Qui a dit que la france s'ennuyait ?
A Notre-Dame-des-Landes,
la révolution tranquille
Quarante cinq ans après 1968, la célèbre maxime de Pierre Viansson-Ponté, l’éditorialiste du Monde, qui a dit que la France s’ennuyait ? , n’est pas de saison. Chaque semaine, sous un gouvernement de gauche, les manifestations se suivent avec une ampleur inégalée. Elles sont différentes, c’est vrai.
- Celle du 5 mai, à Paris, était marquée par le bruit et la fureur contre l’austérité ;
- celle de 11 mai, à Notre-Dame-des-Landes, tranche par sa sérénité et sa force tranquille.
Mais elles témoignent toutes les deux d’une volonté de la société mobilisée de ne pas se soumettre aux diktats de la finance et des lois du marché.
Ce samedi, ce furent donc près de 40 000 personnes qui entourèrent d’une chaîne humaine de 25 kilomètres de long, le terrain destiné au déjà ex/futur aéroport de Nantes.
La chaîne humaine des opposants au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le 11 avril 2013 (SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA)
Les centaines de jeunes « zadistes », comme on les appelle par référence aux « zones à défendre », les agriculteurs et riverains en colère, ne sont pas seuls. Bien au contraire. Ils sont en train d’essaimer dans toute la France, non seulement à travers des dizaines de comités de soutien mais aussi par des luttes qui s’installent, contre les grands projets inutiles, contre des parkings géants, des lignes LGV, des hypermarchés en pagaille, un EPR énergivore ou un autoroute de plus…
L’emblème d’une lutte
Le rapport de la commission de médiation, bien loin d’essouffler le mouvement, a fait naître l’espoir de gagner sur l’un des dossiers les plus contestés par les écologistes. Ce moratoire de fait a renforcé la détermination des forces qui s’opposent à ce projet. Car ce qui se joue à Notre-Dame-des-Landes, n’est pas seulement un bras de fer autour d’un projet inutile, coûteux et dépassé, mais l’emblème d’une lutte pour un changement de mode de vie. Ce qui mobilise aujourd’hui des générations et des groupes sociaux différents, c’est d’abord une autre conception du bonheur que celle du Produit national brut (PNB), de la croissance fondée sur le toujours plus, sur la destruction de la biodiversité et des écosystèmes.
Si Notre-Dame-des-Landes est devenue une cause nationale et pas un simple enjeu local, c’est qu’elle cristallise ce rapport entre « eux » et « nous » qui, dans tous les domaines de la vie sociale, s’instaure entre l’oligarchie et la démocratie.
- « Eux » en l’occurrence, c’est l’alliance avérée entre de grands élus mégalomanes, une grande entreprise multinationale, Vinci, et une technocratie qui, depuis plus de quarante ans, tente d’imposer un projet obsolète ;
- « nous », c’est cette alliance nouvelle, qui s’est concrétisée sur le terrain entre des jeunes, des paysans, des élus de base, des anciens, des membres des classes moyennes, des étudiants, des jeunes chômeurs, entre consommateurs, producteurs, écologistes.
Demande de transformation sociale par le bas
C’est un mouvement qui vient de loin : dans des milliers d’Amap (Association pour le maintien de la culture paysanne), des dizaines de milliers de personnes pratiquent les circuits courts. Les jardins partagés sont devenus une réalité massive dans les villes. L’habitat coopératif, écologique, n’est plus une utopie de quelques doux dingues. Le commerce équitable comme les énergies renouvelables, deviennent des réalités significatives. Autant de révolutions tranquilles qui débouchent sur un projet politique partagé, celui d’une société plus humaine, plus solidaire, fondée sur une démocratie participative.
Des microchangements de la vie quotidienne à l’échelle humaine, nous sommes en train de passer à une demande de transformation sociale par le bas, qui sape le fondement du pouvoir jacobin et technocratique qui a corseté la France depuis des centaines d’années, à partir de Paris et de la centralisation administrative forcée et bornée. Le colbertisme a façonné l’Etat. Il l’a institué en pouvoir de droit divin.
Cet Etat en crise, à la veille de l’acte III de la décentralisation, n’a plus beaucoup d’influence à Bruxelles. Il en a de moins en moins sur les collectivités locales, qui se comportent souvent en nouveaux pouvoirs autonomes, pour le meilleur… ou pour le pire.
On peut toujours rêver en politique
Ce dernier aspect est l’un des plus dérangeants dans l’affaire de Notre-Dame-des-Landes. L’échelon national peut parfois mieux protéger le citoyen que la proximité du pouvoir : Ayrault Premier ministre est plus fragilisé qu’Ayrault maire de Nantes. Il est donc, comme le Président, plus enclin au compromis. En fait, le pays a une demande d’Etat, mais pas de l’Etat issu du Code Napoléon, de ce syncrétisme gaullien entre bonapartisme, jacobinisme et monarchisme. Il a besoin d’un Etat résilient, qui assume la transition entre le national – capitalisme, la mondialisation et ses nouvelles fractures.
- Un Etat qui ferait en quelque sorte du management participatif, à l’écoute des préoccupations des citoyens ;
- un Etat où l’Enarchie serait sous le contrôle des élus et des citoyens, par des conférences de consensus, des commissions du débat public qui joueraient enfin leur rôle ;
- un Etat qui soutiendrait les associations et ne les asphyxieraient plus comme aujourd’hui ;
- un Etat fort parce qu’à l’écoute des faibles ;
- un Etat à l’abri des lobbies et des intérêts privés…
On peut toujours rêver en politique. L’utopie réaliste, la possibilité du changement, c’est peut-être ce qui manque ces temps-ci à l’équipe au pouvoir qui croit que la soumission aux règles non écrites des puissants vaut pour solde de tout compte.
L’Etat doit être plus humble
Ce n’est pas un remaniement vite oublié, presque déjà digéré, qui y changera quelque chose, mais une demande de « réparation » des dommages qui ont été causés à la société par l’Etat depuis des décennies qui est en jeu.
Le 10 mai dernier le président Hollande a d’un geste méprisant renvoyé les héritiers des anciens esclaves à la seule reconnaissance du fait esclavagiste. Eux demandent autre chose : que l’Etat français fasse les gestes significatifs montrant qu’il n’est pas sourd à leurs souffrances : le remboursement de la rançon payée par Haïti, de la propriété foncière dans les DOM, la création d’un Musée de l’esclavage colonial en France, un plan d’urgence pour les Antilles…
Mais la réparation c’est aussi ce que demande les amiantés, les silicosés, les diésélisés, les victimes des accidents industriels, les femmes victimes des violences quotidiennes, les victimes des harcèlements au travail, des paysans qui voient leur terre livrées aux promoteurs, aux spéculateurs et aux grands projets inutiles.
L’Etat doit opérer sa mue : Il doit être plus humble, plus soucieux du bien-être des gens, de leur vivre ensemble. Il doit être moins arrogant et plus précautionneux. Réparer, c’est ce qui était contenu dans l’idée du « care », cette perspective proposée par Martine Aubry, trop vite moquée et mise à la poubelle. Et si Martine avait vu juste ? Et si François se trompait sur son diagnostic de la société française ? Si son approche était un peu trop hors-sol, un peu trop sous tutelle des 3 « B », de Bercy, de la Banque et de Bruxelles ? En France, l’ivresse de l’Etat enivre ceux qui l’occupent un moment. C’est pourquoi, la première chose à faire, c’est de rendre l’Etat sobre.
C'était un message de Noël Mamère sur son blog
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