enquête le 26/07/2012 par la rédaction
Pour ou contre les gaz de schiste : le Monde a (presque) choisi
Les arguments en faveur de leur exploitation refont surface ; à la télé aussiRetour en grâce du gaz de schiste ?
A quelques jours d'intervalle, plusieurs médias se sont penchés sur ce dossier brûlant. Avec toujours la même question : doit-on craindre l'exploitation, polluante, de ces gaz "non conventionnels", ou au contraire profiter de ces nouvelles ressources énergétiques disponibles ?
Mercredi 25 juillet, Le Monde appelait dans un édito à la reprise des débats sur le sujet, et consacrait un long reportage (financé par... Total) aux bénéfices économiques de l'exploitation du gaz de schiste. Mais un jour plus tard, le quotidien dénonce les conflits d'intérêts autour d'une étude qui concluait à la non-dangerosité de cette source d'énergie.
D'autant que si l'Amérique est "à l'aube d'une période faste, c'est à l'exploitation du pétrole et du gaz non conventionnels qu'elle le doit", jure le texte.
Un plaidoyer qui fait écho à celui d'un autre édito du Monde, paru en février, qui employait le même type d'arguments.
L'utilisation du gaz de schiste y était notamment présentée comme une opportunité à saisir, avec à la clef un potentiel "regain de compétitivité pour l'économie".
Le sujet est, il est vrai, d'actualité. Il divise jusqu'au gouvernement : interrogée sur BFM TV le 20 juillet, la ministre de l'Ecologie Delphine Batho est restée ferme sur l'interdiction de la technique de fracturation hydraulique (fracking), utilisée pour l'extraction des gaz.
Des explorations avaient été menées en France jusqu'en février 2011, à titre expérimental. Après un vent de protestation mené par les écologistes inquiets des conséquences sur l'environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet, alors en charge du dossier, les avait suspendues.
En juin 2011, une loi avait ensuite interdit la fracturation hydraulique sur le territoire. Ce qui n'a pas empêché Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, d'indiquer le 11 juillet dernier, lors de la Conférence nationale de l'industrie, qu'il allait "regarder" le dossier. La question devrait être débattue à la rentrée, puisqu'une conférence environnementale réunira ONG, syndicats et parlementaires les 14 et 15 septembre.
Ce n'est pourtant pas l'actualité française qui motive l'édito du Monde. Le même jour, le quotidien publiait en fait, sur une pleine page, un reportage dans la "capitale du gaz de schiste" américaine, à Fort Worth, au Texas. On y découvre l'implantation massive des plateformes de forage dans la région, et les fortes retombées économiques. "Comment le Texas pourrait se priver de la manne gazière ?", s'interroge notamment l'article. D'autant que "certains experts jugent que cette industrie a contribué pour 38,5 % (soit 65 milliards de dollars) à la croissance du nord du Texas au cours des dix dernières années". Pour l'heure, la baisse mondiale des cours du gaz a ralenti l'activité, pour cause de rentabilité en baisse, mais la "poule aux oeufs d'or" dormant dans les sous-sols "assure déjà un tiers de l'approvisionnement des Américains" en énergie, souligne le reportage. |
Voyage de presse organisé par Total
Une vision plutôt favorable à l'exploitation de ces ressources, donc.
Interrogé par @si sur les raisons qui l'ont poussé à réaliser ce reportage, le journaliste Jean-Michel Bezat, en charge des questions énergétiques, répond qu'il s'agit "d'un sujet appelé à faire l'actualité, d'autant plus depuis le début de polémique entre les membres du gouvernement" et estime naturel de le suivre. Il concède cependant qu'il s'est rendu sur place dans le cadre d'un voyage de presse, organisé par Total et son partenaire américain Chesapeake Energy.
Une information que l'on peut deviner à la lecture : les citations et les arguments des industriels sont légion dans l'article, de façon parfois assez voyante. Par exemple, une responsable de Chesapeake y évoque rapidement un sondage assurant que "66 à 77%" des habitants dans la région d'exploitation des gaz approuvent les forages, sans qu'on en sache plus sur le commanditaire ou la méthodologie dudit sondage.
Le reportage n'est bien sûr pas une ode ininterrompue aux "shale gas" (leur nom anglais). Il souligne aussi en quelques paragraphes l'inquiétude autour des conséquences environnementales d'une telle exploitation.
Une certaine prise de distance, appuyée par un autre article du Monde, publié le lendemain, ce jeudi 26 juillet. Signé par le journaliste scientifique Stéphane Foucart, cet article signale qu'outre-Atlantique, un rapport qui concluait que l'exploitation du gaz de schiste n'était pas si nocive pour l'environnement est très critiqué en raison de conflits d'intérêts. "Le géologue Charles Groat, premier auteur du rapport, est en effet aussi membre du conseil de direction et actionnaire de PXP, une société de forage spécialisée dans le gaz de roche", indique Le Monde. |
Ainsi, le 21 juillet, Le Monde publiait ces phrases sous sa signature : "The Economist (...) claironne que l'économie des Etats-Unis est de retour. La rémission du malade nord-américain tient surtout à l'abaissement du coût de son énergie, en raison de l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste. Celle-ci se développe au prix d'un saccage environnemental invraisemblable et de très importantes émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Peu importe : l'économie américaine va pouvoir tenir encore un peu."
Quatre jours plus tard paraissait l'édito appelant à reconsidérer le dossier. On peut difficilement imaginer deux positions plus irréconciliables.
"Un sujet tabou qui revient sur la table"
Mais il n'y a pas que dans Le Monde que le dossier des gaz de schiste est à nouveau dans l'air du temps. Pour France 2 aussi, il s'agit d'un "sujet sensible, tabou", mais qui "revient sur la table". La chaîne publique y a consacré plusieurs minutes dans son 20 heures du 17 juillet.
Le reportage s'appuie sur une tribune de Claude Allègre parue début juillet dans Le Point, où l'ancien ministre, fidèle à sa posture anti-écologique, exhorte François Hollande à exploiter ces formidables gisements, sources de "croissance économique" et d'"indépendance énergétique". A l'instar du Monde, le JT commence son reportage en prenant l'exemple des Etats-Unis, où la "véritable révolution" des gaz de schiste "a créé 600 000 emplois". Mais en France, "c'est une autre histoire"... |
Une semaine plus tard, le 24 juillet, France 5 aborde à son tour la question dans C dans l'air, à l'occasion d'une émission sur les prix de l'énergie intitulée "Gaz, électricité: le coup de massue".
Le reportage consacré au gaz de schiste est équilibré, donnant la parole à un collectif opposé au pétrole de schiste, puis à des représentants des industries pétrolières. Le plateau l'est en revanche moins.
On y retrouve Schilansky, accompagné de Jean-Marie Chevalier, économiste au Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières, et de Pascal Perri, économiste spécialiste du pouvoir d'achat.
Trois invités favorables (à des degrés divers) à l'expérimentation sur l'extraction des gaz de schiste. Face à eux, seul François Gemenne, chercheur à l'IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales), est nettement plus circonspect.
Le 17 juillet, le patron de GDF-Suez Gérard Mestrallet déplorait dans La Tribune que le gaz de schiste soit "devenu un sujet tabou" en France. "Il faut le réexaminer de façon paisible", plaidait-il. Manifestement, les médias ont entendu son appel et se sont saisi du sujet. Paisiblement.
(par Antoine Machut, Thomas Deszpot et Dan Israel)
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