, et gagner en notoriété.» Mais il le reconnaît, «casser à tout va» n’est pas tenable sur le long terme : «Ils doivent penser à stopper les attaques contre ces commerces.» Sinon, la rentrée s’annonce tendue, avec des charcutiers excédés et prêts à en découdre.
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