Orthorexie : Nouvelle Pathologie pour Faire Plaisir aux Lobbies Pharmaceutique et Agro-Alimentaire

On a reçu ça : 

C'EST GRAVE, DOCTEUR ?

La semaine dernière, notre Pujadas national nous annonçait en fin de journal une nouvelle pathologie mentale de plus en plus répandue : l'orthorexie, trouble du comportement qui consiste à accorder une attention excessive à sa nourriture, en choisissant des aliments qui ne sont pas dangereux pour la santé et en consacrant beaucoup de temps à leur préparation, avec en exemple un gusse qui, après sa gym du matin boit un verre d'argile, se prépare des jus de fruits et des légumes de préférence bios et évite les sucres, la viande et les produits laitiers. Ce comportement, nous explique David, conduirait à une coupure avec la société des gens normaux, en plus de risques purement médicaux et concernerait, tenez-vous bien, une personne sur cinq dans notre beau pays, mais le trouble est le plus souvent nié par les intéressés. C'est pas nouveau, mais ça vient de sortir...

Le lendemain, j'écoutais l'émission scientifique de France Inter à 14h, sur le thème : "Les 7 péchés capitaux revus sous l'angle de la psychopathologie". Le psychiatre invité parla d'abord de la gourmandise, qui n'est plus considérée comme un péché ni comme une pathologie psychiatrique, sauf sous ses formes extrêmes, l'hyperphagie qui consiste à se goinfrer exagérément, ou à l'opposé l'orthorexie qui consiste à trop faire attention à la manière de manger et à ce que l'on mange, pathologie apparentée aux troubles obsessionnels compulsifs de plus en plus courante...

Bigre, me dis-je, voila donc une offensive médiatique qui pointe là un véritable problème de santé publique et du même coup me désigne instantanément comme gibier de psy...

En cherchant un peu sur goût gueule, j'apprends que je cours le risque d'asociabilité, que "du manger droit au marcher droit, il n'y a qu'un pas", que je relève d'une thérapie cognitivo-comportementale, et que les résultats du test sont sans équivoque : je devrais aller consulter.

Je vais me laisser aller à un peu de fiction sociétale :

Nous sommes en 2016.

Le dépistage, la prévention et le traitement de l'orthorexie sont une des priorités du gouvernement, surtout depuis que la Miviludes a établi de manière formelle le lien entre cette pathologie et les sectes. Une commission interministérielle a été mise en place.

La lutte contre l'orthorexie vient d'être décrétée grande cause nationale pour 2017.

Certains ministres se sont particulièrement illustrés dans ce combat ; leurs détracteurs ont fait état de leur proximité avec les lobbies pharmaceutique et agro-alimentaire, mais on les a démasqués comme étant de vulgaires complotistes.

Les débats ont agité les plateaux, non pas entre les partisans du "manger sain" (vite déconsidérés) et les autres, mais entre les tenants de la manière forte pour endiguer le fléau et ceux qui penchaient en faveur de mesures incitatives.

En définitive, on en est venu à rappeler les grands principes républicains : de même que nous vivons dans un pays de libre expression où on ne peut pas tout dire, nous avons la liberté de choisir la nourriture qui est dans nos assiettes à condition qu'elle soit raisonnablement empoisonnée.

Des lois ont été votées en ce sens.

C'est dans ce contexte que je reçois un appel téléphonique de mon centre médical :

"On a reçu le résultat de vos analyses, il faut prendre rendez-vous au plus vite avec votre médecin traitant".

Le lendemain, plutôt inquiet, je suis dans le cabinet du docteur Merfen :

• Voila, j'ai vos résultats, et c'est comment dire... préoccupant, je ne veux pas vous inquiéter, Dieu merci le dépistage n'est pas trop tardif... rassurez vous, il y a des solutions..., mais, euh, il faut prendre les choses en mains sans attendre...
• 
  
• ???
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• Eh bien, à vrai dire, chaque chiffre pris séparément n'est pas vraiment alarmant, au contraire, vous n'avez pas d'anomalie lipidique, le cholestérol et les triglycérides ça va, transaminases ok, acide urique impec... Mais il est tout à fait anormal à votre âge qu'il n'y ait aucune indication de tendance à, je ne sais pas, moi, un risque de diabète, d'urémie, de maladie cardio-vasculaire ou n'importe quoi, mais là, rien...

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• Et alors ?
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• Et alors, j'ai bien peur que vous soyez orthorexique !
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• C'est grave, docteur ?
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• Ca peut l'être si on ne se soigne pas. Qu'est-ce que vous mangez, au juste ?
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• Ben, surtout des fruits et des légumes...
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• J'en étais sûr ! Et vous pesez combien ?
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• Trois fois par semaine, à peu près...
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• Je vous en prie ! C'est bien le moment de plaisanter ! ... Montez sur la balance... 64 kilos... Pour votre taille, la moyenne dans votre tranche d'âge est de... 86 !!!
  Vous vous rendez compte ! Nous avons 22 kilos à gagner... et des analyses à améliorer. Je n'ai pas le choix, je dois vous diriger vers un confrère spécialiste. C'est un éminent psycho-nutritioniste agréé pour traiter les cas comme le vôtre, le docteur Temesta, il fait des merveilles, ma secrétaire va vous obtenir un rendez-vous d'urgence...

Trois jours plus tard, dans la luxueuse clinique du docteur Temesta.

Son regard métallique fait l'aller-retour par dessus ses lunettes entre mon dossier et ma misérable personne :

• Mmmh... je vois... ah là là ! ... Eh bien, cher Monsieur, il y a au moins une bonne nouvelle : vous êtes au bon endroit et nous allons tout faire pour vous tirer de là, dit-il avec un sourire engageant. Tout d'abord, je dois m'assurer que vous êtes bien convaincu de la nécessité du traitement : la prise de conscience est le premier stade de la guérison. Est-ce que vous vous rendez bien compte des risques que vous courez et que vous faites courir à la collectivité ?
• 
  
• Ecoutez, tenté-je, je me porte à merveille, et je ne vois pas bien ...
• 
  
• Cher Monsieur, je vous arrête tout de suite, me coupa-t-il. Que vous soyez en bonne santé, c'est votre impression, mais les carences sont à l'oeuvre et vous ne tarderez pas à en sentir les effets irréversibles. Par ailleurs, nous devons aussi et surtout envisager le coût social de votre attitude irresponsable...
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• Justement, me rebiffé-je, au moins je ne contribue pas au trou de la Sécu ...
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• Cher Monsieur, je vous invite à voir les choses sous un angle plus large : Vous n'ignorez pas que depuis la fermeture récente de nos usines automobiles et aéronautiques, les seuls secteurs de notre industrie qui tiennent encore debout sont l'agro-alimentaire et l'industrie pharmaceutique. Les gens comme vous menacent gravement par leur inconscience ces deux piliers de notre économie, et ils sont de plus en plus nombreux. Si nous ne réagissons pas au plus vite, nous allons tout droit vers les faillites en série, les fermetures de sites avec leur cortège de misères humaines, un chômage à plus de 45%, la montée des populismes et leurs conséquences désastreuses, ce n'est pas ce que vous souhaitez, j'espère ??? ...
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• Ben non, bredouillé-je ...
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• Eh bien, cher Monsieur, nous sommes d'accord... Avez vous des antécédents héréditaires ?
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• Je ne crois pas, balbutié-je, ma Maman me faisait manger du bifteck (elle avait aussi tenté de me faire apprécier le pâté végétal, mais je me gardai bien d'en parler)
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• Nous verrons cela de plus près au cours de nos prochaines séances, dit-il après un regard inquisiteur, ainsi que les ressorts qui vous ont conduit à ce trouble, probablement un certain déficit d'estime de soi, mais n'anticipons pas... Est-ce que vous fréquentez des cercles orthorexiques ?
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• Alors là, non, protesté-je, mes amis boivent de la bière et font griller la saucisse...
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• Nous vérifierons, cher Monsieur. Ecoutez, nous allons dès maintenant mettre en place un protocole très facile à suivre dont je vous garantis l'efficacité. Rassurez vous, il ne s'agit pas du tout d'un régime strict, je n'y crois pas personnellement, vous pouvez même manger de temps en temps des fruits et des légumes, y compris du bio. A condition que ce ne soit pas trop souvent ce n'est pas grave, mais laissez vous aller! Allez dans les hypermarchés, servez vous dans tous les rayons, les confiseries, la boucherie, les laitages, la charcuterie, le poisson, les conserves... Lâchez-vous sur les sucres, les graisses, les conservateurs, les pesticides et les OGM, arrêtez de regarder les étiquettes ! Je vais vous dire : tous les produits qui sont mis sur le marché ont été testés et approuvés par des agences gouvernementales compétentes, ayez un peu confiance, que diable !
  Et puis, disons 5 à 6 fois par semaine ou plus, offrez vous un bon McDo, c'est une valeur sûre, ou bien un KFC, au moins on sait que leurs poulets ne sont pas élevés au grain.
  En complément, je vous fais une ordonnance : 3 gélules de Graduspan matin, midi et soir, en alternance avec autant de comprimés de Pustulaze, et une fois par semaine une dose de Toxitron, en une seule prise. Si vous lisez les notices, ne vous inquiétez pas pour les effets secondaires, ils sont largement exagérés. De toutes façons, dans votre cas, il faut frapper fort.
  Mais tout cela devrait vous remettre d'équerre, cher Monsieur. De toutes manières, nous verrons bien vos prochaines analyses.
  Ah, une dernière chose : Au cas où vous refuseriez d'y mettre du vôtre, vous savez sans doute qu'une récente circulaire interministérielle prévoit la suppression des remboursements de l'assurance maladie et des versements d'indemnités de chômage et de retraite. A vous de voir.
  Ma secrétaire va fixer avec vous les deux rendez-vous hebdomadaires pour les mois à venir et le calendrier des analyses de contrôle.
  Mes honoraires sont de 95 euros par séance, ne vous en faites pas, ils sont intégralement remboursables.
  Au revoir, cher Monsieur.

Je déconne ? D'accord. Mais pas tant que ça.