Et alors ? On s'y met quand ? Partout où c'est possible ?
A Saint-Dié, des maisons sans chauffage, «un devoir d’humanité»
06 MARS 2014 | PAR JADE LINDGAARD
À Saint-Dié, dans les Vosges, l’une des villes les plus froides de France, on construit des logements sociaux sans chauffage, ou équipés d’un simple poêle à bois. Objectif : réduire les charges des locataires et redistribuer des revenus grâce aux économies d’énergie.
Façade de l'immeuble Jules-Ferry, à Saint-Dié-des-Vosges, février 2014 (JL)
Aucun radiateur n’équipe ses 26 logements ouverts sur de grandes baies vitrées exposées plein sud. C’est un bâtiment « passif », c’est-à-dire énergétiquement autogéré. Grâce à son isolation hors norme et son étanchéité à l’air, il protège ses habitants du froid. Ses parois extérieures en fibre végétale permettent à la vapeur d’eau de circuler, et sa ventilation permet de répartir la chaleur intérieure émise par ses habitants (chaleur corporelle, cuisine, appareils électriques). Dans l’une des villes les plus froides de France, à Saint-Dié-des-Vosges, en zone de petite montagne, où l’hiver la température peut tomber à moins 15 °C, le bâtiment se chauffe par lui-même.
Et ça change tout : les ménages en difficulté (logements PLAI) et locataires à revenu modeste (PLUS) qui y vivent ne paient plus de charges de chauffage. Hors aide locative, leur loyer est d’environ 5 euros par mètre carré, soit 400 euros par mois pour ces trois pièces. En comparaison, les factures de chauffage au fioul pour les maisons individuelles mal isolées, si nombreuses dans la région, peuvent atteindre 3 500 ou 4 000 euros par an, selon l’estimation du bailleur.
Les charges restantes du « Jules-Ferry » (eau chaude, électricité, ventilation et entretien) ne devraient plus atteindre que 132 euros par an, soit 11 euros par mois environ. Presque rien. L’eau chaude est pompée par géothermie ; des panneaux solaires apportent des calories supplémentaires. L’eau usée est récupérée pour en réutiliser la puissance calorifère. « Elle est à 96 % gratuite », estime Jean-Marc Gremmel, directeur du Toit Vosgien, l’office HLM (privé) qui a fait construit le bâtiment. Pour lui : « Moins les locataires ont de charges, plus ils récupèrent de pouvoir d’achat. Construire des bâtiments non énergivores, c’est un devoir d’humanité. On sait construire des logements sans énergie fossile et sans chauffage électrique : pourquoi ne pas le faire, du moment qu’on reste dans les prix du marché ? »
Sous l’immeuble, dans la salle des machines, deux ballons suffisent à contenir l’eau chaude de tout l’immeuble. Un ordinateur permet de suivre en direct la température, l’humidité, la puissance de chauffage, la consommation d’eau de chaque logement. Livré en décembre dernier, le bâtiment achève son tout premier hiver, particulièrement clément. Résultat : en janvier, la consommation réelle de chauffe est proche de 0 kWh/m2 dans les appartements. Le budget total du bâtiment avoisine les 5 millions d’euros pour le bailleur. « Ce type de projet est reproductible, ce n’est pas un délire architectural », assure le directeur du Toit Vosgien, à la tête d’un petit parc (3 100 logements en tout, soit 10 % environ des logements sociaux dans les Vosges). La ville est majoritaire à son capital.
Au 7e étage, une femme vient d’emménager. Elle ouvre volontiers sa porte, fière de ce logement social qui se visite comme on va admirer les prototypes du Salon de l’auto. Deux chambres, une salle de bains, un cellier, un vaste salon, un grand balcon, un long couloir. Tous les cartons n’ont pas été défaits. La vaste fenêtre du salon s’ouvre sur la ligne des Vosges, prises dans le brouillard de cette fin février. Pas de volet, seuls les rideaux sont autorisés, pour laisser le soleil entrer même en l’absence prolongée des habitants. Pas de baignoire, une douche à bouton-poussoir qui lâche un jet d’eau de trente secondes puis s’arrête. Comme dans une piscine municipale. « On a hésité à adopter ce système, pour ne pas trop contraindre les locataires, mais il leur permettra d’économiser en eau », explique le bailleur. Des familles ont refusé ces règles. Notre hôtesse ne semble pas ennuyée. L’ascenseur est régénératif : son énergie de freinage est récupérée pour éclairer les couloirs. Il contribue aux efforts du bâtiment. « Ça ne peut pas marcher sans les locataires, il faut les impliquer, explique Vincent Pierré, du bureau d’études Terranergie, conseil sur le projet. On passe une demi-journée avec eux au moment de la livraison. »
"Ça n’a rien de bobo, écolo, folklo"
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L’immeuble du Toit Vosgien bat un record de hauteur pour un bâtiment de paille et de bois – une tour de 15 étages est aujourd’hui à l’étude. Mais il n’est pas le premier bâtiment passif en France. Des HLM « passifs », on en trouve à Béthune (voir ici), près de Reims, en Rhône-Alpes, à Brest, ou en Loire-Atlantique.
Sur les hauteurs de Saint-Dié, le bailleur a développé une autre offre de logement à caractère expérimental : « les toits de la Corvée ». Une vingtaine de pavillons HLM chauffés au bois, qui alimentent aussi l’eau chaude en calories, grâce à un ingénieux système de poêles-bouilleurs. Claire et Nicolas Diss habitent l’une de ces maisons avec leur enfant :« On s’est rendu compte qu’on faisait des économies délirantes, expliquent-ils un soir autour de la table du salon. On paie 80 euros de chauffage par an. Avant, on payait 200 euros par mois en hiver, pour une surface deux fois plus petite, de 50 m2. » Tout autour, la pièce est chaude, bien au-dessus des 19 °C réglementaires. Une bûche brûle dans le poêle installé face au canapé, à côté de la télévision. Loyer de leur maison de 120 m2 : 623 euros par mois tout compris.
Leur voisine, Marie-Hélène Meyer, estime dépenser 200 euros par an en stères de bois, « au grand maximum. Avant je dépensais environ 800 euros par an pour le chauffage dans un F3, tout en béton, au chauffage électrique, où l'on avait toujours froid ». Autour d’elle, les murs de bois sont nus, comme dans un chalet. « Ça m’apaise, ce bois, j’aime bien, je sens que ça respire. Le feu du poêle me détend énormément. J’ai l’impression que je suis en pleine montagne. » Seul inconvénient à ses yeux : une facture d’électricité trop importante, près de 80 euros par mois, qu’elle attribue au système de ventilation.
Depuis les lois Grenelle, les logements sociaux neufs, comme tous les autres bâtiments, doivent limiter leur consommation d’énergie à environ 50 kWh par mètre carré (conformément à la réglementation thermique 2012). Soit bien au-dessus de ce qu’accomplissent les constructions passives (pas plus de 15 kWh/m2). Le standard Passivhaus, d'origine allemande, est le plus exigeant en performance énergétique. De plus en plus répandu en Europe (notamment en Allemagne, en Autriche, dans les pays scandinaves), il reste très minoritaire en France.
En pleine bataille préparatoire de la loi sur la transition énergétique, les scénarios d’évolution de la demande d’énergie font chez nous l’objet d’âpres disputes : tenants du statu quo nucléaire contre défenseurs de la sobriété énergétique. Le logement et les bureaux en sont l’un des premiers enjeux. Le bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie en France, avec 42,5 % de l’énergie finale totale, et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre. La facture annuelle de chauffage représente 900 € en moyenne par ménage, avec de grandes disparités (de 250 € pour une maison « basse consommation » à plus de 1 800 € pour une maison mal isolée, voir ici).
Dans ce contexte, l’expérience de Saint-Dié a valeur d’exemple. Si l’on sait techniquement construire des immeubles de HLM qui n’occasionnent plus de dépenses de chauffage pour leurs habitants, pourquoi l’État n’en fait-il pas un objectif prioritaire ? Hissée à ce niveau d’efficacité, l’écoconstruction ne remplit pas que des objectifs environnementaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de réduction d’empreinte carbone. C’est au moins autant une politique de redistribution sociale qui permet d’augmenter les ressources de foyers modestes en réduisant l’enveloppe de leurs factures imposées.
Pour Jean-Marc Gremmelle, du Toit Vosgien : « Ça n’a rien de bobo, écolo, folklo. La construction en bois, c’est du pragmatisme pour trouver une bonne manière de consommer. » Pour Vincent Pierré, expert en maisons passives, « ce n’est pas une lubie du développement durable. C’est une réponse à un problème de physique du bâtiment ». Surtout, il propose de changer radicalement de représentation sur le confort thermique : « Le chauffage n’est qu’une adaptation constante aux erreurs de conception » d’un bâtiment, affirme-t-il, citant l’Autrichien Gunther Lang, grand spécialiste des maisons basse économes en énergie. Autrement dit, un outil correcteur des défauts d’un bâtiment. Un attribut superflu, condamné à disparaître.
Source : http://www.mediapart.fr/journal/france/060314/saint-die-des-maisons-sans-chauffage-un-devoir-d-humanite
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