La manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes dégénère
Le Monde.fr | 23.02.2014Il est 17 heures, ce samedi 22 février à Nantes, et Olivier Niol, 45 ans, essaye de manœuvrer son grand tracteur vert pour quitter le cours Franklin Roosevelt, dans le centre de la ville. Le nuage de lacrymogène l'a presque atteint et il a du mal à ouvrir les yeux.
A quelque dizaines de mètres derrière lui, des groupes de manifestants et les
gendarmes mobiles se répondent à coup de pierres, bouteilles et fusées d'un côté et, pour les forces de l'ordre, décidés à dégager le centre-ville, grenades lacrymogènes assourdissantes ainsi qu'un canon à eau.
Devant l'engin de l'agriculteur, venu du Morbihan où il élève des volailles fermières, se tient, au même moment, le meeting de clôture de la manifestation des opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), qui a réuni des dizaines de milliers de personnes.
« La fête est gâchée, les organisateurs sont débordés par la frange radicale sur
laquelle ils s'appuient depuis le début de ce mouvement », dénonce la préfecture de Loire-Atlantique.
Elle fait état de huit blessés du côté des forces de l'ordre, tous hospitalisés, et
plusieurs dizaines d'hommes contusionnés, ainsi que dix interpellations.
Des journalistes ont aussi été violemment pris à partie par des opposants.
Aucun bilan sur le nombre de blessés côté manifestants n'était disponible samedi soir.
Une dizaine de commerces ont été fortement endommagés.
Les casseurs s'en sont également pris à un poste de police, une agence du groupe Vinci, concessionnaire du projet d'aéroport, mais aussi du mobilier urbain ou encore des caténaires SNCF afin de bloquer la circulation des trains.
Au moins deux engins de chantier mais aussi une barricade et une voiture ont aussi été incendiés.
GOUVERNEMENT QUI VEUT « PASSER EN FORCE »
L'opposition à ce projet, cher au premier ministre Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes, et soutenu par le gouvernement, c'est tout cela en même temps : la volonté d'en découdre avec les gendarmes et les CRS d'un gouvernement qui veut « passer en force » selon les opposants ; et le combat politique et juridique pour bloquer toute ouverture de chantier.
S'y retrouvent, comme dans les rues de Nantes ce samedi, des associatifs, des
agriculteurs, des militants de gauche (Front de gauche, NPA, etc.), des écologistes, des syndicalistes et des anticapitalistes, souvent plus extrêmes, comme une partie de ceux qui occupent la ZAD, la zone d'activité différée devenue zone à défendre.
DE 20 000 et 60 000 MANIFESTANTS
A l'heure de la dispersion, il est difficile d'évaluer le nombre exact de participants, car la manifestation s'est vite coupée en plusieurs morceaux.
Du côté de la préfecture, on annonce « autour de 20 000 manifestants avec près de 1 000 manifestants radicaux prêts pour le combat qui n'ont pu être contrôlés par les organisateurs ».
Les organisateurs, eux, revendiquent entre 50 000 et 60 000 manifestants, ainsi
que 520 tracteurs. Soit davantage que le 17 novembre 2012, date à laquelle 30 000 personnes avaient défilé pour réoccuper le bocage au nord de Nantes et contre les violences policières.
« Il s'agit de la plus grosse mobilisation du mouvement », soulignent les
représentants de la « Coordination » de toutes les associations opposées au projet, et du « Copain », des agriculteurs proches de la Confédération paysanne et des anti-capitalistes habitant la ZAD.
« Cette journée est un succès et les différentes composantes de la lutte restent unies sur le terrain », déclarent-ils, samedi soir, dans un communiqué commun.
« Avec 65 cars en provenance des 200 collectifs qui existent dans toute la France, on constate que le front de solidarité s'est encore élargi, se réjouit Julien Durand de l'ACIPA (Association citoyenne intercommunale des populations concernées aujourd'hui par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes).
Et selon un sondage IFOP publié aujourd'hui, une majorité de Français (56 %) n'est pas favorable au transfert de l'aéroport de Nantes-Atlantique actuel, vers celui qui doit être construit dans le bocage.
On ne voit vraiment pas comment politiquement, le gouvernement peut s'entêter. »
C'est aussi ce que pense Olivier Niol, au volant de son tracteur.
« De plus en plus d'agriculteurs sont opposés. Celui qui m'a prêté son tracteur pour venir à Nantes – le mien aurait rendu l'âme avant d'arriver –, n'est pas engagé à la Confédération paysanne, mais il en a marre comme beaucoup du recul des terres agricoles, explique le robuste éleveur de
volailles. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne reculerait pas sur ce dossier, alors qu'il a cédé à plusieurs reprises à la droite. Il est en train de perdre la gauche paysanne. »
DOSSIER ÉMINEMMENT POLITIQUE
Dans la manifestation, beaucoup en veulent aux deux têtes de l'exécutif. « Non à l'Ayraultport de Notre-Dame d'Hollande », lit-on un peu partout.
Si la proximité des élections municipales laisse entrevoir une pause et une
probabilité nulle d'intervention contre les zadistes et les occupants des quelque six fermes encore en exploitation dans la future zone de construction, ainsi que de la vingtaine de maisons encore occupée par des particuliers, la vigilance ne faiblit pas.
« Les travaux, je n'y crois pas, dans les mois qui viennent, estime José Bové,
député européen Europe-Ecologie-Les Verts. Ils ne peuvent pas déplacer les espèces protégées, il y a les élections : toute tentative de Jean-Marc Ayrault d'envoyer les forces de l'ordre sur le terrain rencontrerait une opposition plus forte qu'en novembre 2012. Le risque politique est trop grand. »
« Le gouvernement finira pas reculer parce que tout cela est absurde, assure
également le coprésident du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Toutes les
enquêtes ont montré les dégâts qu'allait provoquer cet aéroport pour rien.
Pourquoi voulez-vous le faire dans ces conditions ? »
« OUI AUX LÉGUMES, NON AU BITUME »
« Europe-Ecologie les Jaunes », dénonce sur une pancarte, Jean-Marie, un enseignant venu de Rennes.
Au volant aussi d'un gros tracteur vert, Thomas Rabu, 35 ans, est venu de la région d'Ancenis avec une cinquantaine de collègues. « Il faut qu'ils se rendent compte qu'on ne va pas se nourrir de bitume », explique le jeune éleveur de brebis. Tout au long du cortège, largement bon enfant et égayé par les prestations de nombreux clowns, c'est un leit-motiv. « Oui aux légumes, non au bitume. »
La mobilisation paysanne, en ce jour d'ouverture du Salon de l'agriculture à Paris, est forte. Jean-François Guitton, un des responsables de Copain 44 (Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d'aéroport) est venu de Saint-Gildas-des-Bois, pour manifester.
Producteur laitier, avec 80 vaches, adhérent aussi de la Confédération paysanne, très présente dans le cortège, il explique que « la FNSEA est contre le projet d'aéroport, mais qu'elle ne peut pas s'afficher avec la Conf' et les écologistes ».
Pour lui, « il fallait marquer un coup politique fort avant les municipales car, au-delà de NDDL, beaucoup trop de candidats ont des projets d'artificialisation des sols, pour agrandir des zones d'activité ou construire des logements ».
« MINORITÉ D'OPPOSANTS VIOLENTS »
Au-delà des affrontements, qu'auraient préféré éviter les organisateurs, le bilan est positif selon eux.
"Le gouvernement ne peut pas s'entêter et vouloir passer en force, estime Françoise Verchère, du collectif CéDpa (Collectif d'élus doutant de la pertinence de l'aéroport). La mobilisation ne faiblit pas et il doit en tenir compte." A la préfecture, à Nantes, on attend le feu vert pour le transfert des espèces protégées.
« Tous les recours des opposants ont été perdus par eux, dit Mickaël Doré, sous-préfet en charge du dossier. Il cristallise beaucoup d'oppositions diverses. C'est la première fois que l'on va construire un nouvel aéroport depuis une vingtaine d'années. Nous tiendrons compte de tous les éléments environnementaux de ce dossier. Mais il n'est pas question qu'une minorité d'opposants violents s'oppose à un projet démocratiquement décidé. »
Rémi Barroux (envoyé spécial à Nantes)
Journaliste au Monde
Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls condamnent les violences
Le premier ministre Jean-Marc Ayrault « condamne avec la plus grande fermeté les actes violents commis par un millier de manifestants radicaux », selon un communiqué publié par Matignon. « En démocratie, le droit de contester et de manifester contre un projet est légitime. Mais de telles violences sont inacceptables, et rien ne pourrait les justifier », ajoute M. Ayrault, ancien maire de Nantes, favorable au projet. « Il salue l'action du préfet et des forces de l'ordre » face aux violences.
De son côté, le ministre de l'intérieur Manuel Valls a mis en cause l'ultra-gauche et les « Black Blocs », « très violents », qui « se sont livrés à des exactions et à des violences intolérables : cocktails Molotov, boulons, pavés jetés sur les forces de l'ordre, détruisant des vitrines de magasins, saccageant un certain nombre de commerces, du mobilier urbain ainsi que l'entrée d'un commissariat de police ».
Manuel Valls a exprimé sa crainte que « des groupes isolés continuent cette guérilla urbaine ». (AFP)
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