Ci joint une petite réflexion sur la valorisation négligée des arbres qu'on abat si facilement.
Amitiés.
Jean Monestier
Abattage d’arbres centenaires dans le parc de la Mairie de Prades.
J’aimerais revenir sur cet abattage d’arbres centenaires dans le parc de la Mairie de Prades. Il semblerait que le motif, construire une crèche, soit irrésistible, comme s’il avait un côté sacré et indiscutable. Je crois que ce serait exactement la même chose s’il s’agissait d’une caserne de sapeurs pompiers ou d’une cuisine municipale en bio, car, de toute façon, dans l’autre plateau de la balance, la valeur de ces arbres est estimée à peu près à zéro. Je considère bien sûr comme dérisoire les coûts des heures de bûcheron et de l’essence quasiment gratuite brulée par la tronçonneuse, et je ne tiens pas compte des mauvaises langues qui avancent que certains bois comme le platane seraient très recherchés en Espagne pour faire des tableaux de bord de bateaux de luxe. Ce qui me fait mal, ce n’est pas que les technocrates, formés dans ce sens, ne calculent qu’à partir des frais d’abattage et des recettes éventuelles de la vente du bois, c’est que la population, les citoyens, trouvent tout cela normal et acceptable.
Ces arbres ont atteint, grâce au respect (ou à l’indifférence) de longues lignées de responsables, privés ou publics, des âges auxquels nous autres pauvres nains ne serons sans doute pas capables de parvenir. Dans le grand élan de vie qui anime la biosphère, ils sont pour nous de vénérables parents éloignés. Par ailleurs, ils nous offrent une ombre généreuse et rafraichie, puisqu’un platane centenaire évapore chaque jour environ 400 litres d’eau. Ils nettoient l’atmosphère que nous polluons, pas seulement au niveau du CO2, mais aussi des diverses particules, poussières, et des polluants chimiques. Tout ceci a été scientifiquement démontré, mais nous ne voulons surtout pas l’entendre, pas plus que les escrocs qui proposent généreusement de remplacer chaque arbre abattu par un petit plumeau rachitique qui peinera à passer l’été ne sont prêts à remplacer le poids et la surface de feuilles par une plantation équivalente en kilogrammes et en mètres carrés, soit 200 à 2000 jeunes arbres par centenaire abattu. Mais nous voici déjà dans le pétrin des chiffres et des calculs.
Le véritable problème est que nous n’avons pour ces arbres aucun respect, aucun affect. Puisque nous n’entendons que le langage de la gestion, donnons-leur au moins un prix estimé, par exemple à partir du coût de la reconstitution d’un service équivalent. On peut planter deux mille arbres par victime sacrifiée, ou budgétiser l’implantation d’un arbre de vingt cinq ans, ce qui doit coûter au moins 10.000 €uros, sans compter les frais d’actualisation, c'est-à-dire la prise en compte de la différence entre l’âge du remplaçant et le nombre de cernes comptés sur le billot. L’important n’est pas tant l’exactitude de l’évaluation, car tous nos €uros ne compenseraient pas le dommage infini que représenterait la mort de la biosphère, mais qu’on pose un principe qui demande un effort significatif, et qu’on s’y tienne. Autrefois on payait quelquefois le prix du sang, tout aussi arbitraire. Je demande qu’on mette sur la table le prix de la sève, et que, si on n’en est pas capable, on s’abstienne d’abattre les arbres, et qu’on construise la crèche là où le terrain est déjà dégagé. N’y avait-il pas dans ce parc des courts de tennis ? Voilà le type de surface qu’on peut recréer n’importe où ailleurs. Mais j’entends déjà les hurlements des intéressés, pour qui crèche, caserne de pompiers ou cuisine municipale en bio seront également contestables.
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Certains demanderont ce qu’on ferait de cet argent, le prix de la sève, si une législation perspicace ou un large consensus local faisait qu’il soit budgétisé. Il me semble que la création d’un square dans un quartier qui en est dépourvu ou une plantation massive d’arbres sur un terrain accueillant seraient des utilisations judicieuses, mais c’est un débat démocratique qui devrait en décider. N’oublions pas que les petits usagers de la crèche, même si leurs parents s’en moquent un peu, n’ont pas besoin seulement de béton, mais aussi, pour réjouir leurs yeux et développer normalement leur cerveau, du spectacle quotidien d’arbres et de verdure. Cela aussi est scientifiquement démontré, mais il est bien malheureux qu’il faille investir dans ce type de démonstration pour établir que le béton ne doit pas gagner sur la végétation. En France, on artificialise la surface d’un département moyen tous les 7 ans. Ne rien faire contre cette tendance me parait suicidaire.
Il y a quelques mois, j’ai lu quelque part, comment, dans une petite ville, peut-être anglaise, on avait organisé plusieurs cérémonies et actions publiques pour expier l’abattage devenu inévitable d’un vénérable arbre emblématique pour la population. Mais les arbres abattus dans le parc de la Mairie de Prades ne nous sont ni vénérables, ni emblématiques, et peut-être devenons-nous peu à peu des barbares.
Jean Monestier.
Ebauche de bibliographie :
- La biosphère, de Wladimir Vernadsky, éd. Seuil, collection Points Science S 147
- Du bon usage des arbres, plaidoyer à l’attention des élus et des énarques, de Francis Hallé,
éd. Domaine du possible/Actes Sud.
Bonjour,
RépondreSupprimerFace à ce sentiment d'impuissance vous pouvez toujours faire une action citoyenne forte en cartographiant les arbres que vous connaissez sur http://pericopsis.org/ une base de données ouverte pour la cartographie collaborative des arbres.
Donner une visibilité à la connaissance est un premier pas simple pour une protection et la sortie de l’indifférence.
Jean Weber