Comment la diplomatie américaine veut imposer les
OGM
Le Monde.fr | 16.05.2013 à 17h16 • Mis à jour le 17.05.2013
à 13h07 Par Audrey Garric
Plus de 900
câbles diplomatiques montrent comment les ambassades américaines ont tenté de
briser la résistance aux produits génétiquement modifiés à l'extérieur des
Etats-Unis. | THOMAS
Fred/GAMMA
On le sait, les organismes
génétiquement modifiés (OGM) font l'objet de lobbying de la part des firmes de
l'industrie des biotechnologies
comme Monsanto, Syngenta, Bayer et consorts. Mais ce que l'on
soupçonne moins, c'est qu'une partie de cette promotion active, voire
agressive, est menée depuis des années par des diplomates américains dans de
nombreux pays du monde.
L'ONG américaine Food and Water Watch a analysé et compilé, dans un rapport publié mardi 14 mai,
926 câbles diplomatiques échangés entre le département d'Etat américain et les
ambassades de 113 pays étrangers entre 2005 et 2009.
Il en ressort une campagne soigneusement conçue pour briser la résistance aux produits
génétiquement modifiés à l'extérieur des Etats-Unis, et ainsi aider à promouvoir les profits des grandes entreprises agrochimiques
américaines, qui dominent la production de maïs, de soja et de coton
outre-Atlantique.
Le rapport offre un autre aperçu de la puissance de cette
industrie, après que la Cour suprême a apporté son soutien, lundi, à Monsanto,
contre un petit agriculteur de l'Indiana accusé d'avoir enfreint ses brevets dans
l'utilisation de graines transgéniques.
RELATIONS
PUBLIQUES
Les
câbles, publiés par WikiLeaks
en 2010, mettent tout d'abord en lumière la stratégie de relations publiques,
via des dizaines de conférences, événements et voyages tous frais payés aux
Etats-Unis, visant à convaincre
scientifiques, médias,
industriels, agriculteurs et élus des avantages et de l'absence de danger des
produits génétiquement modifiés – dont la question du
risque et des rendements
est posée.
Parmi les nombreux exemples dévoilés par le rapport, un
câble de 2005 indique qu'un circuit dans quatre villes italiennes pro-OGM,
organisé par le consulat à Milan, avait débouché sur une interview de quatre
pages dans le magazine L'Espresso, ainsi que des reprises dans des quotidiens et à la
télévision.
En 2008, pour empêcher la Pologne d'interdire les OGM dans l'alimentation
du bétail, le département d'Etat avait également invité une délégation du
ministère de l'agriculture polonais à rencontrer des experts, notamment du
département de l'agriculture américain.
Entre 2005 et 2009, 28 voyages ont été organisés de la sorte
aux Etats-Unis, avec des délégations de 17 pays.
PRESSIONS
ET TERRAIN JURIDIQUE
Les diplomates américains devaient aussi faciliter les relations entre les
firmes des biotechnologies et les gouvernements étrangers, notamment des pays
en développement comme le Kenya ou
le Ghana, pour promouvoir non seulement les politiques
favorables aux biotechnologies et à la brevetisation du végétal, mais aussi les
produits et exportations de ces entreprises.
En 2005, l'ambassade d'Afrique du Sud informait ainsi
Monsanto et Pioneer de deux postes vacants au sein de l'agence gouvernementale
de régulation des biotechnologies, leur suggérant de proposer des "candidats
qualifiés".
Enfin, l'effort du département d'Etat s'est aussi déployé
sur le terrain juridique : les diplomates américains installés à l'étranger se
sont ainsi opposés à des lois sur l'étiquetage des produits OGM ou des règles
bloquant leur importation.
Et les Etats-Unis ont saisi plusieurs fois l'Organisation
mondiale du commerce, notamment contre le moratoire de sept pays européens sur la culture du maïs
MON810.
Selon le rapport de Food and Water Watch, 70 % des câbles
échangés avaient trait aux lois et régulations des pays étrangers quant à
l'agrochimie et 38 % portaient sur des pays membres de l'Union européenne, parmi les
plus hostiles.
Dans un câble de 2009, l'ambassade américaine en Espagne demande ainsi "une
intervention du gouvernement américain de haut niveau", à la "demande urgente" de Monsanto, pour lutter contre les opposants espagnols
aux cultures OGM.
L'ambassade des Etats-Unis en France a, elle, proposé de tenir une conférence sur le thème
"comment les biotechnologies peuvent répondre aux pénuries dans les pays
en développement" pour contrer l'image négative dont pâtissent
les OGM dans l'Hexagone.
ARGENT DES
CONTRIBUABLES AMÉRICAINS
A la suite de la publication de ces câbles, l'un des
porte-parole de Monsanto, Tom Helscher, a répondu qu'il était "crucial
de maintenir un dialogue ouvert avec les
autorités et industriels d'autres pays".
"Nous sommes engagés à aider les agriculteurs dans le monde,
alors qu'ils travaillent à répondre à la demande alimentaire d'une population croissante", assure-t-il.
"Cela va vraiment au-delà de la promotion de
l'industrie des biotechnologies américaine,
rétorque Wenonah Hauter, directrice exécutive de
Food and Water Watch, citée par Reuters.
Il s'agit de saper les mouvements démocratiques
locaux qui peuvent être opposés aux cultures OGM, et de faire pression sur les gouvernements
étrangers afin de réduire également la surveillance sur ces cultures."
"Il est consternant de constater que le département d'Etat est
complice dans le soutien à cette industrie, malgré l'opposition du public et
des gouvernements de plusieurs pays,
regrette de son côté, dans les colonnes de l'agence de presse, Ronnie Cummins,
directrice de l'ONG Organic Consumers Association.
L'argent des contribuables américains ne devrait pas être
dépensé pour remplir les objectifs des géants des
biotechnologies."
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