Le trafic des pesticides interdits est en plein boom
OLIVIER MARY (REPORTERRE)
mardi 18 mars 2014
Les fraises sont bourrées de pesticides interdits de longue date. On trouve aussi de ces poisons dans les carottes, radis, abricots, selon un rapport officiel passé inaperçu. Un véritable trafic de ces pesticides est en place et se développe continuement. L’administration n’a plus les moyens de l’enrayer.
Fin 2013, la Direction générale de l’alimentation du ministère de l’agriculture (DGAL) a rendu publique une note d’information, faisant le bilan des plans de surveillance et de contrôle mis en œuvre par l’organisme en 2012. Les résultats sont édifiants.
Sur les 546 échantillons prélevés à la récolte, dont 324 échantillons de légumes et 222 de fruits, 55 présentent des résultats supérieurs aux limites maximales de résidus (LMR) et/ou des substances actives sans autorisation de mise sur le marché sur la culture (voir page 76 du document) :
Quarante-et-un d’entre eux affichent à la fois des traces de molécules interdites et dépassent les limites autorisées. Carottes, radis, abricots, ou concombres : aucun n’est épargné :
Mais c’est le cas des fraises qui est le plus inquiétant. Déjà révélé en juillet 2013 par une enquête de l’association Générations Futures, l’épandage en quantité de produits phytosanitaires parfois interdits par l’Union européenne, en particulier sur ces fruits rouges, est confirmé par les fonctionnaires du ministère de l’agriculture.
Imidaclopride, Pymétrozine, Acetamipride, Dicofol, et Endosulfan, voici le cocktail explosif présent sur les fraises contrôlées par le ministère. Le Dicofol, s’il n’est pas parmi les produits les plus toxiques, est quand même interdit depuis 2010 par les autorités de Bruxelles. Quant à l’Endosulfan, il est prohibé depuis 2008 suite à une décision européenne prise en 2005 !
En 2011, des représentants de 127 gouvernements se sont réunis à Genève afin de limiter la présence de cette substance dans les pesticides et insecticides et l’ont inscrite sur la liste noire de la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP). L’objectif est son interdiction complète.
Irritations, hyperplasies de la thyroïde, diminutions de taux des hormones, voici quelques-uns des effets constatés chez les mammifères. Mais il est aussi extrêmement toxique pour les poissons d’eau douce, oiseaux et abeilles. Comment expliquer que l’on retrouve ce poison en de telles proportions plusieurs années après son retrait du marché européen ?
Des achats transfrontaliers illégaux
« Il est certain que certains agriculteurs se fournissent en produits phytosanitaires interdits à l’étranger, et notamment en Espagne, où, pendant des années, on a beaucoup utilisé l’Endosulfan dans des plantations de poivrons, » dénonce François Veillerette, porte parole de Générations Futures.
Un constat partagé par l’industrie des pesticides : « En Languedoc-Roussillon, ces importations pourraient représenter 70 % du marché total, évalué à trente millions d’euros. Il s’agit principalement de produits génériques achetés sous le couvert d’une AMM [autorisation de mise sur le marché] espagnole, qui n’ont pas fait l’objet d’une demande d’homologation en France ou, plus grave, de produits interdits en France mais vendus en Espagne par dérogation obtenue au motif de nécessité locale absolue. Tel a été, pendant des années, le cas de l’arsenic de sodium interdit en France depuis 2002 », a reconnu lors d’une audition au Sénat Daniel Roques, président de l’Association des Utilisateurs et Distributeurs de l’Agro-Chimie Européenne (AUDACE).
Mais il y a plus grave. L’achat de produits contrefaits bon marché, dont les contenus ne sont pas toujours fidèles à l’étiquette, se développerait… et les trafics aussi. Toujours devant le Sénat, Fredéric Vey, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux à la DGAL, a déclaré que des « des opérateurs effectuent des commandes groupées depuis la France et distribuent ensuite les produits chez les agriculteurs. »
Les agents de l’Office national de la chasse et les gendarmes ont d’ailleurs démantelé en 2013 un trafic de pesticides à Albi. Le Carbofuran était illégalement importé d’Espagne et revendu dans la région.
Une justice clémente et des contrôles en baisse
Quel intérêt pour ces agriculteurs de prendre le risque de se fournir à l’étranger ? « Un produit comme l’Endosulfan est peu cher et très ‘’efficace ’’ », avance François Veillerette. Alors, certains tentent le coup… D’autant qu’ils ont peu de chance de se faire prendre.
Quant aux malchanceux pris dans les mailles extralarges du filet, ils bénéficient souvent de la clémence de la justice. Fin 2013, un viticulteur audois a été condamné par le tribunal de Béziers, à deux mois de prison avec sursis et 1 000 € d’amende pour avoir transporté et utilisé des produits interdits.
Une indulgence qui est bien plus inquiétante quand elle concerne des trafiquants. Dans une décision du 10 octobre 2013, le tribunal correctionnel d’Albi condamnait un agriculteur reconnu coupable de trafic à une amende de 2100 euros, plus 500 euros de dommages et intérêts à France Nature environnement, qui s’était portée partie civile.
Les agents chargés de l’enquête ont calculé que le prévenu avait fait un bénéfice de plus de 16 000 euros et agi en toute connaissance de cause. Le code rural prévoit pourtant jusqu’à six mois d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Il n’y a pas de réelle volonté politique de faire changer les choses. Les contrôles sont peu nombreux : en 2012, la DGAL a effectué 5 972 inspections d’exploitations pour contrôler l’usage de pesticides, un taux de contrôle de 0,2 %. Le nombre d’échantillons analysés à la récolte a même décru de 23 % en deux ans.
Une situation dénoncée dans le dernier rapport de la cour des comptes. En cause, des contraintes budgétaires : au niveau départemental, le personnel chargé des inspections a baissé de 6,8% entre 2009 et 2012. La faute au précédent gouvernement, selon le Ministère de l’agriculture.
Mais, depuis leur entrée en fonction, Stéphane Le Foll et Guillaume Garot se sont contentés de « stopper l’hémorragie des effectifs ». Il faudrait agir plus fermement pour faire respecter la loi. D’autant que le trafic pourrait devenir mondial. En quelques clics, il est désormais possible d’acheter toutes sortes de produits phytosanitaires sur internet.
Source : Reporterre
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