Des
Etats-Unis à l'Europe, à qui appartiennent les plantes cultivées ?
Le Monde.fr | 17.05.2013 à 16h41 • Mis à
jour le 20.05.2013 à 17h10 Par
Angela Bolis
Destruction de plants de soja transgénique, sous le contrôle des agriculteurs de la confédération paysanne, à Charleval en 2000. | AFP/BORIS HORVAT
Lundi 13 mai,
Monsanto remportait
son procès contre Vernon Hugh Bowman, un agriculteur américain de 75 ans.
L'homme avait acheté, en plus de ses semences de soja transgénique à Monsanto,
d'autres graines en mélange à un producteur local, pour effectuer une récolte complémentaire à
moindre coût.
Cette récolte, il en a gardé une partie pour
la resemer l'année suivante.
Or, dans un Etat où 95 % du soja cultivé est
transgénique, la plupart de ces graines détenaient le caractère du Roundup
Ready, breveté par Monsanto, qui permet à la plante de résister à l'herbicide
Roundup vendu par la même firme.
Pour les avoir semées sans payer Monsanto, le fermier a été
condamné à verser à la firme 85 000 dollars.
Si l'affaire est devenue emblématique des conflits entre
firmes et agriculteurs sur la question des brevets, elle est loin d'être
exceptionnelle : Monsanto est passé maître dans l'art de contrôler, via sa
"police des graines", les
champs des cultivateurs américains, et il n'en est pas à sa première bataille
judiciaire
Fin 2012, le groupe avait déjà empoché 23 millions de
dollars (18 millions d'euros) de dommages et intérêts dans le cadre de procès pour violation de brevets.
Mais cette fois, c'est la firme elle-même qui a voulu
l'ériger en symbole de la protection de sa propriété intellectuelle – avec un site Web spécifique à l'appui, et le
soutien d'acteurs de poids comme l'Alliance de producteurs de logiciels (Apple, Microsoft...), des universités, ou
encore le département de la justice
américain.
- AUX ÉTATS-UNIS, LE BREVET
Dans cette affaire de Monsanto contre M. Bowman, la Cour a
justifié sa décision en expliquant qu'il est interdit de copier un produit breveté (soit, en
l'occurrence, resemer les graines récoltées), sans quoi "un brevet
perdrait toute sa valeur dès la première vente", ce qui "résulterait en une baisse de l'incitation à
l'innovation".
Cette position de la justice américaine est fidèle au
principe du brevetage des plantes, adopté aux Etats-Unis dès 1930.
Ces brevets ne s'appliquent pas seulement aux OGM, mais ont
connu un boom avec le développement des biotechnologies – dans un pays où 93 %
du soja cultivé, 88 % du coton et 86 % du maïs sont génétiquement modifiés (en
2010), d'après le Center for food safety (PDF).
Le brevet, "directement inspiré du droit industriel, ne
prend pas en compte la spécificité du vivant", explique
l'interprofession française des semenciers, le GNIS.
Il interdit à quiconque d'utiliser
la variété protégée à titre
expérimental ou pour la recherche, mais aussi, et surtout, pour faire des semences de ferme :
traditionnellement, les agriculteurs sélectionnent et ressèment ainsi leurs
propres graines issues de leur récolte, ce qui leur permet de réduire leurs
coûts et de gagner en autonomie, mais aussi de favoriser l'adaptation des plantes aux
conditions locales.
Le système du brevet les oblige donc à racheter chaque année leurs graines aux
semenciers – au premier rang desquels Monsanto, dont la technologie Roundup Ready est par exemple présente
dans 94 % des variétés de soja OGM et 70 % du maïs OGM.
- EN EUROPE, LE CERTIFICAT
D'OBTENTION VÉGÉTALE...
En Europe, les variétés végétales ne sont pas brevetables.
C'est le Certificat d'obtention végétale (COV) qui, depuis 1961, tient lieu de droit de
propriété intellectuelle en agriculture.
A l'inverse du brevet, ce dernier permet d'utiliser la variété à des fins de
recherche et d'expérimentation, mais aussi en semences de ferme, à condition
que l'agriculteur paie une redevance au propriétaire du COV.
Cette dernière règle a été introduite en France par la
loi de novembre 2011, qui a mis fin à un flou juridique en autorisant les
semences de ferme – taxées –, pour 21 variétés de cultures agricoles (céréales,
fourrages, pomme de terre...) uniquement.
Pour obtenir un COV, la variété doit être
homologuée selon certains critères : la distinction, à savoir son originalité par rapport aux
variétés existantes, l'homogénéité entre ses différents individus, et la
stabilité de ses caractéristiques après reproduction.
En dehors de ces critères standardisés, point d'inscription
au catalogue officiel ni, jusqu'à présent, d'autorisation de commercialisation.
Au final, ces variétés protégées par COV correspondent à 99
% des plantes cultivées en France, selon Delphine Guey, du GNIS.
- ... MAIS DE PLUS EN PLUS DE
BREVETS SUR LES GÈNES
Aux côtés du COV existe aussi, en Europe, le brevet sur les
végétaux.
Non pas pour la variété entière, mais uniquement pour un de
ses gènes – qu'il soit obtenu par sélection et croisement classiques, ou par
introduction, par transgenèse, dans les cellules de
la plante.
Du coup, c'est ce caractère génétique que le propriétaire du
brevet détient exclusivement – même s'il se retrouve, par propagation, dans les
plantes du champ voisin.
En France, on ne trouve pas encore de végétaux brevetés dans
le commerce. Mais les brevets accordés sur les fruits et légumes se multiplient
en Europe.
Récemment, le groupe
d'agrochimie Syngenta a par exemple reçu un brevet
sur son melon baptisé EP1587933, issu d'un croisement
avec un melon indien, pour le caractère doux et amer de son goût. Du coup, la firme revendique la propriété sur tous les
melons qui détiennent cette teneur, précisément mesurée, en acidité et en sucre, explique l'ONG "No patent on seeds".
Grâce à ces brevets, "Monsanto
et Syngenta détiennent ensemble déjà plus de 50 % des semences de variétés de
tomates, poivrons et choux-fleurs enregistrées dans l'UE", alarme ainsi l'ONG Swissaid (PDF), qui
s'inquiète de la concentration accrue de ce marché agroalimentaire.
Autre inquiétude des agriculteurs : le brevet est beaucoup
plus facilement détectable que le COV.
Dans le premier cas, il suffit d'un test pour identifier le gène protégé.
Dans le second, puisque les plantes ressemées par
l'agriculteur ne sont pas des clones et varient toujours de la récolte
précédente, difficile pour le détenteur du COV de prouver qu'il s'agit de sa variété.
Le brevet renforce donc le contrôle sur les semences de
ferme, estime Guy Kastler, du réseau Semences
paysannes.
RÉFORME
DES SEMENCES : UNE OUVERTURE ACCRUE AUX BREVETS ?
L'Union
européenne prépare actuellement une réforme majeure du marché des semences
– qui doit entrer en vigueur à l'horizon 2016 après approbation, par le Parlement et le Conseil
européen, des
propositions de la Commission.
Elle ambitionne de protéger la diversité et la productivité
agricole en Europe, et de faciliter la commercialisation des
variétés industrielles.
Mais derrière ce but affiché, elle "place toutes
les semences sous le contrôle direct des titres de propriété de l'industrie, certificats d'obtention
végétale et brevets", dénonce le réseau Semences paysannes,
faisant écho à l'opinion d'écologistes et défenseurs du droit des paysans.
Parmi les nombreuses implications de ce paquet législatif,
certaines concernent donc la propriété sur les semences.
Il en est ainsi du catalogue officiel, qui recense les
quelque 30 000 variétés autorisées en Europe, et qui sera désormais géré par l'Office
communautaire qui délivre les titres de propriété sur les variétés,
financé par les entreprises-mêmes
qui détiennent les COV.
Autre mesure :
Les agriculteurs qui produisent des semences – dont des
semences de ferme – seront enregistrés sur un fichier, qui pourra faciliter
les contrôles s'ils utilisent des semences échangées entre eux (ce qui est
interdit), ou sous protection d'un COV.
Surtout, cette réforme ouvre au marché européen les semences
hétérogènes, jusqu'ici interdites car elles ne correspondent pas aux critères
d'homogénéité nécessaires à leur inscription au catalogue.
Cette nouveauté doit, certes, bénéficier aux nouvelles
sélections biologiques ou paysannes qui échappent à ces critères standardisés.
Mais elle facilite, par la même occasion, l'accès au marché de variétés
brevetées – dont certaines, les dernières générations d'OGM surtout, ne sont
pas assez stables ou homogènes pour satisfaire à ces critères
d'homologation, selon Guy Kastler.
Pour l'agriculteur anti-OGM, "on sait que si on a
gagné cette bataille, c'est parce que les biotechnologies voulaient la même
chose".
Comment Monsanto surveille les
fermiers américains
"Les agriculteurs les appellent 'la police des graines'
et utilisent des mots comme la 'gestapo' ou la 'mafia' pour décrire leurs
tactiques", relate un article de Vanity Fair.
Le reportage montre comment des inspecteurs de Monsanto
viennent observer dans leurs champs les agriculteurs susceptibles de violer les
brevets sur leurs variétés OGM, enregistrent des vidéos, prennent discrètement
des échantillons de leur culture pour les faire analyser, ou encore encouragent
les fermiers à dénoncer leurs collègues via un numéro en libre appel.
Sans compter les intimidations : le magazine rapporte
notamment le témoignage de Gary Rinehart, qui a reçu la visite, par erreur,
d'un de ces inspecteurs dans sa boutique du Missouri.
Celui-ci lui a assuré qu'il avait la preuve qu'il avait
planté des graines de soja OGM sans contrat avec la firme, avant de lui asséner
: "Monsanto est grand. On t'aura. Tu paieras."
Quand Vanity Fair a contacté Monsanto sur ces pratiques, la
firme a seulement expliqué qu'elle "dépensait plus de 2 millions de
dollars par jour dans des recherches pour identifier, tester, développer et
mettre sur le marché de nouvelles semences innovantes et des technologies qui
bénéficient aux agriculteurs".
Fin 2012, Monsanto avait empoché plus de 23 millions de
dollars (18 millions d'euros) de dommages et intérêts de la part de fermiers
américains, après avoir intenté pas moins de 142 procès pour violation des
brevets contre 410 agriculteurs et 56 petites entreprises agricoles.
Mi-février, un rapport du Center for food safety intitulé "Les
géants des semences contre les fermiers américains"
expliquait que l'entreprise emploie 75 personnes et un budget de 10 millions de
dollars pour ces poursuites judiciaires.
Ce contrôle tenace inquiète aussi les agriculteurs qui n'ont
pas acheté de semences Monsanto, mais dont les champs, entourés de cultures
OGM, sont susceptibles de se faire contaminer.
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