« Il n’y a pas de
gouvernement des juges »,
par Vincent Brengarth,
avocat de l'association Sherpa
Lorsque la justice condamne les puissants dans des affaires politico-financières, ces derniers s'attaquent à elle en remettant, en cause son impartialité et son indépendance, déplore l'avocat de l'association Sherpa, Vincent Brengarth.
C’est désormais devenu systématique. Lorsque la justice condamne les puissants dans des affaires politico-financières, ces derniers s’attaquent à elle en remettant en cause son impartialité et son indépendance. Condamnée à une peine d’inéligibilité, Marine Le Pen dénonçait une « décision politique » qui « viole l’Etat de droit », des termes peu ou prou semblables à ceux employés par Nicolas Sarkozy à l’issue du délibéré dans l’affaire du « financement libyen ».
La justice ne s’attaque pourtant pas « aux politiques » mais peut investiguer lorsque certains sont suspectés de méconnaître la loi, et parfois, les condamner lorsqu’elle estime que les éléments découverts constituent effectivement une infraction pénale.
C’est la force de notre démocratie et, précisément, la force de l’État de droit. Le contester, c’est nier l’indépendance de la Justice, c’est nier le fait que si des peines d’inéligibilité ou d’emprisonnement peuvent être prononcées, c’est parce que le législateur l’a prévu et que personne n’est au-dessus des lois. Le mode de défense qui consiste à s’attaquer aux juges est commode, car il dévie du fond et de l’embarras qu’il suscite.
La violence des attaques contre les magistrats, pourtant généralement appelés, par cette même classe politique, à la plus grande fermeté, élime la confiance dans l’institution judiciaire. Certes, cette dernière doit être exposée aux critiques, et cela relève de liberté d’expression et des droits de la défense, mais il en va autrement lorsque de tels assauts empruntent systématiquement les mêmes ficelles.
En réalité, ce que cherchent certains prévenus, c’est une justice dérogatoire en matière de criminalité financière.
Contrairement à ce qu’a pu soutenir Nicolas Sarkozy – et j’étais présent lors des débats – il n’y pas eu de haine. Il y a eu du respect : les larges créneaux (parfois plusieurs heures) laissés à Nicolas Sarkozy pour s’expliquer sur tel élément du dossier, rebondir sur telle déclaration d’un co-prévenu, mais encore, les aménagements pendant l’audience, prenant compte des situations particulières, à l’instar de Claude Guéant qui ne pouvait, compte tenu de son état de santé, être présent et interrogé que sur des temps précis, n’en sont que quelques exemples.
En réalité, ce que cherchent certains prévenus, c’est une justice dérogatoire en matière de criminalité financière. Empêcher le prononcé de peine d’emprisonnement pour des faits d’atteinte à la probité, comme si, finalement, cela devrait moins compter.
Et lorsqu’on dénonce opportunément la question de l’exécution provisoire, c’est là encore rapporté à ces dossiers, comme si l’atteinte supposément portée aux droits ne vaudrait pas pour tous les justiciables. Pourtant, tous les jours les juridictions prononcent des peines avec exécution provisoire et cette même classe politique ne s’en offusque pas. Ces peines sont, au surplus, prononcées, contre des personnes qui ne disposent pas des mêmes capacités pour rebondir. Ces mêmes justiciables du quotidien n’ont pas la chance de pouvoir courir sur les plateaux télévisés pour dire à quel point la justice qui les touche est « indigne » et qui les croirait ?
Il y aura un avant et un après cette décision. Un appel aura lieu et les prévenus demeurent présumés innocents. Il n’en reste pas moins que, pour une fois, une juridiction est allée jusqu’au bout de la démarche en matière financière : prononcer une peine cohérente avec la gravité des faits reprochés.
Les
responsables politiques, qui nous aspirent constamment dans des
discours toujours plus sécuritaires et qui appellent de leurs vœux des
peines toujours plus sévères, s’en indigent lorsqu’elles sont prononcées
à leur encontre.
Certes, personne ne peut se satisfaire, de manière générale, de l’emprisonnement. Mais ce sont bien ces mêmes responsables politiques, qui nous aspirent constamment dans des discours toujours plus sécuritaires et qui appellent régulièrement de leurs vœux des peines toujours plus sévères, qui d’évidence, s’en indigent lorsqu’elles sont prononcées à leur encontre.
Un avant et un après surtout car la justice fait face à une fronde inédite du politique mis en cause et qu’elle joue sa survie. Un combat d’autant moins égal qu’elle ne dispose pas des mêmes relais de communication que les puissants qu’elle juge et condamne parfois mais aussi parce qu’elle est encore bien fragile à l’ère post-vérité.
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