L'édito |
Marie Turcan : « L’ingérence étrangère a paradoxalement permis de mettre en lumière l’islamophobie en France » |
|
Par Sabrina Kassa, journaliste, responsable éditoriale aux questions raciales |
La vérité fait parfois de curieux détours pour apparaître aux yeux de tous. La semaine dernière, l’histoire des têtes de cochon déposées devant neuf mosquées à Paris et en région parisienne, à la suite d’une ingérence étrangère, a défrayé la chronique. Une première dans une affaire de vandalisme de lieux de prière musulmans qui a donné lieu à une inversion de la célèbre phrase de Guy Debord, l’auteur de La Société du spectacle. « Dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux » écrivait, en 1967, l’auteur situationniste. En 2025, dans une France qui sombre dans une islamophobie décomplexée, c’est le faux qui s’est révélé être un moment du vrai. Dans « La haine, six mois d’islamophobie en France », le panoramique publié le 4 juillet, Mediapart racontait la montée effrayante d’un racisme violent à l’égard des musulman·es. Nous avions compté « un fait islamophobe tous les deux, trois jours », tout en sachant que ces chiffres sont sous-estimés tant les musulman·es, ou considéré·es comme tel·les, évitent trop souvent de porter plainte. Et pourtant, même après l’assassinat d’Aboubakar Cissé, le 25 avril, dans une mosquée de La Grand-Combe, Bruno Retailleau, le ministre (désormais démissionnaire) de l’intérieur, chargé des cultes, préférait alimenter la polémique sémantique sur le mot islamophobie (« un mot forgé par les Frères musulmans » !) plutôt que sonner le tocsin de la mobilisation nationale pour faire reculer ces violences. Concernant juste les lieux de cultes, outre le meurtre dans le Gard, voici ce que nous avions recensé entre janvier et juillet : tags racistes sur une mosquée en Haute-Savoie, grenade devant celle de Saint-Omer (Pas-de-Calais), têtes de cochon devant celle de Cherbourg-en-Cotentin, incendie de la salle de prière de Fargeau, vandalismes à Rennes, à Moulins, à Saint-Exupéry, à Roussillon, menaces de mort à Sucy-en-Brie… Entre 2019 et 2023, nous avions déjà recensées 77 atteintes aux mosquées ! Des attaques que l’État ne voulait « pas voir », passées pour la plupart sous les radars des grands médias nationaux. Mais la semaine dernière, l’affaire des têtes de cochon a fait bouger les lignes. Bruno Retailleau a jugé ces faits « absolument inadmissibles », et a même parlé de « profanation ». Les élus de gauche, notamment de LFI, ont tous dénoncé ces actes. Ce qui leur a valu d’être traités d’« idiots utiles » de l’ingérence étrangère, dans le magazine Marianne. Pour réfléchir au sens de ce revirement politico-médiatique, et aux conséquences que cette ingérence étrangère pourrait avoir sur les dénonciations de l’islamophobie, j’ai demandé à ma collègue Marie Turcan, chargée des discriminations à Mediapart, de décrypter pour nous cette séquence. Comment as-tu appris que des têtes de cochon avait été déposées devant des mosquées ? Cela arrive assez rarement, ce genre de chose : j’ai été prévenue par une amie qui habite l'immeuble juste en face de la mosquée de Montreuil où a été déposée une tête de cochon. À 8 heures du matin, donc, elle m’a écrit pour me prévenir que des flics étaient devant. Sans hésiter, j’ai décidé de m’y rendre, en plus je la connais bien, cette mosquée, elle se trouve à une rue de chez moi. Ton amie avait vu les têtes de cochon ? Oui, je la cite d’ailleurs dans l’article. Elle l’a vue, sa copine aussi l’a vue. Mais quand je suis arrivée trente minutes plus tard, il n’y avait plus rien. Tout avait disparu ! Peu de temps après, il y a eu l’alerte du Parisien nous apprenant qu’une autre mosquée dans le XXe arrondissement de Paris avait été ciblée. Puis tout est allé très vite. Le préfet de Paris a communiqué, Retailleau a été interrogé dans la foulée. Le temps de rentrer à la rédaction, moins de deux heures plus tard, je savais qu'il y avait eu neuf têtes de cochon. J’avais des témoignages de voisines, les paroles d’un employé de la mosquée, alors, même si la piste de l’ingérence est apparue très tôt, j’étais convaincue de l’importance de faire entendre les gens qui subissent ça, et qui sont choqués par cette nouvelle agression. Dans notre panorama sur l’islamophobie en France, on avait constaté que les têtes de porc et les insultes employant le mot « cochon » revenaient très souvent dans les agressions que subissent les personnes musulmanes, ou perçues comme telles en France. Du coup, ça résonnait très fort ! Veux-tu réagir sur le fait que certains traitent les élus de La France insoumise d’« idiots utiles » de l’ingérence étrangère ? Je ne vois pas en quoi les politiques qui ont condamné ces actes islamophobes auraient tort, comme les politiques qui ont condamné les croix de David taguées à Paris. L’acte, en lui-même, reste raciste et violent. C’est un appel à la haine ! Pour moi, ce qui est vraiment intéressant dans cette histoire, c’est le fait que Bruno Retailleau, en tant que ministre démissionnaire de l’intérieur et des cultes, a tout de suite condamné ce vandalisme et parlé de profanation, alors que c’est quelqu’un qui, depuis qu’il est en poste, a failli à toutes ses missions de protection des minorités. Il a mis deux jours à se rendre dans le Gard, là où Aboubakar Cissé a été tué dans une mosquée. Et ça, c’est quand même une évolution notable. Même si ça reste le ministre de l’intérieur associé à la chasse aux musulmans, et même si c’est toujours facile de dire, « oui, je condamne, nous condamnons… », ça permet quand même de reconnaître l’existence du problème. Cette affaire peut-elle avoir un impact sur le traitement médiatique de l’islamophobie ? Une chose positive à noter : beaucoup d’articles ont interrogé les fidèles, et ont posé des questions sur l’islamophobie et sur cette insécurité. Mais cette situation est tout de même paradoxale : la seule fois où le vandalisme de mosquée fait les grands titres au niveau national, il s’avère que c’est une ingérence ! D’un côté, on peut se dire, un peu cyniquement, que l’ingérence étrangère a permis de mettre un peu plus en lumière l’islamophobie en France. De l’autre, et c’est plus inquiétant, la prochaine fois qu’une mosquée est vandalisée, des forces de droite et d’extrême droite vont peut-être utiliser ça en disant : « Mais attendez, peut-être que c’est de l’ingérence » ! |
Se désintoxiquer du racisme, raconter des imaginaires pour s’en libérer |
jeudi 18 septembre 2025 |
Deux fois par mois, retrouvez ici une sélection d’articles de Mediapart et des contenus inédits pour se désintoxiquer du racisme. Ce numéro vous a été transféré par un·e ami·e ? Vous pouvez vous inscrire directement ici. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire