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mercredi 12 juillet 2017

Le Bêtisier d'Europacity, 2. la prolifération d'emplois fantômes

Le Bêtisier d'Europacity, 

2. la prolifération d'emplois fantômes 

Pour valider la construction de son pharaonique centre commercial et de loisirs Europacity sur les excellentes terres agricoles du Triangle de Gonesse, Auchan n'a reculé devant aucun argument valorisant les retombées soi-disant mirifiques de son mégaprojet. Revue de détail de l'argument Emploi.

CHAPITRE 2. LA PROLIFÉRATION D'EMPLOIS FANTÔMES

Malgré un débat public en 2016 qui a mis en lumière la pertinence des arguments des opposants à Europacity[1], Auchan entend poursuivre son projet à tout prix, quitte à effectuer quelques retouches mineures et autres mesurettes (par exemple : la fonte de son parc des neiges)… via sa nouvelle société porteuse « La Belle Étoile », dans un système de sociétés emboîtées dont le groupe a le secret[2]. Rappels historiques et revue de détail de l’argument clé des promoteurs : la création de MILLIERS D’EMPLOIS ACCESSIBLES à la population locale, censée faire baisser miraculeusement le taux de chômage élevé du territoire. 

 Certains lecteurs débusqueront peut-être certaines redondances par rapport à des textes antérieurement publiés, notamment sur le site du Collectif Pour le Triangle de Gonesse (CPTG)[3] dont je suis membre. Mais c’est que, malgré la tenue du débat public qui a démontré le caractère discutable des promesses du maître d’ouvrage, bon nombre de promoteurs d’Europacity continuent à citer les anciens chiffres, alors que les estimations d’emplois ont été officiellement révisées à la baisse.

Première partie : LE NOMBRE

 Dès 2011, notre Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG) opposé à Europacity s’est élevé contre les absurdités proférées en termes d'emplois par le maître d'ouvrage, répétées en boucle par les élus du Val d'Oise et les techniciens de l'EPA Plaine de France dans un discours incantatoire, basé sur des affirmations sans aucune justification. Avec une inflation incessante de chiffres qui n’était pas sans rappeler l’histoire de Perrette et le pot au lait. Comme dans la fable de La Fontaine en effet, les nombres grossissaient à mesure de leur propagation. On avait démarré à 20 000 emplois… Mais en 2015, Mme Moustachir, alors maire-adjointe à l’emploi de Gonesse interpellait nos militants à une réunion dite de « concertation » organisée par l’EPA : « Comment peut-on passer à côté de 50 000 emplois ? » Comme s’ils étaient déjà là, en « chair et en hausse»…

 Dès septembre 2012, lors d’une exposition-propagande d’Immochan à la Maison de l’architecture en Ile-de-France, j’avais dénoncé devant un public averti (essentiellement des architectes et urbanistes) resté goguenard le tour de passe-passe que représentait l'addition des emplois du chantier et ceux du projet Europacity après ouverture, comme si ces postes étaient simultanés alors qu'ils se succédaient. Intervention qui avait suscité l’hilarité des participants et des applaudissements.  Allègrement cumulées en effet, les deux phases « chantier » (construction de l’édifice et de ses aménagements) et « exploitation » (une fois la mise en service du centre) permettaient d’obtenir le total appréciable de 24 000 emplois, comme si les postes étaient interchangeables. On imagine pourtant difficilement un grutier ou un coffreur-boiseur qui, à l’issue du chantier, aurait poursuivi son activité comme vendeur en « vins et spiritueux » Moët /Hennessy ou en montres de luxe dans une boutique LVMH…

Etude Sémaphores peu éclairante

On aurait pu croire que ces calculs fallacieux fussent corrigés dans la version 2015 du dossier adressé par le maître d'ouvrage à la Commission nationale de débat public (CNDP) qui a permis enfin le démarrage de celui-ci, repoussé à deux reprises… Nous avions en effet observé que nos analyses et autres communiqués de presse étaient suivis de près par le promoteur qui rectifiait ensuite les exagérations par trop criantes. Pourtant, force est de constater qu’en matière d’emplois, les données se positionnent toujours – encore actuellement en 2017 – dans du PUR « DÉCLARATIF » : aucune étude sérieuse effectuée par le porteur de projet n’étant venue corroborer les allégations d’une manne d’emplois générés par l’implantation d’Europacity.
 
 Jusqu’en 2016, nous ne disposions d’aucune information venant étayer les affirmations contenues dans une débauche de plaquettes, tracts, livre et autres magazines abondamment distribués par Immochan dans une intense propagande. Aussi, dès que le dossier du maître d’ouvrage fut publié sur le site de la CNDP, nous nous sommes réjouis d’avoir accès ENFIN à la fameuse étude sur l’emploi du cabinet Sémaphores, que nous avions réclamée à de nombreuses reprises et restée jusque-là sous embargo. Même les auteurs de l’étude ECODEV commanditée par l’EPA Plaine de France en 2012[4] sur l’estimation des nouveaux emplois des 25 projets du Grand Roissy (dont Europacity) n’avaient pas eu accès au dossier et il leur avait été communiqué un simple total non justifié de 12 600 emplois pour la phase chantier et de 11 800 emplois directs pour la phase exploitation sans autres explications[5]. C’est donc avec une légitime curiosité que nous avons consulté le document Sémaphores, dont la version initiale datait de 2009, mais qui portait la mention prometteuse de « mise à jour 2015 »[6].

 Hélas, quelle ne fut pas notre déception : ce rajout s’est révélé totalement mensonger. Bien que la première phrase du document démarrât par « Dans un esprit d’anticipation »... ( !), dans les tableaux chiffrés, le temps s’était arrêté en 2009 (pour un chantier censé démarrer en 2019 et un centre ouvrir en 2024 !) 
Alors que fin 2015 pourtant, la parution du recensement INSEE de 2012 permettait une réactualisation des données. L'indigence de ce document de 21 pages qui (lorsqu'on enlevait les intercalaires de titres et les 2 tableaux annexes) n’en comportait en réalité que… 16 (en caractères 12 et avec une marge gauche et droite totalisant 6 cm !) …n’était pas sans rappeler le fameux rapport de Mme Tiberi sur la francophonie[7]. Constat sans appel : la boîte noire des estimations d’emplois ne s’était qu’entrebâillée, le cabinet Sémaphores (mal nommé) nous ayant fort peu éclairés.

C’est ainsi que nous avons lu avec stupéfaction page 9 du document – que nous rechignions à qualifier d’«étude » - le calcul ci-après (figure 1). Les chiffres du chantier étant évalués à 4200 emplois par an pendant 3 ans, il s’ensuivait ce résultat incroyable de : 4200 × 3 = 12 600 emplois. En effet d'après les auteurs (non cités), quand on occupe un emploi pendant 3 ans, cela représente 3 emplois ! Une absurdité qui n'avait été dénoncée par aucun acteur du territoire en dehors de notre Collectif, mais qui n’avait pas échappé à Mediapart[8]… Sans doute M. Dalstein, directeur de la société Alliages et Territoires[9] qui présentait inlassablement ces données dans les différentes réunions du débat public, formé en tant qu’ingénieur au maniement d’équations complexes, n’avait pas repéré une erreur de niveau cours élémentaire.


Pire encore, un petit encadré en grisé à la page 10 du dossier Sémaphores, sous le titre « mise à jour des données » (Figure 2), évoquait un allongement de la durée du chantier à 4,5 ans (à nouveau sans aucune justification, alors que le chantier de Disneyland en avait duré 3, pour une surface 4 fois supérieure), d’où un total prétendument réactualisé de 18 820 « personnes », apparemment confondues avec des emplois !! A noter toutefois qu’au cours du débat public, ce chiffre abracadabrantesque n’a jamais été cité par le maître d’ouvrage et est tombé en désuétude, sans doute en raison de son invraisemblance notoire.


Autre motif d’effarement : dans le tableau récapitulatif de la page 12 (fig. 3), nous avons découvert que le cabinet Sémaphores - sans crainte du ridicule, alors que notre Collectif avait dénoncé cette absurdité 4 ans plus tôt - avait reconduit l’addition aberrante des chiffres des phases chantier et exploitation, inscrivant un effectif global de : 24 380 emplois. A ce nombre s’ajoutaient 12 075 emplois induits, notion abandonnée depuis belle lurette par la plupart des bureaux d’études sérieux[10]. D’où un nombre total « d’emplois mobilisés sur le territoire » évalués à 36 455. Nous avions enfin débusqué l’origine de l’inflation des « 40 000 emplois d’Europacity » cités alors par la presse et les élus de l’est du Val d’Oise, arrondissant le chiffre au montant supérieur, dans un élan de générosité créant au passage d’un coup de calculette magique[11] 3 500 emplois supplémentaires ! Une ambigüité savamment entretenue entre le nombre d’emplois artificiellement gonflé d’Europacity et la totalité des postes escomptés, en adjoignant ceux du centre d’affaires prévu.


Ainsi, les membres du Conseil Départemental du Val d’Oise, les techniciens de l’EPA Plaine de France et d’Immochan ont continué à répéter à l’envi les calculs d’apothicaire de Sémaphores, jusqu’à ce que, ENFIN, en juin 2016, la CNDP ait commandé un dire d’expert indépendant sur cette question brûlante du nombre d’emplois générés par Europacity. Nous reviendrons sur cette « Analyse des impacts du projet EuropaCity en termes d'emplois » effectuée par M. Arnaud Degorre[12].

Multiplication miraculeuse d’emplois sur le chantier

En 2012, notre Collectif ignorait l’origine des comptes fantastiques des 12 600 emplois du chantier d’Europacity. Mais par chance, j’avais jadis participé à une mission d’étude et de conseil auprès de l’ANPE Ile-de-France (1989-1992) dans le cadre de l’implantation du parc d’attractions EuroDisney[13], qui avait pour objectif de déterminer le nombre de postes et les métiers générés par la phase chantier (durée : 3 ans), puis par la phase d’exploitation, prévue au printemps 1992[14]. (Constatons au passage que notre étude de 432 pages était 20 fois plus conséquente que celle de Sémaphores). En ce qui concernait le programme « construction », notre référence en 1990 en matière de grands chantiers était Eurotunnel qui venait de s’achever, le plus grand ouvrage du XXème siècle, représentant 10  000 emplois. Afin de calculer les besoins d’EuroDisney (d’importance équivalente), nous avions estimé des taux de productivité par analogie à Eurotunnel et détaillé avec la FNB (Fédération Nationale du Bâtiment, devenue aujourd’hui la FFB) les différents corps de métiers nécessaires, en référence à la construction d’autres sites Disney en Californie, en Floride et à Tokyo.

Aussi, je savais pertinemment qu’il était impossible d’alléguer pour le chantier d’Europacity - trente ans plus tard - un nombre d’emplois supérieur à Eurotunnel ou EuroDisney, ne serait-ce qu’avec les gains de productivité acquis depuis les années 90, liés à la mécanisation, à l’organisation du travail et à la qualification du personnel, sans commune mesure avec ces chantiers « historiques ». Sans compter des dimensions (EuroDisney, 1940 ha à l’ouverture, contre 80 ha pour Europacity) et un niveau de complexité (Eurotunnel, 55 kms dont 35 sous la mer) largement supérieurs. Pourtant, à aucun moment n’était évoqué par Sémaphores la question des gains de productivité à prévoir d’ici 2024. Alors que l’étude ECODEV du Grand Roissy signalait dès son introduction la nécessité de prendre en compte « la poursuite des gains de productivité (+ 1,5% / an) ».

Cette intuition d’une forte surestimation des emplois m’a ensuite été confirmée par l’analyse des grands chantiers en cours sur le territoire national lors du débat public. Car les effectifs affirmés par Immochan traduisaient une méconnaissance totale du fonctionnement actuel de la filière Construction. En effet, il n’y a en France que 3 ténors du bâtiment en capacité de remporter un marché de l’ampleur d’Europacity : Bouygues, Eiffage et/ou Vinci. Ces grandes entreprises possèdent des salariés permanents qu’elles affectent successivement sur leurs différents sites en fonction de leur planning de travaux et généralement logés sur place. C’est pourquoi les métiers du Bâtiment listés par Sémaphores (page 15) ne représentent aucune signification pour les travailleurs du territoire. Seuls comptent les postes non pourvus par l’entreprise qui conduit le chantier.

Ainsi, prétendre que les emplois générés par la construction d’Europacity constituent une opportunité pour la main-d’œuvre locale est une affirmation totalement fallacieuse. D’autant plus que fin 2015, l’activité du BTP traversait une phase de récession (la Fédération Française du Bâtiment déclarait cette année-là une baisse de 3% de son activité et le licenciement de 42 000 salariés), ce qui poussait bien évidemment les entreprises à conserver en priorité leur personnel permanent et à ne pas renouveler les contrats temporaires, réduisant d’autant les chances d’embauche d’actifs locaux. Rien n’empêche non plus l’entreprise - en l’absence d’une législation européenne rigoureuse dont la mise en place se fait attendre - de contractualiser avec des agences d’intérim étrangères ou des filiales d’Europe de l’Est par exemple, pour faire venir des travailleurs détachés.

Autre point : les activités à effectuer ne dépassent généralement pas quelques mois. Les différents corps de métiers ne travaillent pas toute la durée d’un chantier, mais se succèdent. D’abord les terrassements, ensuite le gros-œuvre et la structure, après le clos et le couvert, puis les corps d’état techniques (électriciens, plombiers)… puis vient le temps des finitions (peintres, carreleur, solier, serrurier)… A titre d’exemple, la construction du centre commercial Le Millénaire (50 000 m2, Aubervilliers) a enregistré une moyenne de 250 travailleurs sur le site, avec une pointe de 700 salariés présents ensemble. De même, pour le chantier du nouveau Ministère de la Défense boulevard Victor à Paris, 13 000 travailleurs se sont succédé en 3 ans, dont 2500 simultanément, réduisant à 7 mois la durée moyenne d’un emploi[15]

Au cours du débat public, l’erreur grossière de la multiplication par 3 des chiffres du chantier a miraculeusement disparu des déclarations du maître d'ouvrage. Mais Auchan a continué à affirmer 4200 postes pour la construction de son mégaprojet. L’étude « dire d’expert » commandée par la CNDP effectuée par M. Degorre, a réduit ces effectifs à 3350 emplois. Si on appliquait à ce total une durée moyenne d’activité de 7 mois, nous obtiendrions 1950 emplois ETP, maintenus pendant 3 ans. Pourtant les partisans d’Europacity s’entêtent encore aujourd’hui à brandir le chiffre de 4200. Mais surtout, il convient d’identifier sur ce total révisé la part dédiée aux travailleurs locaux. Nous reviendrons sur cette question.

En France en 2016, un seul grand chantier dépassait 4 000 emplois. Il s’agissait de la construction sous l’égide de Vinci de la LGV Bordeaux-Tours « Sud Europe Atlantique » d’une dimension sans précédent : 350 kms, 117 communes concernées, 400 ouvrages d’art dont 19 viaducs, 1,1 million de traverses en béton… Des travaux qui ont mobilisé 4500 salariés directs, dont 3200 personnels permanents et 1300 agents recrutés le long du parcours, dont 400 en insertion. De même, l’EPR de Flamanville qui couvre 120 ha, représentant 300 000 m3 de béton, 500 000 m3 de coffrage, 40 000 tonnes d’acier… n’a mobilisé que 3000 salariés dont 2000 permanents de l’entreprise Bouygues. En 2011, 500 demandeurs d’emplois locaux ont été embauchés après une formation financée par la région Basse-Normandie. Mais malgré l’organisation par Pôle Emploi d’un « bus de l’emploi » qui a drainé plusieurs centaines de candidats, le maître d’œuvre a préféré recruter un millier de travailleurs déplacés (roumains, bulgares, italiens, espagnols) en utilisant notamment les services de la société intérimaire aujourd’hui disparue Atlanco, déclarée à Dublin et établissant des contrats de travail par une filiale chypriote… Cette affaire qui a défrayé la chronique, a fait l’objet d’un jugement particulièrement laxiste[16], propre à encourager les pratiques de patrons peu scrupuleux.

Autre promesse non tenue : le tunnel du Lyon-Turin dont les annonces se sont envolées… jusqu’à 30 000 emplois. Pourtant, fin mars 2016, le chantier n'employait que 700 personnes (sous-traitants et intérimaires compris), tellement le taux de mécanisation est élevé[17]. Sans compter les incertitudes qui pèsent aujourd’hui sur la poursuite des travaux. A noter le revirement significatif de M. Carenco, alors préfet de la région Ile-de-France, sur la surenchère des emplois escomptés à Europacity. Tout d’abord, dans une vidéo mise en ligne sur notre site[18] qui date du 7 mars 2016, il affichait un mépris total pour les opposants au projet : « ceux qui sont contre… se foutent de l’emploi… ça ne les intéresse pas… ils sont retraités… »[19] Dans un deuxième temps, M. Carenco montrait davantage de circonspection sur les retombées en emplois du métro Grand Paris Express (19 à 20 000 ?) : « Je ne suis pas sûr qu’il en créera beaucoup au début, car les quatre gros chantiers de ligne à grande vitesse se terminent et les entreprises vont rapatrier leurs équipes »[20].

Pour le moment, les tunneliers, très mécanisés, mobilisent pour la construction de ce métro 1500 agents sur le terrain, essentiellement pour la prolongation de la ligne 14, qui accuse déjà deux ans de retard[21]. Au niveau national, la branche Bâtiment a enregistré en 2016 - pour la première fois depuis huit ans - une augmentation d’effectifs, mais fort modeste : 10 000 emplois pour l’ensemble du territoire, dont 4000 intérimaires[22]. Cela ne fait jamais qu’une centaine d’emplois par département, dont 40% à statut précaire. On est loin d’une masse mirifique d’embauches ! Et l’ensemble de la branche française des Travaux Publics avoue une « année blanche » (sans suppressions, ni créations) pour son bilan 2016, espérant une reprise en 2017.

Confusion entre « emplois » et « postes »

Les emplois que fait miroiter Auchan à Europacity constituent en réalité des « postes » de travail. Une partie de ceux-ci (laquelle?) ne représente que des « morceaux d'emplois », qu'il faudrait additionner pour obtenir des « emplois ETP » : équivalent temps plein. Sortir de cette incertitude statistique réduirait sans doute sensiblement les effectifs ETP escomptés… Lors du débat public, notre Collectif a posé la question des ressources humaines réellement mobilisées par les emplois affichés par Immochan : quelle était la part de temps partiels, de postes saisonniers ? Il nous a été affirmé que l’ensemble des emplois avait été calculé par le cabinet Sémaphores en ETP[23]. Qu’il nous soit permis de douter d’une réponse aussi globale ! A nouveau, nous nous situons dans du « déclaratif », des affirmations sans preuve, démenties par les pratiques des entreprises positionnées dans certaines filières (Commerces de détail en grandes surfaces ; activités de Tourisme-Loisirs…)

En France, en effet, la grande distribution est une championne de l’emploi à temps partiel, notamment féminin. D’après une étude de la DARES[24] la répartition de la durée du travail dans ces entreprises est la suivante :
  • 25% des salariés ont une durée hebdomadaire courte (moins de 24 h par semaine), répartie sur un nombre de jours restreint (moins de 5 jours) ;
  • 7% ont une durée hebdomadaire courte (moins de 24 h par semaine), étalée sur un grand nombre de jours (5 jours ou plus) ;
  • 12% travaillent moins de 5 jours et 24 h par semaine ou plus ;
  • 56% cinq jours ou plus, avec une durée hebdomadaire longue (24 h ou plus par semaine).
La forte proportion de ce qu’on appelle les « temps partiels longs » s’étalant sur au moins 5 jours traduit l’importance d'une flexibilité imposée au personnel. Un mode d'organisation qui permet de répondre à des pics d'activité quotidiens (heures de pointe) et à l'amplitude hebdomadaire, renforcée encore par la nouvelle législation sur le travail du dimanche. Travailler peu sur une grande amplitude de jours représente la forme de temps partiel la plus « subie » par les salariés, avec de longs moments d’absence du domicile et leurs effets collatéraux (problèmes de garde d’enfants, mais aussi insuffisance d’offre de transports en période creuse, impossibilité d’accès aux services locaux…), tout en ayant peu d’heures effectivement travaillées et donc payées.

Par ailleurs, les parcs de loisirs français sont soumis à une forte saisonnalité, ce qui incite une grande partie d’entre eux à cesser leur activité durant l’hiver. Le parc d’attraction Astérix (n°3 français), ouvre 7 mois, du 1er avril au 15 novembre. Avec 220 permanents, il recrute 1000 personnes chaque année, soit un taux de saisonnalité de 82 %. Le Puy du Fou - au deuxième rang national derrière Disneyland – est en activité d’avril à septembre inclus. Il fonctionne avec 150 salariés permanents pour un effectif total de 1800 personnes, soit un taux de saisonnalité de 92%. Et chaque année, Disneyland organise une grande campagne de recrutement, la dernière en octobre 2016[25]: 8000 postes à pourvoir d’ici mars 2017, dont probablement un millier en CDI comme dans le casting de l’année précédente. Ce qui traduit bien le fort turnover du personnel, renouvelé chaque année à 53% et aussi l’importance des flux de CDD, dont la majorité pour 4 mois en période d'été.

Prétendre que les emplois estimés d’Europacity seraient tous à temps plein, alors que 30% de ceux de la grande distribution sont à temps partiel, et que la saisonnalité des emplois des trois plus grands parcs d’attraction français varie de 53% à 92% n’est pas sérieux. Cette question a été totalement occultée par le cabinet Sémaphores. Mais aussi par l’expert M. Degorre choisi par la CNDP pour émettre un avis indépendant sur les effectifs générés par Europacity. Si nous appliquons les moyennes observées plus haut (hypothèse basse : Disney) aux effectifs indiqués par ce dernier, nous serions conduits à réduire les emplois de commerce à 3300 ETP et ceux de loisirs à 650 ETP. 


Quelle corrélation entre investissements et nombre d’emplois ?

Dernière incertitude sur le nombre d’emplois escomptés : la méthode de calcul utilisée pour estimer les effectifs par catégorie. Pour mesurer l’emploi direct en effet, le bureau d’études Sémaphores s’est basé sur les investissements annoncés par Immochan et les a convertis en emplois, en s’appuyant sur des ratios d’investissements par emplois issus de l’Enquête Annuelle des Entreprises (EAE) de l’INSEE. Ici encore, sont utilisées des données anciennes (2009) pour un chantier censé démarrer en 2019 et une ouverture du centre en 2024, respectivement 10 et 15 ans plus tard. Sans aucune réactualisation, démentant l’annonce indiquée en page de couverture « mise à jour 2015 ».

Généralement, les études prospectives sur l’emploi identifient les différents volumes d’activités prévus et les déclinent ensuite en catégories d’emplois et en métiers

C’est la procédure utilisée par l’étude ECODEV, qui a interrogé les différents syndicats professionnels de branche et un certain nombre d’entreprises présentes sur le bassin de Roissy. Cette double approche - macro-économique par filières, et locale appuyée sur des exemples existants - permet une identification fine des besoins, mis en regard ensuite avec des statistiques émanant de l’UNEDIC, de Pôle Emploi et du Ministère du Travail (DARES, CEREQ, CEE… ) et bien entendu de l’INSEE. En quarante ans de carrière, je n’ai jamais observé une corrélation scientifiquement prouvée entre les investissements mobilisés par un projet et son nombre d’emplois. Je dirais même que plus l’investissement est lourd, plus les entreprises sont mécanisées (cf. les tunneliers du métro express) et moins elles génèrent d’emplois. Par exemple, le chantier de l’EPR de Flamanville représente plus de 10 milliards/€ pour 3000 emplois. Et le tunnel Lyon-Turin pourrait coûter 26 à 30 milliards/€… pour 3000 emplois, dernier chiffre évoqué par Louis Besson, ancien maire de Chambéry, un des plus ardents défenseurs du projet.

Curieusement, dans l’expertise indépendante commandée par la CNDP, M. Degorre a reconduit cette méthode macro-économique, en la tempérant, mais sans la refuser. Ce qui aboutit au chiffre de 10 115 emplois, qui est maintenant repris par l’équipe de La Belle Étoile, le nouvel intitulé du maître d’ouvrage porteur d’Europacity.

Nous n’entrerons pas davantage dans ces querelles de chiffres. Car il ne faudrait pas que la bataille sur le nombre d’emplois fasse oublier l’enjeu essentiel du débat. Quand bien même ce projet générerait des milliers d’emplois, nous sommes en mesure de prouver qu’ils ne seraient guère utiles au territoire. Un point essentiel qui est systématiquement évacué. Les discussions sans fin sur les hypothèses du nombre de postes effectivement créés constituant un écran de fumée, qui permet d’éclipser la question centrale : quelle proportion - sur le total de ces emplois – serait attribuée à la main-d’œuvre locale ? 

C’est ce que nous examinerons dans la deuxième partie de ce chapitre : l’UTILITE LOCALE DES EMPLOIS d’EUROPACITY.

[1] Le nom officiel « EuropaCity » avec deux majuscules semblerait indiquer qu’il s’agit d’une ville. Impossible : le site est interdit à l’habitat, frappé de servitudes liées à la proximité de l’aéroport de Roissy. C’est pourquoi, refusant le terme usurpé de « ville », « city » est volontairement écrit en minuscules.

[2] Le groupe Auchan, spécialiste de ce qu’un doux euphémisme appelle « optimisation fiscale » a récemment remplacé la société maître d’ouvrage d’Europacity « Alliages et Territoires » par une nouvelle structure « La Belle Etoile » pour des raisons inexpliquées, société elle-même filiale d’Immochan, à son tour filiale immobilière d’Auchan. Dans un système de « poupées russes » à emboîtements successifs contribuant à son opacité. D’où le surnom donné parfois à Europacity : Eur- Opacity.

[3] www.nonaeuropacity.com

[4] Estimation quantitative et qualitative des nouveaux emplois futurs, du Grand Roissy au pôle métropolitain du Bourget, ECODEV-CONSEIL, 1992, consultable sur le site www.plainedefrance.fr

[5] Ce qui n’a d’ailleurs pas empêché ensuite les promoteurs du projet de désigner ces chiffres par le terme usurpé « d’emplois estimés par ECODEV ». Jugeait-on que ce cabinet-conseil constituait une meilleure caution scientifique que celle de Sémaphores ?

[6] Ce document fortement décrié est consultable sur www.debatpublic.fr/projet-europacity in « documents du porteur de projet ».

[7] Nous ignorons si les émoluments versés aux auteurs ont été négociés aussi généreusement.

[8] Cf. le communiqué de presse du CPTG, dont la date est bien trouvée : 1er avril 2016. Ces méthodes statistiques douteuses ont été dénoncées dans un article de Jade Lindgaard, Le projet Europacity, un mirage aux emplois, 12 avril 2016, Mediapart.

[9] Il a été remercié depuis. Et nous notons que M. Lebon, n° 2 de la société, parle désormais de 10 000 emplois (phase d’exploitation).

[10] L’étude ECODEV de 2012 précisait en introduction que les emplois induits étaient « non intégrés dans la démarche car non identifiables et très diffus ». En effet, la méthode de calcul qui consiste à affecter une partie des revenus des salariés de l’entreprise à des consommations effectuées exclusivement sur le lieu d’habitat des travailleurs, traduites ensuite en équivalents-emplois repose sur un cumul d’hypothèses tout à fait discutables.

[11] Expression de Jade Lindgaard, op. cit., note 8.

[12] Arnaud Degorre, Analyse des impacts du projet Europacity en termes d’emplois, expertise complémentaire présentée à Aulnay-sous-bois, le 16 Juin 2016, consultable sur le site de la CNDP.

[13] Dénommé aujourd’hui Disneyland-Paris.

[14] EuroDisneyland, bilan prévisionnel de l'emploi, J.L. Husson, J. Lorthiois, J. Buzy. Commanditaires : ANPE et Conseil Régional d'Ile-de-France 4 volumes, 432 pages, 1990.
- volume 1: synthèse critique des données disponibles
- volume 2: phase chantier: emploi et besoins de formation
- volume 3: les métiers de la phase Parc de Loisirs
- volume 4: annexes - comptes-rendus d'enquêtes

[15] On observe avec cet exemple que la confusion entre les « emplois » ETP effectivement occupés… et les « personnes » qui défilent sur un chantier permet de passer d’un chiffre de 2500 emplois ETP maintenus pendant 3 ans à 13 000… Se reporter à la figure 2 de la page 3.

[16] En mars 2017, Bouygues a été condamné à 29 950 € d’amende pour 460 salariés polonais et roumains détachés par Atlanco en 2009-2011. L’amende inférieure à 30 000 € permet à l’entreprise de conserver l’accès aux marchés publics. La CGT estime le préjudice d’ensemble pour l’URSSAF à plus de 11 millions d’euros.

[17] www.lelanceur.fr/emploi-le-lyon-turin-ne-tiendra-pas-ses-promesses/

[18] « Grand Paris : quand J. F. Carenco fait un déni de démocratie », in www.nonaeuropacity.com

[19] Au risque de le contredire, notre Collectif est composé à 56% d’administrateurs en activité.

[20] Sibylle Vincendon, « Grand Paris Express : premiers chantiers, premiers milliards », in Libération du 20 janvier 2017.

[21] Rappelons que la mise en service de l’actuelle ligne 14, prévue initialement pour la coupe du monde de football de 1998, a été inaugurée par Jacques Chirac… un an plus tard.

[22] En 2008, les effectifs de la branche Bâtiment représentaient 323 000 personnes ; 218 400 en 2015 ; une légère remontée en 2016 : 228 000, soit une perte de 30% des emplois en 8 ans.

[23] Un exemple le 12 avril à une réunion du débat public. A une interrogation de la présidente Mme Brévan, à propos du personnel hôtelier, M. Arlandis, du cabinet Sémaphores, répond : « ce sont des données en personnes, en ETP, en équivalent-temps-plein ». Nous sommes en pleine confusion, puisque les « personnes » sont assimilées à des « emplois ETP », alors que les personnes occupent des « postes » d’une durée variable. Et que c’est en additionnant ces postes « plus ou moins entiers » qu’on obtient le nombre d’emplois ETP !

[24] DARES Analyses, Le temps partiel en 2011, Janvier 2013.

[25] Le Parisien, 29 octobre 2016.


Source : https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/140617/le-betisier-deuropacity-2-la-proliferation-demplois-fantomes

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